Maroc : terroristes en déshérence

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

On parle souvent d’une exception marocaine en matière d’islamisme. Faut-il l’étendre au terrorisme ? Une chose est sûre : les kamikazes qui, à un mois d’intervalle (le 11 mars et le 10 avril), se sont manifestés à Casablanca ne ressemblent pas aux autres. Ils sont tout aussi déterminés à se donner la mort pour aller au paradis, mais ont, Dieu merci, du mal à atteindre leur objectif : faire le maximum de victimes alentour.
On avait déjà noté ce phénomène lors des attentats du 16 mai 2003 (45 morts) : l’un des terroristes avait flanché à la dernière minute, un autre ignorait que l’une des cibles, le Centre culturel juif, était fermée pour cause de shabbat, un troisième s’était acharné sur un cimetière L’état de déshérence des kamikazes marocains apparaît plus nettement encore dans les attentats avortés du 11 mars et du 10 avril. Dans le premier cas, Abdelfettah Raïdi, qui s’est fait exploser dans un cybercafé, était censé s’attaquer à diverses cibles et venait chercher des instructions sur Internet. Il se baladait depuis quatre jours dans Casa avec sa ceinture infernale et était sans doute au bout du rouleau Son compère de 17 ans n’est pas passé à l’acte et a été rapidement arrêté
C’est encore la traque des services de sécurité qui a provoqué les morts successives, le 10 avril, de quatre terroristes. Alors que la police était sur le point de les cueillir dans le quartier Farah, où ils étaient réfugiés depuis deux mois, l’un d’eux a tenté de résister avec un sabre. Il a été abattu avant de pouvoir actionner sa ceinture. Le deuxième s’est fait exploser sur une terrasse. Au cours de la chasse à l’homme qui s’est ensuivie, le troisième s’est donné la mort, dans l’après-midi. Le quatrième fuyard, dissimulé dans la foule, aurait pu faire beaucoup de dégâts en explosant à proximité de hauts responsables de la sécurité. Au total, l’opération s’est soldée par cinq morts, dont un inspecteur de police, et sept blessés graves.
Comment expliquer le désarroi manifeste des kamikazes au Maroc ? D’abord, tout simplement, parce que les services de sécurité peuvent faire leur boulot – ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé. Avant le 16 mai 2003, de pseudo-oulémas pouvaient diffuser une meurtrière idéologie djihadiste en toute liberté. Par la suite, Mohammed VI ayant dénoncé ce coupable « laxisme », tout le monde s’est ressaisi : pas moins de quinze cellules terroristes ont été démantelées. Si elles ne défraient pas la chronique, les opérations de ratissage et de contrôle sont incessantes. On estime à plus de trois mille le nombre des personnes appréhendées. Selon Mohamed Bouzoubaa, le ministre de la Justice, 1 399 d’entre elles ont été poursuivies et un millier jugées. Un chiffre intrigue, cependant : trois cents condamnés ont bénéficié d’une mesure de grâce. Certains, et notamment Raïdi, se sont empressés de récidiver. « Laxisme », à nouveau ? Dysfonctionnement de la politique sécuritaire (et judiciaire) ? Un initié avance une « hypothèse forte » : il n’est pas exclu, explique-t-il, que les grâces royales, justifiées par des considérations humanitaires, aient été, aussi, un stratagème policier. Sachant que les djihadistes condamnés n’ont rien perdu en prison de leur détermination, les services de sécurité auraient mis à profit leur libération anticipée pour mieux les surveiller et désamorcer leurs complots. En clair, les graciés pourraient avoir servi d’hameçon. L’ennui est qu’il arrive que « l’hameçon se transforme en poisson » – si l’on peut dire
Le grand problème que pose le terrorisme au Maroc vient du nombre considérable des kamikazes potentiels et de leur « imprévisibilité essentielle » soulignée par le politologue Mohamed Tozy (« on reconnaît un kamikaze lorsqu’il saute »). Et puis, pour être paumés, les kamikazes n’en sont pas moins redoutables. La traque du 10 avril n’est pas achevée. Une dizaine de « fous de Dieu » ceints de leurs engins de mort sont encore dans la nature. Motif d’optimisme : la population a pris conscience que le danger terroriste n’est pas seulement l’affaire du Makhzen. Sur la bande FM, les radios libres ont couvert en direct les péripéties de la journée du 10 avril. Informés, concernés, les Marocains sont mobilisés. Un atout de poids contre les kamikazes.

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