Le temps des kamikazes

Les attaques-suicides du 11 avril à Alger, comme celles de Casablanca, la veille, portent une sinistre griffe : celle d’al-Qaïda.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

Alger, 11 avril, 10 h 40. Le Premier ministre Abdelaziz Belkhadem reçoit le ministre omanais des Affaires religieuses. Les deux hommes évoquent les difficultés que pose l’enseignement du Coran en ces temps d’instrumentalisation de la religion par les groupes terroristes. Soudain, une déflagration fait voler en éclats les vitres du salon où se déroule l’entretien. Un ou plusieurs kamikazes viennent de propulser leur véhicule bourré d’explosif contre le poste de police à l’entrée du Palais du gouvernement, siège de la primature et de plusieurs ministères, dont celui de l’Intérieur.
Au même moment, à une dizaine de kilomètres de là, deux voitures foncent sur le commissariat de police de Bab Ezzouar, dans la banlieue est d’Alger, sur la route de l’aéroport. Avant que l’agent de faction ait le temps de réagir, les kamikazes actionnent leurs bombes Le bilan des deux attentats est terrible : 33 tués, plus de 200 blessés, dont une cinquantaine grièvement atteints, et des dégâts matériels considérables.
Ce 11 avril, les Algérois se sont couchés plus tôt que d’habitude. Magasins et restaurants ont baissé leurs rideaux dès la nuit tombée et les retardataires pressaient le pas pour rentrer chez eux. Tous ont pris conscience que, résiduel ou pas, le terrorisme islamiste peut encore frapper à leur porte. Certes, les Algériens ont déjà connu en 1995 et en 1996 des attentats-suicides. Mais les derniers en date sont particulièrement inquiétants. D’abord, parce qu’ils ont symboliquement pris pour cible des centres du pouvoir. Ensuite, par leur synchronisation et le secret absolu qui a entouré leur préparation : les services de renseignements n’ont rien vu venir

Qui sont les kamikazes ?
Trois heures après l’explosion au Palais du gouvernement, un certain Abou Mohamed Salah, se présentant comme le porte-parole d’al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique, nouvelle appellation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), que commande Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, revendique « l’opération Badr » (la première bataille victorieuse du Prophète de l’islam). Il précise qu’elle va s’étendre à toute l’Algérie, ainsi qu’au Maroc et à la Mauritanie, puis rend hommage aux kamikazes : trois jeunes hommes animés d’une détermination farouche.
Ni pendant la guerre de libération (1954-1962) ni pendant l’insurrection islamiste des années 1990, les combattants algériens ont eu recours aux attentats-suicides. Pour des raisons religieuses. Selon le rite sunnite malékite, le fida, qu’on pourrait traduire par « sacrifice militaire », n’est licite que dans le cas où son auteur se ménage une chance de survie, le suicide étant prohibé par l’islam. On ne connaît que deux exceptions. La première a eu lieu en juin 1995 quand un camion piégé conduit par un adolescent a percuté le mur d’enceinte du commissariat central d’Alger. La seconde, un an plus tard, quand une opération similaire a pris pour cible le siège de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), à Bab el-Oued.
Le choix du GSPC de recourir aux kamikazes est manifestement la conséquence de son allégeance à al-Qaïda, en septembre 2006. Il a fait sienne des techniques de guérilla qui ont fait leurs preuves dans l’Afghanistan post-11 Septembre et, bien sûr, en Irak. Le rôle de ces deux pays dans le développement du djihadisme international est capital. Le premier a été son incubateur, le second est un laboratoire qui produit à échelle industrielle des candidats au martyre. L’enquête ne l’a pas encore établi, mais il y a fort à parier que les auteurs des attentats du 11 avril appartiennent à ce qu’on appelle en Algérie la « génération Zarqaoui », ces jeunes passés par les camps d’entraînement d’al-Qaïda en « Mésopotamie ». Selon un officier de la police judiciaire, sur les cinq cents Algériens qui se sont portés volontaires pour combattre l’armée américaine en Irak, seuls cent vingt ont été identifiés. Les autres sont perdus dans la nature.

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Qui est Abou Mohamed Salah ?
Le porte-parole local d’al-Qaïda, qui n’a pas été identifié par les services algériens, en est à sa deuxième sortie médiatique. La première date de février 2007, au lendemain de six attaques simultanées contre des commissariats de police et des brigades de gendarmerie à Boumerdès, Tizi-Ouzou et Alger. Pour ces opérations, le groupe terroriste a utilisé des véhicules piégés munis d’un détonateur actionné à distance par un téléphone portable. L’enquête a permis d’identifier l’artificier : un vétéran de la guerre d’Afghanistan de nationalité marocaine réfugié dans les maquis de Kabylie.

