Hachémi Rafsandjani

Il a attendu le dernier moment pour annoncer sa candidature. Roublard et expérimenté, l’homme au turban blanc paraît le mieux placé pour remporter la présidentielle iranienne du 17 juin.

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 6 minutes.

Ali Akbar Hachémi Rafsandjani aura fait durer le suspense jusqu’au bout ou presque, en attendant le 10 mai pour annoncer sa candidature à l’élection présidentielle du 17 juin. Après avoir déjà occupé la fonction de 1989 à 1997, il brigue aujourd’hui la succession du réformateur Mohamed Khatami, arrivé au terme de son second mandat. Ardent défenseur de l’économie de marché et partisan de la détente avec les États-Unis, Rafsandjani est un pragmatique. Inquiet de l’orientation antilibérale donnée aux politiques économiques depuis la victoire des conservateurs dogmatiques aux législatives de juin 2004 comme de la fuite en avant du régime dans le domaine du nucléaire, il se pose en recours. Une posture qui pourrait l’aider à séduire un électorat nettement plus modéré que sa classe politique et travaillé par l’abstention. On estime en effet que près de la moitié des 48 millions d’électeurs appelés aux urnes pourrait rester chez elle le jour du scrutin.
Sincère partisan de la République islamique, Rafsandjani s’oppose toutefois à une radicalisation du régime. Trop dangereuse, à ses yeux, car elle pourrait conduire ce dernier à sa perte. Pourtant, l’homme au turban blanc semble avoir longtemps hésité avant de se lancer dans la course à la présidentielle. « C’est un vieux routier de la politique, il s’était préparé depuis plusieurs mois, explique Azadeh Kian-Thiébaut, chercheuse au CNRS et spécialiste de l’Iran*. Fignolant son programme dans les moindres détails, il s’est repositionné au centre pour ne pas effrayer la frange réformatrice de l’électorat qui l’avait pris en grippe ces dernières années. Il espérait faire l’unanimité au sein du très influent camp conservateur et obtenir le retrait des candidats de cette faction qui s’étaient déclarés plus tôt dans la campagne. Bref, gagner sur les deux tableaux. Mais il avait sous-estimé les réticences des ultraréactionnaires, farouchement opposés au réalisme qu’il incarne. Pour lui, la partie sera donc moins facile que prévu. »
Deux facteurs, pourtant, ont fini par faire pencher la balance en faveur de sa candidature : « Les sondages, qui le donnent vainqueur, et l’aval du Guide de la République islamique, Ali Khamenei, le premier personnage de l’État, qui a un rôle d’arbitre. En déclarant qu’il n’était pas souhaitable qu’une seule faction – entendez : les ultras, qui dominent le Parlement – dispose de tous les leviers du pouvoir, il a implicitement donné son feu vert à Rafsandjani », conclut Azadeh Kian-Thiébaut.
Hachémi Rafsandjani est originaire de Bahreman, un village de la province de Kerman (sud-est). Surnommé « le Roi de la pistache » parce que ses parents, cultivateurs, s’étaient enrichis dans ce négoce, ce clerc a étudié la religion dans la Ville sainte de Qom, la capitale du chiisme iranien. Il y a suivi, au début des années 1960, les enseignements de l’ayatollah Khomeiny.
Âgé aujourd’hui de 70 ans, il a connu tous les honneurs. Rusé et habile à la manoeuvre, il a plus d’expérience qu’il n’en faut pour le poste. Président du Parlement de 1980 à 1989, il hérita, en avril 1988, du commandement en chef des armées à un moment critique : les
troupes iraniennes étaient sur le point de se faire encercler par les fantassins de Saddam Hussein sur la presqu’île de Fao. Rafsandjani parvint à convaincre Khomeiny, partisan d’une guerre à outrance contre les Irakiens, qu’il fallait évacuer cette position indéfendable
et, quatre mois plus tard, qu’il fallait se résoudre à mettre fin aux hostilités et accepter le cessez-le-feu proposé par l’ONU.
À la mort de Khomeiny, en juin 1989, Rafsandjani, devenu l’homme fort du régime, prend une part active dans la désignation d’Ali Khamenei, le nouveau Guide. Élu, le 28 juillet de la même année, à la présidence de la République islamique après avoir obtenu d’importants amendements constitutionnels (la suppression du poste de Premier ministre et la limitation du rôle du Parlement), il entreprend de libéraliser l’économie et, bien plus timidement, le système politique. Avec des résultats mitigés. Les Iraniens gardent surtout le souvenir de l’hyperinflation et de la paupérisation
