Les pouvoirs votent Sarko, les opposants Ségo

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Evidemment, la plupart des hommes politiques subsahariens se gardent bien de dire à qui va leur préférence à quelques jours du premier tour de l’élection française. Le résultat est trop incertain. Il ne faut surtout pas insulter l’avenir Mais, une fois n’est pas coutume, cette élection passionne et divise. Pour beaucoup d’observateurs, ce n’est pas « blanc bonnet et bonnet blanc », comme au temps de la cohabitation Chirac-Jospin. Aujourd’hui, il y a un vrai enjeu, comme en 1981. Sarkozy-Royal, c’est un peu le remake de Giscard-Mitterrand.
D’un côté, beaucoup de chefs d’État « votent » à droite – à l’exception très probable de l’Ivoirien Laurent Gbagbo et du Rwandais Paul Kagamé. De l’autre, beaucoup d’opposants votent certainement à gauche. Pour l’instant, peu se prononcent pour François Bayrou. Il n’est pas encore assez connu.
Pourquoi ce clivage ? Pas seulement à cause du discours de Sarkozy sur l’immigration et contre les sans-papier. Le débat est plus fondamental. « En Afrique, les gens au pouvoir sont pour le statu quo, donc pour l’héritier de Chirac », analyse l’homme politique tchadien Saleh Kebzabo. « En revanche, beaucoup d’opposants pensent que la nouvelle génération des socialistes français pourra les aider à se débarrasser des régimes africains en place. »
Qui « vote » Sarkozy ? Sans aucun doute, les chefs d’État dont le régime tient avec l’aide de l’armée française. « La multiplication des interventions militaires improvisées au profit de régimes réputés amis, au Tchad ou en Centrafrique, nous détourne des objectifs de développement qui devraient être prioritaires », a affirmé Ségolène Royal dans Témoignage chrétien en février. Quand la candidate socialiste propose de renégocier les accords de défense et de coopération militaire entre la France et ses partenaires africains, on devine aisément la réaction d’un Idriss Déby Itno ou d’un François Bozizé.
Autres partisans très probables du candidat UMP, les chefs d’État qui sont dans le collimateur de la justice française, à l’exception sans doute de Kagamé. Denis Sassou Nguesso n’oublie pas que Chirac est intervenu personnellement, une nuit d’avril 2004, pour faire libérer le directeur de la police congolaise, Jean-François Ndengué, poursuivi par un juge d’instruction français dans l’affaire du Beach. L’Angolais José Eduardo dos Santos garde une vieille rancune à l’égard de Jospin, l’homme qui a autorisé le ministère français de la Défense à porter plainte contre le marchand d’armes Pierre Falcone en 2001. Et, à tort ou à raison, le Djiboutien Ismaïl Omar Guelleh fait sans doute le calcul que, si la droite reste au pouvoir, la justice française n’ira pas trop loin dans son enquête sur l’assassinat du juge français Bernard Borrel en 1995.
Bien sûr, les fins connaisseurs de la politique française savent que Sarkozy n’est pas le clone de Chirac. Il est plus imprévisible. Surtout, dans son discours de Cotonou, en mai 2006, il a dénoncé « le paternalisme » et « les réseaux d’un autre temps ». Mais quand ils viennent à Paris, le Gabonais Omar Bongo Ondimba et le Congolais Denis Sassou Nguesso ne manquent pas d’inviter le président de l’UMP à déjeuner au Bristol ou au Meurice. Du reste, Sarkozy ne s’en cache pas. « J’apprécie les présidents Amadou Toumani Touré, Boni Yayi, Omar Bongo Ondimba, Denis Sassou Nguesso et quelques autres », confiait-il à Jeune Afrique en novembre dernier.
