Maroc : une éclaircie touristique très localisée

Après des années difficiles, l’activité repart… Mais pas partout. Si le Maroc a enfin passé en 2013 le cap des 10 millions de visiteurs, Marrakech concentre un tiers des nuitées. Et les projets de développement d’autres destinations tardent à se concrétiser.

La place Jemaa el-Fna, haut lieu du tourisme à Marrakech. © Boris Macek/WikiCommons

La place Jemaa el-Fna, haut lieu du tourisme à Marrakech. © Boris Macek/WikiCommons

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 23 mai 2014 Lecture : 7 minutes.

Fin avril, la saison bat son plein et la place Jemaa el-Fna de Marrakech ne désemplit pas. Les visiteurs sont de retour dans la Babel touristique marocaine. En semaine, dans les souks, riads ou clubs de vacances, les touristes français ne sont plus majoritaires, ce sont désormais les accents anglais et allemands qui dominent. Et le week-end, ces étrangers sont rejoints par de nombreux Marocains, pour la plupart venus des quartiers aisés de Casablanca et de Rabat.

Les chiffres de fréquentation des hôtels de la ville ocre sont bons. D’ordinaire peu enthousiaste, Abdellatif Abouricha, du Conseil régional du tourisme (CRT), est optimiste : « Nous espérons un taux d’occupation de 65 % en 2014, toutes catégories confondues, ce qui représenterait 16 points de plus qu’en 2013 », se félicite-t-il.

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Choc

Marrakech revient de loin. Il y a d’abord eu la crise économique en Europe, qui a touché les principaux pays émetteurs du Maroc (notamment la France et l’Espagne). Ensuite, le Printemps arabe, qui a effrayé certains touristes. Mais aussi le choc causé par l’attentat du café Argana, sur la place Jemaa el-Fna, qui avait fait 17 morts et une vingtaine de blessés le 28 avril 2011. Résultat, depuis 2009, le taux d’occupation des hôtels de la ville n’a dépassé les 50 % qu’en 2013.

Marrackech info2« Désormais, tout cela est derrière nous », se réjouit Pierre Jochem, directeur général de La Mamounia, le palace emblématique de Marrakech, fondé en 1925. « Le Maroc a prouvé qu’il n’était pas touché par les troubles politiques. Nos clients ne nous posent même plus de questions relatives à la sécurité », remarque-t-il. Le somptueux établissement affiche des taux d’occupation record : 72 % en avril, 68 % en mars, soit 25 points de plus qu’il y a deux ans.

« Le marché américain, qui représente environ 20 % de notre clientèle, repart très fort et une nouvelle clientèle venant des pays émergents devient importante. Les Brésiliens, que l’on ne voyait presque pas il y a cinq ans, représentent déjà 5 % de nos hôtes. Et des personnalités russes ont privatisé tout ou partie de l’établissement à l’occasion d’anniversaires ou de mariages », indique Pierre Jochem, dont l’hôtel a réalisé un chiffre d’affaires de 400 millions de dirhams (35 millions d’euros) en 2013 et multiplié les opérations promotionnelles dans de nouveaux pays.

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Dans cette reprise qui s’amorce, « tout le monde tire son épingle du jeu, mais ce sont les deux extrémités de la gamme hôtelière qui en profitent le plus : le luxe et les établissements non étoilés », détaille Abdellatif Abouricha. Sur le segment haut de gamme, on craignait une surcapacité. Finalement, malgré le doublement du nombre de chambres dans les cinq-étoiles et autres palaces entre 2009 et 2012, la plupart des hôtels de luxe ont trouvé une clientèle.

Cinq-étoiles

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« Deux ans après l’ouverture de notre premier Four Seasons, à Marrakech [141 chambres], nous avons atteint notre rythme de croisière en ciblant plutôt les touristes individuels en haute saison et les groupes en basse saison. Notre taux d’occupation est de 62 % au premier trimestre, et au mois d’avril il devrait atteindre 85 % », se réjouit Holger Frehde, directeur des ventes et du marketing de la chaîne canadienne au Maroc. « Nous n’avons pas cassé les prix, bien au contraire. Aujourd’hui, il faut débourser 6 000 dirhams par nuit : c’est 10 % de plus qu’au lancement de l’hôtel », fait valoir cet Allemand installé à Marrakech.

« Nous encourageons les Marocains à voyager dans le royaume » 

Interview de Lahcen Haddad, ministre du Tourisme du Maroc

Jeune Afrique : La diversification géographique du tourisme semble patiner. Et le développement des nouvelles stations balnéaires a pris du retard. Pourquoi ? 

Lahcen Haddad : 
Marrakech reste la fenêtre du Maroc sur le monde et Agadir la première station balnéaire du pays. Il est normal qu’elles représentent les deux tiers des nuitées.

Maroc Lahcen Haddad cHassanOUazzaniJA JA2783p098Ouazzani/JA" class="caption" style="border-style: solid; border-color: #000000; margin: 4px; float: left;" />Même si nous souhaitons développer d’autres destinations, les capacités hôtelières de ces deux villes phares sont encore appelées à croître.

Concernant le tourisme balnéaire, nous avons repensé le plan Azur. Nous terminons le tour de table pour finaliser la station de Lixus, près de Tanger. Nous misons aussi sur le développement du tourisme d’affaires à Casablanca et à Tanger, où de grands projets sont en gestation pour augmenter les capacités.

Mais dans la région de Fès et Meknès, au Moyen-Atlas, je reconnais que nous devons faire un effort pour mettre en avant les possibilités dans le domaine culturel.

