Les mauvaises habitudes

Conscientes des dangers qui menacent les écosystèmes du royaume, les autorités réfléchissent aux moyens de concilier croissance économique et développement durable.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Une forêt en recul de 31 000 hectares (ha) par an ; des seuils de pollution atmosphérique régulièrement dépassés dans les grandes agglomérations ; une gestion peu rationnelle des ressources en eau, dont le tiers du volume destiné à la consommation disparaît dans les réseaux de canalisation ; 1 670 espèces végétales et 610 espèces animales en voie d’extinction ; une érosion hydrique qui entraîne la perte de 20 000 ha de terres fertiles par an… Au Maroc, tous les indicateurs convergent : les milieux naturels sont mal en point et doivent subir, sans plus attendre, une sérieuse cure de désintoxication.
La mise au vert paraît d’autant plus urgente que le dynamisme du pays continue d’imposer une très forte pression sur l’environnement. Entre 1994 et 2004, la population du royaume s’est accrue au rythme annuel de 1,4 %, pour atteindre près de 30 millions d’habitants. La proportion de citadins est passée de 51,5 % à 55,1 %. Quant au PIB, il a affiché un taux de croissance moyen de 5,4 % durant les six dernières années, grâce notamment aux secteurs agricole et touristique, dont les activités vont souvent à l’encontre de la cause écologique. Selon les autorités, un chiffre résume, à lui seul, le phénomène : 13 milliards de DH (1,1 milliard d’euros). Il s’agit du coût global engendré par la dégradation des milieux naturels du Maroc en 2003… soit 3,7 % du PIB !
« Si, pendant longtemps, le Maroc a eu d’autres priorités que l’environnement, les autorités mettent désormais tout en uvre pour rattraper le retard », se défend Mohamed el-Yazghi, le ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Eau et de l’Environnement. Le résultat d’une réelle prise de conscience mais aussi d’un mouvement international que le Maroc a été obligé de suivre à la veille de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange prévu avec l’Union européenne (UE) en 2010.
En 2001, en effet, la convention de Stockholm sur l’interdiction des polluants organiques persistants a été signée par 124 gouvernements. L’année suivante, le développement durable s’est retrouvé au cur des débats du sommet de la Terre de Johannesburg, auquel ont participé une centaine de chefs d’État. Enfin, en février 2005, le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre élaboré à la suite du sommet de Rio de 1992 est devenu effectif, après avoir été ratifié par 156 pays. « L’ouverture démocratique du Maroc a accéléré la mise en place d’une véritable politique environnementale. À l’étranger, l’écologie est devenue une image de marque à forte valeur ajoutée. Toutes les grandes multinationales ont aujourd’hui intégré cette donnée », explique Mohssine Semmar, directeur des études et de la planification industrielle au ministère de l’Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau de l’économie.
Depuis le début des années 2000, le royaume a progressivement installé un dispositif qui, selon les autorités, doit permettre d’enrayer la destruction progressive des écosystèmes. L’approche sectorielle retenue dans les années 1980 et 1990 a été abandonnée au profit d’une approche plus globale privilégiant la concertation, symbolisée par la création d’un vaste ministère de l’Environnement en 2002, dont les compétences incluent également l’aménagement du territoire et la planification de la politique de l’eau. « Nous nous sommes engagés dans un processus transversal destiné à rendre l’action publique plus cohérente, tant au niveau de l’État que des collectivités locales et du privé », poursuit Mohamed el-Yazghi. La nouvelle donne s’est accompagnée de la mise en uvre d’un Plan d’action national pour l’environnement (Pane), qui sert de cadre à l’ensemble des projets réalisés dans le pays.
Parallèlement, l’arsenal législatif ébauché jusqu’alors a été renforcé. « Après la loi sur l’eau de 1995, nous avons mis en place des lois sur les carrières, la protection de l’environnement, la pollution atmosphérique, les études d’impact et les déchets solides. Seul manque un texte sur le littoral, actuellement en préparation, pour compléter le dispositif », reprend le ministre, dont les services précisent qu’une quarantaine de lois, décrets et arrêtés ont, au total, été promulgués ou sont en cours d’adoption depuis dix ans. Reste à les faire appliquer, lancent, unanimes, les militants écologistes, qui craignent que la législation votée reste sans effets faute de décrets d’application… Certains souhaiteraient, par ailleurs, la mise en place de textes plus audacieux. Le gouvernement s’intéresse uniquement à la résolution des menaces qui pèsent actuellement sur l’environnement. Il gère dans l’urgence, sans anticipation, déplorent-ils en substance.
Ces différents textes n’en sont pas moins destinés à servir de base pour relever le défi visant à sécuriser les ressources naturelles et assurer la santé de la population. En bref, il s’agit de concilier croissance économique et développement durable, et de promouvoir une meilleure répartition de la « charge polluante » sur le territoire marocain. Mais attention, prévient l’un des membres du bureau du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) en charge des questions environnementales, à Rabat : « C’est uniquement en associant la population que les autorités pourront faire bouger les choses. Les gens doivent se sentir concernés si on veut que leurs habitudes changent. » Et que l’environnement s’offre la cure de jouvence dont il a bien besoin.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires