Pièce explosive à Tunis

Khamsoun, la pièce de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, fait salle comble. Il est vrai que son sujet, les attentats terroristes, trouve un écho troublant dans l’actualité.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

C’est par une intrusion de dernière minute que deux grands noms du théâtre tunisien, Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, ont pu présenter leur nouvelle création au Théâtre municipal de Tunis. Khamsoun, une pièce en dialecte tunisien, a fait salle comble en février dernier. Elle n’était pourtant pas inscrite au programme de la saison 2007. La première mondiale avait eu lieu le 7 juin 2006 sur la scène de l’Odéon, à Paris, sous le titre Corps otages. Mais la pièce n’a pu être jouée à Tunis que six mois plus tard, après d’âpres négociations entre la Commission nationale d’orientation et les auteurs. La campagne de protestation que ces derniers ont menée a pesé, et c’est à la faveur de quelques interventions en haut lieu que, fin décembre, l’instance chargée de délivrer les visas d’exploitation publique a donné son feu vert.
Après Tunis, et un détour par le Japon, la troupe entame une tournée nationale en ce mois d’avril. « Nous, on ne nous oriente pas ! » clame Fadhel Jaïbi, qui affirme n’avoir concédé à la censure qu’un seul mot du texte controversé de Khamsoun, alors que la Commission exigeait la suppression de 286 termes. Il faut dire que si le metteur en scène se réclame d’un « théâtre citoyen » depuis toujours, sa dernière création est sans doute la plus ostensiblement politique de son uvre. Fruit d’une étroite collaboration avec Jalila Baccar, auteur du texte et premier rôle, la pièce se veut l’expression critique de la société tunisienne d’aujourd’hui. Elle met en scène l’histoire de Amal, fille de militants marxistes devenue islamiste. La jeune fille est arrêtée après le suicide d’une amie enseignante qui se fait exploser dans la cour de son lycée. Deux enquêtes s’ouvrent alors. Celle de la police, qui mène des interrogatoires musclés. Celle de la mère de Amal, qui veut comprendre les dérives idéologiques actuelles en allant réveiller les démons du passé.
À travers cette chronique d’un attentat terroriste, Baccar et Jaïbi célèbrent à leur manière le cinquantenaire de l’indépendance de leur pays (khamsoun signifie cinquante en arabe). Revisitant cinquante ans de dissidence politique en Tunisie, ils interrogent le lien entre la répression passée et l’activisme islamiste conjugué à l’actualité mondiale des crispations identitaires. Khamsoun a donc été créée d’après et pour l’Homo tunisianus cher à Jaïbi. Mais si la pièce est ancrée dans la réalité tunisienne, Jaïbi se défend d’un théâtre réaliste : « Je ne demande pas à un acteur d’être proche de la réalité, je lui demande d’être vrai et cela n’a rien à voir avec le réel. » Il ne s’agit donc pas d’être réaliste mais vraisemblable.
Sur le plateau nu, les comédiens s’engagent dans un jeu chorégraphié, imprimant à leur corps la dynamique des variations d’un texte subtil, truffé d’humour noir. Virevoltant du grotesque au tragique, c’est une galerie de personnages tout en nuances et en contradictions qu’ils offrent, en miroir de la société.
Distribuant équitablement le temps de parole sur scène, de l’islamiste au marxiste brisé, de la jeune fille soufie à la nouvelle garde gauchiste ou encore au flic zélé, Baccar et Jaïbi s’exposent à la vindicte. « Le public peut se sentir agressé parce que déstabilisé et incapable de s’identifier à des personnages qui seraient clairement classés comme bons ou mauvais », reconnaît Jaïbi. Mais il s’enthousiasme aussi des rires complices qui ont fusé chaque soir dans la salle. Forts de leur talent et d’une renommée internationale, Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi se sont imposés une fois de plus sur la scène tunisienne. Ils ont ouvert ainsi un espace de réflexion et d’expression. Universités, centres culturels et associations ont déjà organisé des discussions publiques. D’autres pourront sans doute s’engouffrer dans la brèche pour inviter un public plus large à réagir hors de l’anonymat des salles obscures.

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