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Quant aux petits hôteliers, non étoilés, « en cinq ans, leur capacité s’est accrue de 3 000 lits. Les établissements familiaux situés à proximité de la place Jemaa el-Fna qui ont su créer un site internet se portent bien, observe Abdellatif Abouricha, du CRT de Marrakech. Ils accueillent beaucoup de Marocains, mais aussi des étudiants européens, dont les moyens sont limités ».

Sur le plan national, Lahcen Haddad, le ministre du Tourisme, assure que « la tendance est bonne ! L’année dernière, le nombre de nuitées a augmenté de 9,3 %, et le taux d’occupation des hôtels du pays est passé à 43 %, soit 4 points de plus qu’en 2012, ce qui a permis de passer la barre des 10 millions de touristes ». Un objectif initialement prévu pour 2010.

Mamounia info

« À cause de la crise, il y a eu un glissement dans le temps. Mais il reste possible d’atteindre le chiffre de 20 millions de touristes dans dix ans », juge le ministre. La hausse de la fréquentation encourage les investissements. En 2013, ces derniers ont atteint 19 milliards de dirhams et ont permis de créer 20 000 emplois, d’après Lahcen Haddad. Qui affiche son optimisme : « En 2014, nous nous attendons à ce que les recettes [5,5 milliards d’euros en 2013], qui avaient diminué, se redressent, car, au premier trimestre, le budget dépensé par les touristes est en hausse de 11 %. »

Reste que si Marrakech – sixième meilleure destination au monde en 2014 selon les utilisateurs du site TripAdvisor – est à la fête, le secteur touristique est loin de se porter aussi bien dans l’ensemble du royaume. La diversification géographique prônée par les autorités peine à se concrétiser, en dépit des fameux plans gouvernementaux Azur, Vision 2010 et Vision 2020, qui devaient mettre en avant de nouvelles régions, notamment dans le Nord, sur la côte méditerranéenne.

Après avoir misé – sans succès – sur des groupes immobiliers étrangers tels que l’espagnol Fadesa ou le fonds spécialisé américain Colony Capital, l’État a dû revoir de fond en comble son plan Azur. Désormais, il parie davantage sur des partenaires privés issus de l’hôtellerie, comme l’américain Kerzner International pour développer la station balnéaire de Mazagan. « Parmi les six nouvelles stations prévues initialement, seules trois – Saïdia, Mazagan et Mogador – ont démarré, et avec des ambitions plus modestes », observe Abouricha. « Saïdia ne pourra pas être un succès tant que la frontière algérienne restera fermée », souligne Abdellatif Kabbaj, du groupe Kenzi Hotels, l’un des principaux hôteliers du Maroc avec dix établissements (dont trois à Marrakech).

Low cost

Selon l’Observatoire du tourisme, la ville ocre représente encore 33 % des nuitées hôtelières du royaume, et Agadir, qui attire des touristes moins aisés, 25 %. Mais certains des établissements balnéaires de cette station vieillissent mal, faute d’investissements dans leur entretien.

Ils ont bien résisté à la crise

Après des années difficiles, l’activité touristique repart au Maroc. Découvrez les témoignages d’Abdellatif Kabbaj, PDG du groupe Kenzi, et de Pierre Jochem, directeur général de La Mamounia, deux patrons dont les groupes ont résité à la crise touristique.

« Avec la crise économique, explique Abdellatif Kabbaj, les touristes français, anglais et les allemands de la classe moyenne privilégient le ‘tout inclus’, pour ne pas avoir à remettre la main au portefeuille une fois arrivés sur place, et particulièrement dans nos sept clubs de vacances. Cette formule convient également à nos clients Marocains, de plus en plus nombreux, qui viennent en famille, qui quittent peu leurs hôtel et veulent des activités sportives et récréatives sur place. »

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Quant à Fès, « qui dispose comme Marrakech d’un patrimoine culturel admirable, l’offre hôtelière n’y est pas satisfaisante dans le haut de gamme », tranche Pierre Jochem, de La Mamounia.

Plus optimiste, Holger Frehde, de Four Seasons, estime que, « tôt ou tard, les nouvelles destinations marocaines trouveront une clientèle, en particulier Casablanca, qui a un très bon potentiel pour le tourisme d’affaires ». La chaîne prévoit d’ouvrir un établissement dans la capitale économique en 2015, puis un à Taghazout, au nord d’Agadir, en 2017.

« Pour améliorer la répartition territoriale de l’activité, le gouvernement doit utiliser Marrakech comme une porte d’entrée vers les autres régions, et tout faire pour renforcer les liaisons aériennes », complète Abdellatif Kabbaj.

« Si l’on veut vraiment développer le tourisme et diversifier notre offre, nous avons besoin d’au moins une compagnie low cost nationale pour ne pas subir les atermoiements d’EasyJet et de Ryanair, trop sensibles à la rentabilité de leurs lignes », estime le patron du groupe Kenzi, qui regrette encore l’échec du lancement d’Atlas Blue, filiale de Royal Air Maroc (RAM).

Il observe le bénéfice tiré par ses concurrents turcs de la belle santé de Turkish Airlines, qui a multiplié les liaisons aériennes. Pas sûr qu’il soit entendu par les autorités et la RAM sur ce point. La compagnie nationale, qui vient à peine de redresser sa situation financière, privilégie le développement de son hub de Casablanca et sa desserte subsaharienne, qui concerne encore peu de touristes.

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