des couches les plus vulnérables de la population, notamment les veuves de guerre et leurs enfants. Les privatisations et le démantèlement de quelques monopoles publics opérés, à son initiative, au début des années 1990, ont surtout profité à la nomenklatura
enturbannée. Sur le plan politique, Rafsandjani a mis fin aux excès des comités révolutionnaires et a – très légèrement – desserré l’étreinte des ultras sur la société. Pour Mme Kian-Thiébaut, « ce sont les évolutions discrètes qu’on a observées sous son second mandat (1993-1997) qui ont rendu possible l’émergence du mouvement réformateur et l’ébauche de sécularisation du système ».
Mais c’est sur le plan diplomatique que Rafsandjani a obtenu les résultats les plus spectaculaires. Il a rompu l’isolement de l’Iran, en se rapprochant des pays du Golfe, puis de l’Europe (des Douze, à l’époque), renouant un dialogue qui se poursuit aujourd’hui. Fossoyeur du prosélytisme révolutionnaire, il a mis un terme au terrorisme d’État allègrement pratiqué sous les années Khomeiny, mais nullement aux assassinats ciblés d’opposants en exil qui ont continué à son initiative, semble-t-il, puisqu’il avait la haute main sur les services de renseignements… Enfin, il aura réussi sinon à normaliser, du moins à apaiser les relations de son pays avec l’Amérique clintonienne.
Après 1997, sa carrière ne connaît pas d’éclipse. Coopté à la tête du Conseil du discernement, l’organisme chargé d’assister le Guide et de trancher en cas de conflit – et ces derniers n’ont pas manqué… – entre le Parlement et le Tribunal constitutionnel islamique, il devient le numéro deux officieux du régime. Il s’emploie alors à fédérer autour de sa personne tous ceux qu’inquiètent à la fois les « dérives hérétiques » des réformateurs et celles des conservateurs réactionnaires voire extrémistes, pressés d’en découdre avec les « laïcards »…
Un opportunisme qui fait merveille, mais fait aussi de lui la bête noire de la jeunesse qui le compare à un crocodile de la politique et… à un requin des affaires. Car Rafsandjani, lié aux milieux du négoce et de l’industrie, traîne quelques casseroles. Les Iraniens ont beaucoup glosé sur la fortune de son clan. Ainsi, sa fille, Faeze, autrefois députée et ex-directrice du journal féminin Zan, qui passe plus de temps à Londres qu’à Téhéran, est-elle brocardée pour son train de vie dispendieux et sa passion pour les pur-sang. Son fils Mehdi est, quant à lui, éclaboussé par une affaire de pots-de-vin.
Rafsandjani n’est guère populaire, c’est là son talon d’Achille. Candidat à la députation, en 2004, à Téhéran, il a essuyé une véritable claque, puisqu’il n’a été élu qu’en 27e – et dernière ! – position. Mais, dans la course à la présidentielle, il est le seul candidat à jouir d’une stature d’homme d’État et à avoir exercé de hautes responsabilités. Face à lui, ni l’ancien chef de la police Mohamed Baqer Qalibaf, un vrai dur au discours policé, ni le maire populiste de Téhéran, Mahmoud Ahmadi-Nejad, chouchou de la frange conservatrice-réactionnaire, ni Ali Larijani, l’ex-directeur de la télévision, également conservateur, ni le réformateur Mostafa Moien, ne devraient faire le poids. Larijani ainsi qu’un autre candidat, Ali Akbar Velayati, qui fut ministre des Affaires étrangères, pourraient d’ailleurs se désister en sa faveur.
La décrispation avec les États-Unis et la libéralisation de l’économie devraient figurer parmi les nouvelles priorités de Rafsandjani. Or, sur ce terrain, il est imbattable : il est le seul à pouvoir se démarquer de la position officielle sans encourir les foudres du Guide Ali Khamenei ou celles du Conseil des gardiens, qui a le pouvoir d’invalider les candidatures. Il lui reste, maintenant, à convaincre les électeurs d’aller voter. Et là, ce n’est pas gagné…

*Auteur de La République islamique d’Iran, de la maison du Guide à la raison d’État, éd. Michalon, Paris, 2005.

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