Réactions à la « Commission Védrine »

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

La politique étrangère est absente de la campagne pour l’élection présidentielle en France. Elle n’est abordée par les principaux candidats qu’accessoirement ou indirectement lorsqu’il s’agit de l’immigration. Ce repli frileux sur l’Hexagone n’est pas pour convenir à Hubert Védrine, l’ancien chef de la diplomatie française. Sans s’embarrasser des positions partisanes, il a évoqué dans J.A. (n° 2411) les relations entre la France et l’Afrique. À ses yeux, la gauche est « partagée entre le paternalisme et la charité » alors que la droite rêve du « retour à la Françafrique ».
Il plaide pour une approche « moins nombriliste » et pour un nouveau partenariat entre l’Afrique, la France et l’Europe. À cet effet, l’ancien secrétaire général de l’Élysée propose, dès après l’élection présidentielle, la mise en place d’une « Commission de haut niveau, bipartisane, de gauche et de droite ». Mission : écouter pendant un an tous ceux qui comptent en Afrique, au pouvoir et dans l’opposition, responsables de l’Union africaine, des organisations régionales et leaders de la société civile. Ce qu’on devra peut-être appeler la « Commission Védrine » a été accueilli avec intérêt sur le continent. Voici les premières réactions avant que vous, lecteurs, nous fassiez parvenir les vôtres.

Marie Tamoifo Nkom* « Pas de face-à-face passéiste »
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la proposition de M. Hubert Védrine. Je me sens directement concernée par la relation France-Afrique, car j’ai eu l’honneur de représenter la jeunesse africaine au sommet de Bamako et d’exprimer ses attentes par rapport à cette relation.
Voici quelques réflexions sur la proposition de M. Védrine.
Je voudrais d’abord dire que la jeunesse africaine compte sur la France – de droite ou de gauche – pour tenir les engagements que le président de la République, Jacques Chirac, a pris en décembre 2005 en accord avec l’ensemble des responsables africains.
Il revient à la France de fournir les moyens d’assistance technique et de financement pour que la jeunesse africaine et au sein de la diaspora, francophone, anglophone et lusophone, puisse s’organiser à l’échelle du continent et se donner les moyens partout d’échanger, de coopérer et de travailler en synergie Un tel projet donne à la France une mission qui dépasse le cadre de sa politique africaine traditionnelle : celle d’aider les jeunes de tous les pays à prendre leurs responsabilités et à accéder à la maîtrise de leur propre avenir. Une telle mission fait honneur à la France (et à la communauté internationale) à condition qu’elle l’assume jusqu’au bout et sorte ainsi de sa relation privilégiée avec la seule Afrique francophone. Le thème de la jeunesse africaine doit faire partie des missions de la Commission de haut niveau que M. Védrine propose avec beaucoup de justesse et de sagesse.
La jeunesse en Afrique et parmi la diaspora entretient une relation particulière avec la France, mais elle a aussi des liens avec l’Europe et avec l’ensemble des pays francophones et anglophones. N’en déplaise aux médias, nous ne sommes pas dans un face-à-face passéiste avec la France.
Porte-parole de la jeunesse africaine et de la diaspora et responsable du secrétariat permanent pour la coordination des activités des délégués africains présents à Bamako, j’ai établi des relations très étroites avec le Conseil international des jeunes pour la francophonie (Cijef) dans lequel sont représentés de nombreux pays européens et des organismes internationaux.
J’essaie actuellement de nouer des relations avec l’Union européenne et l’Union africaine. Les jeunes souhaitent cette ouverture sur l’Europe et le monde. Il est temps que les préjugés cessent ! Certes, l’Afrique est minée par des fléaux telles la guerre, la corruption, la famine, etc. Mais il existe une autre Afrique qui se construit, qui crée, qui bouge. Et c’est cette Afrique que j’ai envie de mettre en avant. Il ne faut pas pour autant occulter la souffrance endurée par les Africains, qui d’ailleurs a de multiples causes. Voilà les sujets que je veux traiter en gardant à l’esprit que ce sont les solutions et non les causes qui intéressent aujourd’hui la jeunesse africaine.
Il ne faut pas négliger ensuite le côté festif, car l’Afrique, c’est la chaleur, la bonne humeur, la fête. Les Africains travaillent et rient. Ils avancent, ils créent des entreprises, ils publient des magazines et ne tarissent pas de projets pour cette Afrique qui gagne.
Lorsque l’on organise des grandes rencontres internationales sans lendemain, alors qu’en Afrique, chaque deux secondes, un enfant meurt du palu, de sida ou de malnutrition, il y a un problème.
Si je devais me résumer je dirais :
Oui à ce que la France réunie, de droite et de gauche, tienne ses engagements vis-à-vis des jeunes Africains.
Oui à une relation avec la France qui ouvre largement les portes de l’Europe et à une relation avec la Francophonie qui donne à notre action la dimension internationale. La jeunesse africaine a besoin de voir large et loin.
Oui à une relation avec la France quand elle n’enferme pas les jeunes Africains dans une relation de dépendance, mais leur donne les moyens d’occuper toute la place qui leur revient dans l’avenir de leur continent.
Oui à une Commission qui intègre la jeunesse africaine comme partenaire privilégié au même titre que la société civile et les autres acteurs.

