Autopsie d’un meurtre

Après deux ans d’enquête, la justice a fini par retrouver les auteurs de l’assassinat du représentant de l’OMS. Et prononcé de lourdes peines.

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Quatre condamnations à mort et neuf peines de prison qui vont de deux ans ferme à la perpétuité. La chambre criminelle de la cour d’appel de Bujumbura a rendu son verdict, le 4 mai, dans l’affaire de l’assassinat, en novembre 2001, du Dr Kassi Manlan, représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Burundi. Dans l’ensemble, les juges ont suivi le réquisitoire du procureur général de la République et lourdement condamné les treize prévenus.
Le Dr Manlan, un Ivoirien de 55 ans, était en poste à Bujumbura depuis trois mois lorsque, le 21 novembre 2001, son corps est retrouvé par des pêcheurs sur les berges du lac Tanganyika, non loin du Cercle nautique, un yacht-club fréquenté par les expatriés belges. Il a le crâne défoncé. La police conclut immédiatement à un meurtre et l’enquête s’oriente vers Gertrude Nyamoya, la secrétaire de la victime, placée en garde à vue un mois plus tard en compagnie des quatre vigiles employés d’une société de sécurité privée, chargés de la garde du domicile, situé à Rohero 1, et du bureau. L’enquête tend à démontrer que la secrétaire a prémédité la mort de son patron, avec un collègue de celui-ci, un épidémiologiste d’origine guinéenne, pour l’empêcher de révéler que les deux complices avaient détourné de l’argent de l’OMS.
En effet, en 2001, une épidémie de paludisme faisait rage dans une large zone dénommée « crête Congo-Nil », touchant le nord du Burundi, et l’OMS avait décidé de financer l’achat de médicaments.
Mais le frère de la prévenue, l’avocat François Nyamoya, ne l’entend pas de cette oreille. Sur les ondes de la Radio publique africaine (RPA, radio locale privée), il accuse la Documentation nationale, autrement dit les services de renseignements burundais, d’avoir préparé, planifié et supervisé l’assassinat du Dr Manlan. « Gertrude n’est qu’un bouc émissaire, destiné à couvrir les véritables coupables », clame-t-il.
L’enquête a été menée pendant deux ans, en partie par l’OMS elle-même vu les soupçons qui pesaient sur le collègue de la victime, mais également par le Federal Bureau of Investigation (FBI) américain, qui a diligenté deux détectives, dans le cadre des accords bilatéraux qui lient les États-Unis au Burundi, mais également par les journalistes de la RPA et, bien sûr, par la police burundaise. In fine, quatre policiers de haut rang sont inculpés, ainsi que le responsable de l’agence de gardiennage, l’ex-directeur adjoint de la prison de Bujumbura et trois repris de justice. Émile Manisha, commandant de la Police de sécurité publique (PSP) de l’époque, est présenté comme le « cerveau » du crime. Ses principaux complices sont le colonel Gérand Ntunzwenayo, numéro deux des services secrets, le commandant Aloys Bizimana, chef adjoint de la gendarmerie, et Japhet Ndayegamiye, responsable du renseignement à Bujumbura.
Les hommes de main, tous anciens militaires, ont filé le Dr Kassi Manlan pendant plusieurs jours. Le 20 novembre, celui-ci quitte son bureau vers 22 heures. À son insu, trois inconnus lui emboîtent le pas, puis le suivent en voiture jusqu’à son domicile. Là, un autre groupe l’attend, se jette sur lui et le maîtrise. Tout le monde repart alors vers les locaux de l’OMS. Conduit jusqu’à son bureau, Kassi Manlan est contraint d’allumer son ordinateur, de rechercher et de détruire un certain fichier sur lequel il travaillait depuis plusieurs semaines. Le commando ramène alors le malheureux chez lui. Une fois à l’intérieur de la maison, « le commandant Aloys Bizimana a tué le Dr Manlan en le frappant à trois reprises sur la tête avec la longue tige métallique d’un antivol de voiture », avoue, lors d’une audience, Martin Nuni, l’un des nervis recrutés pour l’opération. Son cadavre est alors acheminé à bord d’une camionnette jusqu’au lac Tanganyika, où les assassins s’en débarrassent, espérant qu’il va être rapidement dévoré par les crocodiles qui infestent les rives. Mais les sauriens ne sont pas là et, dès le lendemain, le corps est repéré par des pêcheurs.
Lors du procès, le mobile du crime n’a pas été précisément détaillé, dans la mesure où il n’a pu être établi avec certitude. Toutefois, en août 2002, la rédaction d’Abarundi.org, un site Internet très apprécié des Burundais, avait publié la lettre d’un informateur ivoirien, qui raconte que « certains milieux politiques burundais » avaient connaissance du rapport que préparait Kassi Manlan et savait qu’il contenait des détails sur les commanditaires du détournement de fonds. Un certain monsieur X aurait donné ordre au gouverneur de la Banque centrale du Burundi de faire transiter les sommes en provenance de l’OMS par un compte intermédiaire situé en France, celui de la société d’études et de conseil Kost International, d’où ils seraient repartis non en direction du Burundi, mais vers un compte privé. L’OMS a rapidement remarqué que l’argent n’était pas parvenu à la Banque centrale et demandé des comptes à son représentant à Bujumbura. Vraisemblablement, le Dr Manlan avait remonté la filière jusqu’au donneur d’ordre et son travail avait été surpris grâce aux écoutes téléphoniques, fréquentes dans ce pays.

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