Stable, désespérément stable Cameroun
Croissance régulière, rebond pétrolier, inflation contenue : un tableau idyllique ? Non, soupirent les bailleurs de fonds, qui dénoncent l’écart entre la réalité et les objectifs des autorités camerounaises.
Les années se suivent et se ressemblent pour l’économie camerounaise. « La croissance reste vigoureuse mais insuffisante pour rehausser notablement le revenu par habitant et surtout pour que les autorités réalisent leurs ambitions de faire du Cameroun un pays émergent d’ici à 2035 », estime la Banque mondiale dans sa dernière note de conjoncture, publiée en janvier. Après avoir gagné 0,07 point en 2013, le taux de croissance du PIB ne devrait progresser que de 0,12 point en 2014, pour atteindre péniblement 4,8 %, selon les derniers chiffres du Fonds monétaire international (FMI), « soit la moitié de ce qu’il faudrait au pays chaque année pour répondre aux objectifs fixés par le gouvernement », confirme Souleymane Coulibaly, nouvel économiste en chef pour la Banque mondiale en Afrique centrale.
Lentement
Poursuite d’un redressement macroéconomique entamé au lendemain de la crise de 2009 pour les uns, stagnation des fondamentaux due à l’inertie des pouvoirs publics pour les autres… Le fait est que le Cameroun n’avance que très lentement. « Pour obtenir un bond remarquable, il faudrait des actions remarquables de la part du gouvernement », sourit Souleymane Coulibaly. Si les économistes louent le contexte politique pour « sa stabilité », les bailleurs de fonds, à l’image de la Banque mondiale, le jugent également « trop sensible pour permettre des avancées notables sur les questions cruciales de la pauvreté, du chômage des jeunes ou de la disparité constatée dans la distribution des richesses ». Une légère amélioration a bien été constatée l’an passé dans le partage des fruits de la croissance, mais elle n’était pas suffisante pour améliorer réellement les conditions de vie des couches les plus défavorisées de la population.
Pourtant, la conjoncture ne sera peut-être pas toujours aussi favorable. Le Cameroun peut en effet surfer ces dernières années sur la reprise de sa production pétrolière, qui était en berne jusqu’en 2011 mais qui rebondit grâce à l’entrée en exploitation de nouveaux gisements, récemment découverts ou peu accessibles jusqu’ici.
Après avoir progressé de plus de 4 % en 2012, les volumes extraits ont crû de 8 % en 2013 (atteignant 24,4 millions de barils). Le mouvement devrait se poursuivre ces prochaines années, selon la Société nationale des hydrocarbures (SNH, publique), qui s’attend à traiter 57 millions de barils en 2016. Mais la production devrait ensuite repartir à la baisse.
Glissade
« Le Cameroun a la chance de disposer d’une économie relativement diversifiée par rapport à ses voisins, il n’est donc pas complètement dépendant de son secteur pétrolier », observe Racine Kane, chargé du pays à la Banque africaine de développement (BAD). Les hydrocarbures ne comptent en effet que pour 8 % du PIB, contre 48 % au Nigeria voisin. Ils continuent néanmoins de peser très lourd dans les comptes de l’État, dont ils restent la première source de recettes budgétaires.
La hausse des volumes extraits, conjuguée à la bonne tenue des cours du brut l’an dernier, n’a pas empêché la balance commerciale de déraper à nouveau, à – 1,8 % du PIB. En cause : la glissade des exportations de café (- 50 % en volume) et l’augmentation continue des importations, à commencer par les matériaux nécessaires pour la réalisation des grands chantiers d’infrastructures en cours.
Lire aussi :
FMI : la croissance du Cameroun est insuffisante pour atteindre l’émergence en 2035
Cameroun : Standard & Poor’s s’inquiète du creusement des déficits
Cameroun : les secteurs-clés de la croissance
La fin attendue de la première phase de ces projets structurants et la bonne tendance observée sur certaines exportations agricoles (comme le caoutchouc, le coton ou le cacao) devraient, à moyen terme, redresser la balance commerciale, « à condition que le Cameroun diversifie ses produits d’exportation et cherche à mieux les valoriser », insiste Souleymane Coulibaly.
Dans la filière bois, la transformation locale des grumes reste insuffisante, et l’industrie dans son ensemble, pénalisée par les délestages récurrents, ne pèse pas assez lourd dans l’économie.
Eurodépendance
Le Cameroun est également encouragé à prospecter vers de nouveaux marchés pour sortir de son « eurodépendance » – les pays membres de l’Union européenne représentent plus de 40 % en valeur de tous ses échanges commerciaux. « Pas besoin d’aller très loin : le Nigeria et la zone Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale], avec des pays à fort pouvoir d’achat comme le Gabon, peuvent devenir des sources de croissance pour l’économie camerounaise », insiste le représentant de la Banque.
En attendant, plombée par les déficits courants (- 4,4 % du PIB en 2013) et commerciaux, la situation des finances publiques se dégrade, notamment sous la pression des subventions sur les carburants, qui absorbent chaque année l’équivalent de 3 % du PIB.
Si ces dernières permettent de contenir l’inflation (à 2,1 %), elles limitent les capacités d’investissement du pays, qui doit recourir à l’endettement pour financer ses déficits tout en poursuivant sa politique de grands travaux. D’autant que l’impôt est toujours aussi difficile à collecter. La mission conjointe organisée par le FMI et la Banque mondiale en mai devrait rappeler Yaoundé à ses fondamentaux.
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