Mobilisons l’épargne des Africains !
Jacques Jonathan Nyemb est avocat au barreau de Paris (Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP) et cofondateur de l’African Business Lawyers’ Club.
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L’Afrique vit dans un paradoxe qui ne saurait durer davantage. D’un côté, des particuliers disposant de liquidités très importantes ; de l’autre, un secteur privé et des États qui peinent à se financer. La difficulté à trouver de bons projets et la faiblesse de l’environnement institutionnel ne peuvent plus raisonnablement justifier une telle situation. Mobiliser les « bas de laine » des Africains, résidents ou non-résidents, devient une urgence. Un doublement de l’épargne intérieure disponible sur le continent permettrait d’aligner l’Afrique sur les autres régions émergentes et constituerait une enveloppe d’au moins 250 milliards de dollars (environ 180 milliards d’euros).
Réveiller ces ressources suppose avant tout de renforcer les circuits de captation de l’épargne nationale. Les États africains doivent absolument instaurer un cadre leur permettant de la mobiliser à leur profit, à travers des produits de placement fiables, à l’image du Livret A français. L’enjeu n’est rien moins que de faire de chaque Africain un investisseur à part entière, pour le développement de son pays, de sa sous-région et même du continent.
L’enjeu ? Faire de chaque citoyen un investisseur à part entière contribuant au développement de son pays.
On compte déjà quelques succès. Ainsi, en matière de gestion collective, le lancement récent d’initiatives promues par des acteurs privés (Amethis West Africa, par exemple, est le premier fonds d’investissement enregistré en Côte d’Ivoire) ou publics (au Rwanda, Agaciro Development Fund a pour objet de capter l’épargne des migrants) démontre l’existence d’une vraie demande de la part des acteurs institutionnels, des grandes fortunes et des particuliers africains en produits de placement rentables.
Les cadres réglementaires communautaires mis en place depuis une dizaine d’années en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale ouvrent de nombreuses perspectives. En revanche, les places financières africaines méritent pour la plupart d’être repensées avec un double objectif : se rapprocher de l’univers marchand (denrées agricoles, matières premières, etc.) et miser sur les lieux de rassemblement physique, plus propices aux échanges économiques et sociaux. À ce sujet, il est encourageant de constater que le modèle de l’Ethiopia Commodity Exchange est en train d’être dupliqué au Ghana et au Cameroun.
Au-delà de la création de circuits adaptés de captation de l’épargne, il faut également inventer les instruments permettant de réinjecter les fonds mobilisés dans l’économie réelle. Sur ce point, le rôle de l’État est fondamental. Ce dernier doit, pour ouvrir la voie aux entreprises, s’imposer en tant qu’émetteur de référence de produits obligataires. Certains États comme le Nigeria (avec les diaspora bonds), le Ghana ou le Cameroun ont déjà apporté des réponses qui méritent d’être étudiées de très près. L’utilisation de tels outils par les gouvernements va susciter l’intérêt du secteur privé, qui y verra un instrument attractif pour le financement de ses activités.
L’État devrait en outre s’impliquer durablement dans la promotion de projets ou le développement de secteurs ou de filières spécifiques en accordant sa « signature » au travers de fonds de garantie. Dans la zone franc, de telles structures existent, comme le Fonds de garantie des investissements privés en Afrique de l’Ouest (Fonds Gari), mais souffrent encore de la faible qualité de leur signature, faute de ressources financières conséquentes. Tout cela ne doit pas faire oublier la place à laisser à l’innovation afin de faire prospérer une industrie de la haute couture financière, les projets étatiques pouvant servir de « cobayes » avant de toucher le secteur privé local.
La question de la mobilisation de l’épargne des nationaux doit figurer au coeur de l’agenda des États africains. Le potentiel est immense et ne demande qu’à être exploré. Qui aurait pu penser, il y a encore seulement quelques années, que les travaux du barrage de la Renaissance, le plus important d’Afrique, débuteraient grâce aux seuls financements apportés par les Éthiopiens ?
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