Existe-t-il un lien entre les attentats d’Alger et ceux de Casablanca ?
Le gouvernement marocain l’a démenti formellement. Pourtant, la « coopération » entre les djihadistes des deux pays ne fait aucun doute, même si elle ne porte pas forcément sur l’organisation concrète des opérations. Baltasar Garzón, le juge antiterroriste espagnol, a établi que les membres du Groupe islamique combattant marocain (GICM) qui ont perpétré les attentats de Madrid, le 11 mars 2003, avaient bénéficié de la complicité du GSPC.
Depuis la mi-mars, l’armée algérienne ratisse les maquis du Djurdjura, en Kabylie. Selon les confidences d’un terroriste capturé dans la région de Merdj Ouaman, près de Béjaïa, une importante réunion de coordination devait en effet rassembler autour d’Abou Moussab Droukdel de nombreux émirs et combattants marocains et mauritaniens. La crème des salafistes maghrébins se trouverait donc encerclée dans le Djurdjura. L’opération en cours mobilise près de dix mille soldats, gendarmes et gardes municipaux (pour leur connaissance du terrain).

Comment a réagi le pouvoir algérien ?
Au moment de l’attaque contre le Palais du gouvernement, Abdelaziz Bouteflika recevait le nouvel ambassadeur de Russie venu lui présenter ses lettres de créances. Le président n’a pas pour autant modifié son agenda matinal. Il a notamment reçu en audience Abdallah Kallel, le président de la Chambre tunisienne des conseillers (Sénat).
En revanche, tous ses rendez-vous de l’après-midi ont été annulés, le Conseil national de sécurité ayant été convoqué en urgence. Étaient présents : Abdelaziz Belkhadem, le chef du gouvernement ; Noureddine Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur ; Abdelmalek Guenaïzia, son collègue délégué à la Défense ; le général Gaïd Salah, chef d’état-major ; et le général Mohamed Medienne, alias Tewfik, chef du Département recherche et sécurité (DRS). Ce dernier a d’abord exposé les premiers résultats de l’enquête. Après quoi, le président a longuement écouté l’évaluation de la situation faite par son ministre de l’Intérieur. Sa première décision a été de maintenir le calendrier électoral. « Pas question, a-t-il expliqué en substance, de se laisser dicter sa conduite par des obscurantistes. » Les législatives auront donc bien lieu le 17 mai.
Bouteflika a par ailleurs chargé Zerhouni et le général Gaïd Salah de prendre toutes les mesures de nature à prévenir de nouveaux attentats : renforcement du dispositif de protection des sites sensibles, réinstallation de barrages routiers filtrants, poursuite de la pression militaire sur l’état-major du GSPC, etc.

Et maintenant ?
Quelle que soit l’efficacité des services de sécurité, les attaques-suicides sont quasi imparables. Surtout si leurs auteurs, comme c’est le cas de ceux du 11 avril, ne sont pas fichés comme militants ou sympathisants salafistes, donc inconnus des services de police. Grâce à Internet, la préparation de voitures piégées est devenue un jeu d’enfant. Nul besoin de TNT ou de nitroglycérine : des produits chimiques – détergents, par exemple – disponibles dans le commerce suffisent à confectionner une bombe capable de faire d’énormes dégâts.
Reste à évaluer le nombre de kamikazes dont disposent les terroristes islamistes au Maghreb. Si la source est intarissable en Afghanistan et en Irak, tel n’est, semble-t-il, pas le cas en Algérie. Quoi qu’en dise la propagande salafiste, le renouvellement des effectifs est de plus en plus difficile. Aux coups de boutoir de l’armée s’ajoutent la politique de réconciliation nationale (extinction des poursuites judiciaires en échange de la reddition des combattants) mise en uvre par Bouteflika, mais aussi la sensible amélioration des conditions socio-économiques dont bénéficient les jeunes Algériens. Pauvreté et chômage sont en effet les meilleurs arguments des recruteurs djihadistes.
Il n’en demeure pas moins que, quels que soient le nombre des salafistes et l’importance de leurs moyens logistiques, la menace terroriste plane sur l’ensemble du Maghreb. Al-Qaïda a atteint son objectif : diffuser, via Internet et les chaînes satellitaires, un message global comprenant la désignation de cibles. Un message que les Algériens du GSPC et les Marocains du GICM ont manifestement entendu.

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