Désillusions américaines

Fuyant son pays et ses échecs, un ex-« golden boy » nigérian débarque plein d’espoir aux États-Unis. Il déchante très vite.

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 2 minutes.

Premier roman d’Ike Oguine, Le Conte du squatter ne laissera indifférent aucun exilé, d’où qu’il vienne et où qu’il vive. On y suit Obi, ex-golden boy nigérian, qui, au lendemain de la faillite de son entreprise, n’a d’autre perspective que de quitter Lagos. Derrière lui, il laisse sa famille, Robo – son premier amour -, ses chaussures Gucci et « de grandes gueules d’incapables, de brutes et de barbares ». Soit. Et où va-t-il ? Dans le « meilleur pays au monde », selon Happiness, son oncle d’Amérique – du moins c’est ainsi qu’il lui dépeint les États-Unis.
Sauf que dès l’arrivée à Oakland, Californie, rien ne se passe comme prévu ! Kurubo, dit « le Harpon » (en hommage à ses exploits de tombeur), un ami de lycée parti en Amérique cinq ans plus tôt, n’est pas au rendez-vous. Obi est contraint de squatter chez son oncle, dans un appartement aux murs « eczémateux » qui suintent « la transpiration et l’échec ». Il le fuit dès qu’il retrouve un autre ancien camarade, Andrew, un évangéliste fanatique dont il quittera le domicile aussi vite pour découvrir que l’Amérique n’est qu’un miroir aux alouettes.
Au fil des pages, le lecteur fait la connaissance de toute une galerie d’Afro-Américains, dont un couple qui a miraculeusement réussi. Ego vit avec son chirurgien d’époux républicain dans un quartier blanc et trompe sa nostalgie à coups de « carte bleue thérapie ». La plupart des compatriotes d’Obi n’ont pas cette chance. Leur quotidien se résume au racisme ordinaire des Blancs contre les Noirs, des Noirs contre les Blancs, des Noirs d’ici contre les Noirs de là-bas et vice versa, à l’incommensurable solitude, aux magouilles et aux petits boulots, enfin aux minables compromissions. Que reste-t-il du rêve américain ? Des mensonges qu’ils racontent aux autres, mais surtout à eux-mêmes.
Tout comme Monica Ali, dans Sept mers et treize rivières, nous transportait dans le Londres de la minorité bangladaise, Ike Oguine, qui vit pourtant à Lagos, nous entraîne avec son Conte du squatter au coeur de la communauté afro-américaine. Mais, au-delà d’un regard sur une communauté particulière dans un pays précis, via l’archétype de l’exilé, figure littéraire dans l’air du temps, ces romans nous donnent à voir ce qu’il advient après dissipation des illusions migratoires et explorent les sentiments complexes qui lient à la terre d’origine tous ceux qui vivent loin de chez eux. Car, comme le découvre Obi, l’immigré se rend sur « une terre étrangère dans le seul but de découvrir son pays natal ». D’une désarmante lucidité, Le Conte du squatter est à recommander à tous ceux qui rêvent d’eldorado américain ou schengenien.
Avec Chimamanda Ngozi Adichi, qui a signé L’Hibiscus pourpre (Anne Carrière), un poignant premier roman, Helon Habila et son En attendant un ange (Actes Sud), et maintenant Ike Oguine, une toute nouvelle génération d’écrivains se fait désormais entendre au-delà des frontières du Nigeria.

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