Lignes de fracture classiques

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

Quand ils ont commencé à dresser leurs plans de campagne électorale, les douze candidats sont partis des attentes économiques et sociales de leur « marché », autrement dit les Français. Or ceux-ci témoignent d’une grande constance dans deux domaines : la mondialisation et le chômage. Dans le premier cas, il est patent que deux Français sur trois estiment que la libéralisation des échanges est un danger et qu’il faut conserver des barrières douanières. En ce qui concerne le chômage, et malgré un recul incontestable du nombre de sans-emploi depuis deux ans, les parents ne supportent toujours pas de voir leurs enfants « en panne » de travail.
C’est ainsi qu’on a pu constater un étonnant tir croisé sur la Banque centrale européenne (BCE) et sa politique de lutte contre les risques d’inflation, dénoncée comme ravageuse pour l’emploi. La nécessité d’un certain protectionnisme au niveau européen a été esquissée par la candidate socialiste aussi bien que par son adversaire de la majorité sortante. Jean-Marie Le Pen (Front national) parle de « faire de la confiture » de l’euro, jugé coupable de nuire aux Français. Quant à Nicolas Sarkozy (UMP), il veut « déclencher une offensive diplomatique » pour affaiblir la monnaie européenne, trop chère à son goût.
À ces lignes de résistance « classiques » se sont ajoutées en cours de campagne deux préoccupations : la dette publique, de l’ordre de 1 200 milliards d’euros, et le pouvoir d’achat. Chaque bébé qui naît en France est ainsi affligé d’une dette de 20 000 euros, et cela commence à impressionner dans les foyers de l’Hexagone. D’autre part, depuis quelques semaines, on voit se multiplier les grèves pour obtenir des augmentations salariales ; maintenant que les 35 heures sont considérées comme acquises, le pouvoir d’achat revient au premier rang des revendications.
Les candidats ont donc tenté de répondre à ces peurs et à ces désirs. Un objectif qui a davantage marqué leur programme que le souci de l’image qui a inspiré les slogans de la « révolution tranquille » de François Bayrou (UDF), de la « rupture » prônée par Nicolas Sarkozy (UMP) ou du « blairisme » affiché de Ségolène Royal (PS).
On dit souvent qu’il est de plus en plus difficile de distinguer les programmes de la gauche de ceux de la droite et que cette confusion est à l’origine d’une désaffection des électeurs à l’égard de la politique. C’est faux pour la campagne qui s’achève.
Le clivage droite-gauche est tout à fait net sur la façon de revaloriser le travail. À gauche, on entend donner du pouvoir d’achat aux travailleurs. De Royal à Olivier Besancenot (LCR), en passant par Marie-George Buffet (PCF) et l’altermondialiste José Bové, on veut porter le smic à 1 500 euros par mois plus ou moins rapidement. À droite, l’amélioration du revenu passe sans conteste par une meilleure rémunération des heures supplémentaires (Bayrou, Sarkozy), voire par une suppression des 35 heures (Le Pen et Philippe de Villiers).
Comme la revalorisation du travail passe aussi par l’emploi, la fracture n’est pas moins nette sur ce sujet. La droite préfère aider les entreprises pour qu’elles se remettent à embaucher. Bayrou propose d’exonérer pendant cinq ans toutes les entreprises qui créeront deux emplois à durée indéterminée et de soutenir les PME par le vote d’un small business act à la française. Sarkozy veut réglementer le droit de grève. Le Pen annonce qu’il débarrassera « les forces productives » des contraintes administratives et fiscales où elles s’engluent.
À gauche, le salarié est l’objet de toutes les attentions. Besancenot souhaite interdire les licenciements. Bové demande l’extinction du temps partiel et des contrats précaires, et réclame le blocage des délocalisations. Royal propose de créer des emplois aidés, qu’il s’agisse de 500 000 « emplois-tremplin » ou du « contrat première chance » réservé aux 190 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification.