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*Porte-parole de la jeunesse africaine et de la diaspora au sommet Afrique-France de Bamako (3-4 décembre 2005).

Michael Philip Cracknell* « Il ne faut pas oublier les Américains »
L’idée de M. Védrine a du mérite et semble inspirée par une volonté généreuse de « faire quelque chose » pour le continent. Toutefois, la large gamme d’acteurs du continent préconisée doit pouvoir être vraiment consultée, ce qui n’est pas évident. Et comment sélectionner ceux qui valent la peine d’être consultés dans un souci d’efficacité sans que la liste soit trop longue ? Quelques remarques :
1. La Commission ne devrait pas être composée uniquement de bons Blancs français. Il y a beaucoup d’Africains originaires du continent qui pourraient apporter leur contribution, comme Kofi Annan et Alioune Sall, et d’autres, moins connus, comme Youba Sokona et Marie-Angélique Savané.
2. La politique française en Afrique n’a jamais été désintéressée, contrairement à ce que M. Védrine pourrait laisser croire.
3. Toute nouvelle politique de la France (ou de l’Europe) vis-à-vis de l’Afrique sera conditionnée par les énormes contraintes des traités et institutions internationales, notamment l’OMC et le FMI, qui interdisent toute action ne cadrant pas avec le néolibéralisme, lequel depuis plus de vingt ans n’a fait qu’enfoncer les pauvres (et les moins pauvres) dans la pauvreté. Il convient de tenir compte également des pressions des États-Unis et de la Chine, qui ne sont pas non plus désintéressés. Il est plus que banal à cet égard d’évoquer les politiques agricoles de l’UE et des États-Unis. Mais il faut penser aussi aux marchands d’armes, y compris français, qui ont tout intérêt à entretenir les conflits internes.

*Codirecteur Enda interarabe, Tunis, Tunisie.

Hakim Ben Hammouda* « Pour une nouvelle coopération ».

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J’ai trouvé la proposition de M. Védrine fort intéressante. Il est effectivement nécessaire de renouveler la réflexion sur les rapports de coopération entre l’Afrique, la France et l’Europe. Il est temps de réfléchir sur un nouveau cadre de coopération qui permettrait à l’Afrique de sortir du cercle vicieux de la misère, des épidémies et de la violence.
Grâce à cette Commission, on pourrait dessiner les contours d’une nouvelle ère de coopération entre l’Afrique et la France. Voici quelques remarques sur cette proposition. La première concerne le fait que beaucoup de Commissions ont été mises en place, la dernière en date à l’initiative du Premier ministre Tony Blair pour préparer le Sommet du G8 organisé par le gouvernement britannique. Il convient donc que la « Commission Védrine » prenne en considération la réflexion déjà développée. Il est aussi important que cette Commission soit ouverte à des experts et à des responsables africains pour qu’elle puisse intégrer la sensibilité africaine.
Enfin, cette Commission aura à examiner les différents aspects – notamment politiques, militaires et économiques – des relations entre l’Afrique, la France et l’Europe. Mais, quand il s’agit de l’économie, il est essentiel que cette Commission s’intéresse à la diversification des économies africaines afin de les aider à sortir de la trappe des matières premières. Le développement passe par la capacité des pays africains à entrer dans l’ère des nouvelles technologies non seulement comme consommateurs mais aussi comme producteurs.

*Directeur de la division du commerce de la finance et du développement économique de la Commission économique pour l’Afrique, Addis-Abeba, Éthiopie.

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