La Tunisie malade de sa presse

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Le 3 mai 2000, au moment où la grève de la faim du journaliste dissident Taoufik Ben Brik suscitait une vive émotion dans les médias internationaux, le président Zine el-Abidine Ben Ali réunit, au palais de Carthage, officiellement pour célébrer la Journée mondiale de la liberté de la presse, plusieurs directeurs de publications, en présence des présidents de l’Association des journalistes tunisiens (AJT) et de l’Association tunisienne des directeurs de journaux (ATDJ).
« Chaque matin, je reçois, comme tout le monde, les journaux. Je n’ai pas besoin de les lire tous tant leur contenu est identique : on y trouve souvent les mêmes photos, les mêmes articles et les mêmes informations », déclara le chef de l’État. Et il exhorta les patrons de presse à écouter davantage leurs lecteurs, à aborder les questions qui passionnent l’opinion et à développer le dialogue démocratique dans le pays.

Le raïs évoqua ensuite les « lignes rouges » qu’il assignait à la liberté de la presse : ne pas faire le lit de l’extrémisme, se garder de colporter des rumeurs non vérifiées, éviter de diffamer ou de porter atteinte à la dignité des gens. « Écrivez sur tous les sujets et donnez-nous des choses à lire. S’il advient que vous soyez victimes de tracasseries, demandez à me voir ou appelez-moi au téléphone », lança-t-il aux journalistes incrédules. Dans la discussion qui suivit – et dont les Tunisiens virent une version partielle, le soir même, sur Tunis 7, la chaîne de télévision nationale -, le chef de l’État montra qu’il était très bien informé des problèmes de ce secteur dans son pays : l’autocensure – souvent considérée, à juste titre, comme une conséquence de la censure tout court -, la distribution de la publicité institutionnelle par l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE), le difficile accès aux sources, etc.
Cinq années plus tard, le président pourrait refaire le même discours. Car, entre-temps, la situation de l’information n’a guère évolué. Au contraire : plusieurs rapports rendus publics, la semaine dernière, à Tunis, par des ONG locales et internationales – notamment la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH, reconnue), le Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT, non reconnu), le Syndicat des journalistes tunisiens (SJT, non reconnu), un groupe de dissidents de l’Association des journalistes tunisiens (AJT), la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et International Freedom of Expression (Ifex), un réseau regroupant soixante-quatre organisations de défense de la liberté d’expression – ont confirmé ce que la majorité des Tunisiens savent déjà, à savoir que l’information dans leur pays – et particulièrement la presse écrite – continue de souffrir des mêmes maux, peut-être avec plus d’ampleur.

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Comment expliquer cette situation ? Qui en est responsable ? Les journalistes qui refuseraient d’exercer leur liberté d’expression comme les y invite pourtant le chef de l’État ? Les patrons de presse qui, pour des raisons inexplicables, empêcheraient les rédactions de faire leur métier selon les normes internationalement admises ? Les pouvoirs publics qui, pour des raisons que l’on pourrait plus aisément imaginer, multiplieraient les obstacles ? Et si la responsabilité était partagée par toutes les parties concernées ? Les représentants des journalistes, des patrons de presse et des pouvoirs publics ne pourraient-ils se réunir autour d’une même table pour mettre à plat les problèmes qui empêchent leur secteur d’évoluer dans le bon sens ?

Les carences du secteur ont déjà été clairement identifiées dans les rapports cités plus haut. Il suffirait peut-être de mettre en application les solutions préconisées dans ces documents pour mettre fin à une situation qui ne saurait durer. Car elle porte un grave préjudice à l’image d’un pays où tout, pourtant, ne fonctionne pas si mal.

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