Tout le monde sur le pont

Le Premier ministre, qui a mis en place un gouvernement un mois après sa nomination, dispose désormais d’une feuille de route pour remettre le pays en ordre de marche. Mais par où commencer quand tout est à faire ?

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Appelé à la rescousse pour redresser un pays où tout est urgent, Lansana Kouyaté n’a pas vraiment le temps de se tourner les pouces. À peine la liste de son gouvernement a-t-elle été rendue publique, le 28 mars, que le Premier ministre guinéen a multiplié les entrevues avec les nouveaux ministres, a insisté pour que les passations de services se fassent rapidement et a organisé des réunions autour des dossiers prioritaires.
Pour se mettre à la tâche, il a abandonné le siège de la primature – un vieux bâtiment colonial qui abrita ses prédécesseurs – et s’est installé dans un bureau du quatrième étage du « Petit Palais », qui fut autrefois celui du chef de l’État, Lansana Conté, puis de son ex-tout-puissant ministre d’État chargé de la Coordination de l’activité gouvernementale, Fodé Bangoura.
Si Kouyaté s’est rapproché du cur du pouvoir, c’est en fait sur demande expresse du président. « Ne vous éloignez pas à la primature », lui a-t-il conseillé. Et d’ajouter, comme pour mieux le convaincre : « Installez-vous à mes côtés pour ne pas laisser la place aux délateurs. Ils vont s’y engouffrer pour nous diviser. »
Parmi les nombreux défis qui attendent le Premier ministre, la lutte contre la corruption est sans nul doute l’un des plus importants. Et il n’a pas tardé à s’atteler à la tâche : dès les jours qui ont suivi sa nomination, le 26 février, il a commandité un audit de la gestion des membres du gouvernement sortant. Certains ministres sur le départ sont soupçonnés d’avoir vidé les caisses de leur département, d’autres d’avoir réformé leurs véhicules de fonction neufs pour les acquérir à vil prix ou d’avoir emporté jusqu’au mobilier de bureau, y compris les rideaux et les moquettes. Le chef du gouvernement entend bien tirer toutes les conséquences des rapports d’audit. Une façon pour lui de poser des actes forts contre des pratiques qui ont fini par déverser des milliers de Guinéens exaspérés dans les rues. La détermination de Kouyaté ne laisse pas, en tout cas, le chef de l’État indifférent. Début avril, alors que le président, s’apprêtant à quitter le palais de Sékhoutouréya, n’arrive pas à mettre la main sur sa mallette, il s’adresse à la première dame d’un ton enjoué : « Dis aux enfants de me rendre ma mallette. Ils doivent dorénavant faire attention. Kouyaté est arrivé pour punir les voleurs. »
Pour enrayer l’impunité des délits économiques, le Premier ministre compte s’appuyer sur une justice crédible. Soucieux de l’indépendance des magistrats, il uvre pour séparer le ministère de la Justice et la Cour d’appel, qui cohabitent dans le même bâtiment, à Conakry. Il a, selon une source proche du Patrimoine bâti, demandé que la Chancellerie emménage dans les locaux laissés vacants en plein centre-ville après le déménagement de l’ambassade des États-Unis à Koloma, à la périphérie de la capitale, dans une cité-bunker qui a coûté 50 millions de dollars. Pour Kouyaté, l’impartialité des juges est indispensable dans un pays qui souhaite attirer l’investissement privé et remettre en marche une machine économique grippée depuis plusieurs années.
C’est d’ailleurs dans ce but que Kouyaté s’emploie à renouer les liens avec la communauté financière internationale. Il est attendu en France à partir du 14 avril. De source proche de l’ambassade de France à Conakry, il devrait au cours de son séjour parisien rencontrer le président Jacques Chirac, son Premier ministre, Dominique de Villepin, mais également les responsables du Medef, le syndicat du patronat hexagonal. Sur son agenda : une négociation de la dette bilatérale et le déblocage de 100 millions d’euros gelés après avoir été alloués à la Guinée dans le cadre d’un accord-cadre liant les deux pays.
Après son tête-à-tête avec le commissaire européen chargé du Développement, Louis Michel, au début du mois d’avril à Dakar, en marge de la cérémonie d’investiture du président sénégalais Abdoulaye Wade, Kouyaté pourrait poursuivre ses discussions avec Bruxelles. À la clé : la relance de la coopération avec l’Union européenne (UE) et le décaissement de l’aide au titre du IXe Fonds européen de développement (FED).
À la mi-mai, le chef du gouvernement guinéen se rendra à Washington pour une reprise des discussions avec les institutions de Bretton Woods. En attendant, il cherche déjà à mobiliser des fonds. Du 4 au 7 avril, des hommes d’affaires koweïtiens, proches de la famille royale, établis aux Émirats arabes unis ont discrètement séjourné à Conakry. Au cours de leur passage, ils ont rencontré les ministres de l’Agriculture et des Mines, deux domaines porteurs qu’ils cherchent à ouvrir au marché financier international
En réalité, le Premier ministre a une vision qu’il partage avec son ministre de l’Économie et des Finances, débauché du Fonds monétaire international (FMI) : les opportunités de financement sont tellement nombreuses que la Guinée ne saurait se satisfaire des seules institutions classiques. Kouyaté s’est dit intéressé par des montages financiers du type de celui relatif à la construction de l’aéroport de Diass, au Sénégal : des fonds du groupe Saudi Binladin associés à une participation minoritaire de la Banque mondiale dans un schéma de concession BOT. Un système dont le Premier ministre compte s’inspirer pour la mobilisation de capitaux qui alimenteraient les caisses désespérément vides de l’État.
Mais le problème le plus immédiat, que Kouyaté met un point d’honneur à résoudre dans les meilleurs délais, est le déficit d’électricité qui condamne les Guinéens à vivre depuis l’indépendance dans les délestages et la pénombre. Un groupe électrogène – acquis dans le cadre du projet Tombo V, mais qui ne pouvait être mis en service parce que l’État n’avait pas payé sa contribution de 1 milliard de francs guinéens (125 000 euros) – fonctionne depuis début avril. La mise en route du nouvel engin permettra de porter de un sur deux à deux sur trois le nombre de jours où les habitants de la capitale seront approvisionnés en courant. Les actions dans le domaine de l’énergie ne s’arrêtent pas là. Fin avril au plus tard, devraient arriver au port de Conakry des conteneurs de matériaux devant servir à produire de l’électricité par l’énergie solaire. L’entreprise américaine Solar Outdoor Lighting Inc., qui a fait ses preuves notamment au Nigeria, installera du matériel sur 3 800 poteaux de la capitale. En outre, Kouyaté a entamé des discussions avec des opérateurs indiens et avec Électricité de France (EDF) pour rénover tout le réseau électrique du pays.
Si volontaristes qu’elles soient, toutes ces mesures ne pourront parvenir à leur terme sans une stabilité. Laquelle passe par la satisfaction des aspirations de la jeunesse, fer de lance de la révolte qui a renversé le précédent gouvernement. Kouyaté en est conscient, qui a peaufiné un Programme pour la jeunesse, qui prévoit la mise en place d’un fonds de quelques millions de dollars, destiné à financer des projets d’insertion professionnelle des jeunes.
Le Premier ministre, nommé suite à un soulèvement populaire, veut faire vite et bien. Déterminé, il ne veut pas décevoir les espoirs suscités par son arrivée à la tête du gouvernement. Mais le passé récent a montré qu’il ne suffisait pas d’avoir des idées et de la volonté. Nombre d’observateurs craignent que les vieux conservatismes ne refassent surface. Et stoppent Kouyaté en si bon chemin.

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