Avec Abdoulaye Wade, la relation est plus complexe. À la fois plus proche et plus distante. L’an dernier, les deux hommes se sont frottés sur le concept de « l’immigration choisie » proposé par la France, puis se sont réconciliés sur celui de « l’immigration concertée ». En février, pendant la campagne présidentielle au Sénégal, Sarkozy a envoyé un message de soutien au candidat Wade. Rien de plus normal entre deux hommes politiques qui affichent leurs convictions libérales. Mais quand l’ancien ministre français Olivier Stirn a lu le message à la tribune du dernier meeting électoral de Wade, la foule s’est tue d’un seul coup. Pas un bruit, pas un applaudissement. Dans le pays d’où partent les pirogues pour les Canaries, la droite française n’a pas bonne presse. « Avec Sarkozy au pouvoir, tous les émigrés devront rentrer, clandestins ou pas », dit-on à Dakar. Autant dire qu’aucun homme politique sénégalais ne soutient publiquement le candidat Sarkozy, pas même le libéral Idrissa Seck.
Du côté de Royal, les supporteurs subsahariens les plus nombreux viennent de l’opposition. Si celle-ci est socialiste, on affiche même les couleurs. Au Sénégal, Ousmane Tanor Dieng a reçu chaleureusement la candidate française à la Maison du Parti socialiste en septembre dernier. Au Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, lui-même candidat à la présidentielle du 29 avril dans son pays, ne cache pas ses affinités avec la « camarade » française. Un autre opposant malien glisse : « J’aurais préféré qu’elle ait plus d’étoffe, mais j’espère quand même qu’elle passera. » Au Cameroun, John Fru Ndi ne fait pas mystère de sa préférence pour la gauche, bien que Mitterrand l’ait toujours tenu en lisière. Il est vrai que son adversaire, le président Biya, est un vieil ami de Chirac.
En fait, la relation à Chirac est déterminante dans le choix de beaucoup d’hommes politiques. Certes, Gbagbo est un déçu de la gauche française. Depuis que le premier secrétaire socialiste François Hollande l’a jugé « infréquentable » et a limogé son ami Guy Labertit de l’appareil du PS, le président ivoirien ne parle plus qu’avec quelques mitterrandiens comme Roland Dumas, l’ancien ministre des Affaires étrangères. Mais pour Gbagbo, la compagne de Hollande reste tout de même la candidate du moindre mal. Tout vaut mieux qu’un héritier de Chirac, l’ennemi intime, l’ennemi de toujours. À l’inverse, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara espèrent sans doute que Sarkozy l’emportera. Entre le président du RDR (Rassemblement des républicains) et celui de l’UMP, la relation d’amitié est ancienne. « Je connais Alassane Ouattara depuis l’époque où il était le directeur adjoint du FMI, dit Sarkozy. Et je pense qu’il fait partie de ces hommes qui font honneur à l’élite africaine. » (Voir J.A. n° 2391.)
Paul Kagamé a-t-il une préférence ? Pas sûr. Ses rapports avec Chirac sont exécrables. Mais ses relations avec Mitterrand n’étaient pas meilleures. En fait, le président rwandais se déterminera en fonction de celui ou de celle qui acceptera de poser un acte de repentance après le génocide de 1994. Avec Sarkozy, c’est hautement improbable. Avec Royal ?
Reste l’inconnue Bayrou. Si le candidat centriste l’emporte, beaucoup de Subsahariens seront désorientés. Pour une raison toute simple : ils ne le connaissent pas. Bayrou n’a guère voyagé en Afrique. Il avait programmé une visite au Bénin ce mois-ci, mais elle a été annulée, faute de temps. Une exception tout de même : le Darfour, où il s’est rendu en février 2005. Le mois dernier, le candidat « ni droite ni gauche » a agité la menace d’un boycottage des jeux Olympiques de Pékin si la Chine continue de soutenir le régime soudanais. Comme Royal. Bayrou est-il l’homme qui ne fréquente pas la « Françafrique » ? Pas si simple. Depuis quelques années, il rend visite régulièrement à Omar Bongo Ondimba quand celui-ci vient à Paris. Il est vrai que le président gabonais est l’ami de beaucoup d’hommes politiques français

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