« Mais qu’est-il arrivé à la France ? »
« La présidentielle française ? Franchement, ici, ce n’est pas vraiment un sujet de conversation, constate un journaliste algérien. Les thèmes de campagne sont très franco-français, et les grandes questions de politique étrangère occupent une place trop secondaire. Plus généralement, depuis que les gens ont été privés d’accès aux bouquets satellitaires TPS et Canal Sat, ils s’intéressent beaucoup moins à tout ce qui se passe en France. »
Même son de cloche du côté de Tunis, où les empoignades entre Sarkozy, Royal et Bayrou ne passionnent guère. Au Maroc, en revanche, où la presse couvre largement les péripéties de la campagne, il semble que la politique française ait conservé quelque crédit. « Les gens suivent avec attention et curiosité, et, paradoxalement, s’intéressent beaucoup plus aux élections françaises qu’aux législatives qui seront organisées dans le royaume le 7 septembre, s’étonne un journaliste fraîchement revenu de Casablanca. Et le parcours original de Ségolène inspire une certaine sympathie, notamment dans les milieux de gauche. »
Mais pour le citoyen lambda, le candidat UMP a quasiment partie gagnée. C’est le plus expérimenté, le plus crédible et le plus politique. Pourtant, le héraut de « l’immigration choisie » n’a pas bonne presse : même si son profil « d’homme à poigne » séduit une opinion maghrébine peu encline au laxisme, sa victoire risque d’être synonyme de durcissement des conditions de délivrance des visas. Et le virage atlantiste et pro-israélien qu’il pourrait impulser à une diplomatie française traditionnellement équilibrée ne laisse d’inquiéter. « Mais face à lui, il n’y a personne, regrette Amine, un jeune créateur d’entreprise informatique de Casablanca : Ségolène Royal est trop légère et ne comprend rien à la politique étrangère ». Amine ne le dira pas, mais il le pense très fort : « la dame », à ses yeux, a un autre handicap : elle est socialiste. Et au Maghreb, les socialistes, volontiers donneurs de leçons et pas toujours au clair avec leur passé, beaucoup s’en méfient. Notamment les Algériens, qui n’ont pas oublié les équivoques et ambiguïtés de la gauche française, version SFIO, pendant les années de la guerre d’indépendance. Quant au centriste François Bayrou, il reste un objet de curiosité modérée : globalement, il n’est pas pris au sérieux.
Hela, une jeune Tunisienne travaillant dans le milieu associatif féminin, a le cur à gauche. Mais elle se sent déjà orpheline de Chirac. « Lui, au moins, il avait la stature. » Elle n’a pas oublié son esclandre de Jérusalem, en 1996, quand il s’était insurgé contre le traitement infligé par les forces de l’ordre israéliennes aux passants palestiniens dans les rues de la vieille ville. Elle lui sait toujours gré d’avoir dit non à la guerre en Irak. Sarkozy l’inquiète, Royal n’arrive pas à la convaincre, et elle aurait peut-être voté Bayrou, « par défaut », si elle avait été française. Samy, un homme d’affaires de vingt ans son aîné, a également bien du mal à s’y retrouver. « Vu du Maghreb, le niveau du débat semble consternant, et les gens se demandent ce qui arrive à la France. En 2002, les gens s’identifiaient plus facilement aux différents candidats. L’intérêt pour l’élection était rehaussé par les présences de Chirac et de Jean-Pierre Chevènement. En réalité, la France a changé, ce n’est plus la France éternelle, chère aux gaullistes, elle est rentrée dans le rang, s’est banalisée. Nous allons devoir apprendre à changer, nous aussi, le regard que nous portons sur elle. »
Les dirigeants maghrébins, eux, n’ont pas ces états d’âme. Même s’ils se sont prudemment abstenus de tout commentaire, il ne fait guère de doute qu’ils « voteront » Sarko. Parce qu’il est de droite, et qu’avec lui on reste en terrain de connaissance. Le cas tunisien est le plus limpide. Les socialistes, depuis le passage de Jospin à Matignon et son refus obstiné de venir à Tunis, ne sont pas dans les petits papiers du pouvoir. La droite, autrement plus compréhensive, est considérée comme une alliée sûre. Et Sarkozy est déjà presque un ami : il passe souvent ses vacances à Tozeur, s’est affiché au côté de ses homologues tunisiens quand il était ministre de l’Intérieur, et son frère Guillaume, un industriel spécialisé dans le textile, fait fabriquer une partie de sa production en Tunisie. À l’inverse, les dissidents, qui ont encore en travers de la gorge le discours de Chirac sur les droits de l’homme du 3 décembre 2003, ont une nette préférence pour Ségolène.
Côté algérien, les choses semblent en apparence un peu plus nuancées. Le pouvoir a souvent « penché » à droite, sauf en 1981, quand il avait salué l’élection de Mitterrand (et la défaite de Giscard, « le copain » de Hassan II). Les autorités ont déroulé le tapis rouge à François Hollande et à Jack Lang lors de leurs voyages à Alger, où ils ont fait un début d’acte de contrition pour les méfaits de la colonisation française. Mais Sarkozy avait bénéficié du même traitement Les Algériens font-ils monter les enchères, sachant que Sarkozy fait campagne avec virulence contre l’idée même de repentance ? Sans doute. Quelle que soit l’identité du futur président, les Algériens ne le ménageront pas. Mais, tempère un observateur, « le président Abdelaziz Bouteflika est malgré tout plus à l’aise avec Sarkozy. Il a l’avantage d’être moins ouvertement promarocain que Chirac. Mais personne ne se fait trop d’illusions : il y a peu de chances que son élection débouche sur une approche plus équilibrée – ou moins partiale – du dossier du Sahara occidental. »
Les Marocains, qui n’ont jamais eu à se plaindre de l’actuel locataire de l’Élysée, inclinent eux aussi pour Sarkozy, car il incarne une certaine continuité, et il s’est efforcé de donner des gages d’attachement au royaume en y multipliant les visites. Mais à la différence des Tunisiens, ils n’ont pas de problèmes avec les socialistes français, également très promarocains. Dominique Strauss-Kahn, Élisabeth Guigou ou Hubert Védrine, pour ne citer qu’eux, sont en effet de fervents amis du Maroc. Que la droite ou la gauche l’emporte, le plus important, vu de Rabat, est que la position de la France dans l’épineuse affaire du Sahara occidental reste inchangée.
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