Autre sujet sur lequel les positions sont tranchées : les impôts. Comme un seul homme, la droite entend les réduire. Sarkozy veut supprimer les droits de succession pour 95 % des Français, baisser de 5 points l’impôt sur les sociétés, actuellement de 33 %, et déduire de l’impôt sur la fortune les investissements dans les PME ; Bayrou propose de créer une tranche allégée de l’impôt sur les sociétés à 18 % ; Le Pen baisserait systématiquement tous les impôts, et Villiers diviserait par deux les charges pesant sur les PME.
Même si Royal parle de réduire le train de vie de l’État, elle est foncièrement d’accord avec le reste de la gauche pour ne pas amputer les revenus de l’État. Pas question, en effet, de porter atteinte aux services publics en les privant de crédits. Certains candidats de gauche vont jusqu’à demander des impôts accrus ; par exemple Dominique Voynet (Verts) voudrait une TVA majorée à 33 % pour les produits de luxe et les produits polluants, et Arlette Laguiller (LO) alourdirait pour les « riches » aussi bien l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les successions que l’impôt sur les sociétés, porté à 50 %.
Menacées par la montée des déficits, la santé et la retraite figurent en bonne place dans les professions de foi. La technicité et la complexité de ces deux dossiers expliquent que les propositions les concernant partent dans tous les sens !
Royal n’abrogerait ni la réforme de l’assurance-maladie de 2004, ni celle de 2003 sur les retraites. Elle insiste sur la nécessité de la prévention, le renforcement de la médecine pour les jeunes et la médecine du travail. Elle créerait des dispensaires en zones rurales, se servirait de la CSG (contribution sociale généralisée) pour faire face au vieillissement, augmenterait les petites retraites de 30 à 50 euros par mois et fixerait un minimum de pension proche du smic.
Bayrou parie sur une régionalisation du système des soins ; un conseil régional de la santé regrouperait les soignants, les gestionnaires des caisses et les associations d’usagers. Il propose un système de retraite à points permettant de choisir la date de son départ à la retraite. Il parle d’une retraite minimale à 90 % du smic et veut supprimer les inégalités entre les salariés du public et ceux du privé.
Sarkozy améliorerait le remboursement des soins et maintiendrait un accès aux soins sur tout le territoire grâce aux médecins de ville et aux hôpitaux de proximité, qu’il s’agisse d’établissements privés ou publics. Il encouragerait l’allongement de la vie professionnelle au-delà de 65 ans et supprimerait les régimes de retraite spéciaux de la SNCF et de la RATP.
Le Pen étatiserait la Sécurité sociale et augmenterait de 35 % les cotisations sociales pour les étrangers. Il envisage d’interdire les recherches sur les thérapies géniques, le clonage et l’euthanasie. Favorable au retour de la retraite à 65 ans, il veut instaurer un système de retraite par capitalisation et inciter les étrangers à prendre leur retraite dans leur pays d’origine.
Buffet supprimerait les réformes de l’assurance-maladie et des retraites. Elle parie sur la prévention et propose le remboursement à 100 % des soins par la Sécurité sociale. Le financement des dépenses supplémentaires serait assuré par une augmentation des prélèvements sur les entreprises. Elle réclame le droit de prendre sa retraite à 60 ans et à 55 ans pour les emplois pénibles.
Besancenot supprimerait l’exercice libéral de la médecine et promet des soins gratuits pour tous. Il nationaliserait les cliniques privées et l’industrie pharmaceutique. Il veut la retraite à 60 ans et déclare qu’aucune pension ne sera inférieure au smic.
On ne s’étonnera pas que ce festival de promesses se traduise par un coût pour le budget de l’État. Selon des calculs controversés, il semblerait que le plus dépensier des trois « grands » candidats soit Royal, avec 62 milliards d’euros de dépenses supplémentaires ; elle serait suivie de Sarkozy avec 51 milliards et de Bayrou avec 11 milliards. Comme tous les trois ont juré qu’ils juguleraient les déficits publics et donc la montée de la dette, on attend avec impatience de connaître les promesses qu’ils oublieront de tenir une fois élus.

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