Le salut par l’épuration

Un réseau de distribution efficace couvre l’ensemble du territoire. Mais face à l’augmentation de la demande, les ressources se raréfient.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Au Maroc, l’or n’est pas noir, il est bleu. Avec 3 500 km de côtes et quatre grandes chaînes de montagnes (Rif, Haut-, Moyen- et Anti-Atlas) qui couvrent le tiers de son territoire environ, le pays dispose d’un potentiel de quelque 22 milliards de m3 d’eau naturelle par an. Et fait donc figure de privilégié dans la région.
Le taux national d’accès à l’eau potable de la population y est aujourd’hui de 90 %, selon l’Office national de l’eau potable (Onep). Grâce à un investissement de l’État de quelque 2 milliards d’euros sur les douze dernières années, la totalité des citadins marocains est désormais raccordée au réseau de distribution, via un branchement à domicile dans 92 % des cas. Les campagnes rattrapent leur retard à grands pas : entre 1994 et 2006, 8,7 millions de ruraux supplémentaires ont été « raccordés », portant le taux rural d’accès au précieux liquide de 14 % à 77 %. La barre des 90 % pourrait même être franchie à la fin de 2007. Quant à l’agriculture, elle profite d’une superficie de terres irriguées de 1,45 million d’hectares (ha), pour un potentiel irrigable de 1,66 million d’ha, alors qu’elle ne pouvait compter que sur 150 000 ha en 1960.
Cette situation, très honorable en Afrique, est liée à « une question de priorité nationale », selon Ali Fassi Fihri, le patron de l’Onep. « Après l’indépendance, l’accent a été mis sur les besoins du royaume en ouvrages de régularisation et d’alimentation en eau. » Et pour cause : 79 % de la ressource hydrique marocaine se concentre sur 27 % du territoire seulement… L’État s’est donc attaché à réaliser les infrastructures hydrauliques de mobilisation, de production et de distribution nécessaires pour rétablir l’équilibre. Au total, 113 barrages d’une capacité totale de stockage de 16 milliards de m3 ont été construits, ainsi que plusieurs stations de pompage. Ils ont permis au Maroc « de se prémunir contre les pénuries, d’atténuer les effets des inondations, de développer l’agriculture et d’assurer l’alimentation des villes en eau potable malgré les cycles récurrents de sécheresse », explique Fassi Fihri.
Mais aujourd’hui, « la politique des barrages est à bout de souffle », estime Yassir Benabdallaoui, chargé de programme au sein de l’unité environnement du bureau du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) de Rabat. « Les sites naturels adaptés à l’implantation des réservoirs se raréfient et les retenues s’envasent », poursuit ce dernier. Leur capacité de stockage se serait déjà réduite de 7 %. « À cause de l’érosion, 75 millions de m3 de terre se retrouvent dans les barrages chaque année, soit l’équivalent de 10 000 hectares de terres irriguées », confirme Abdeladim Lhafi, haut-commissaire aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification.
En outre, les experts s’accordent pour dire que les apports hydriques devraient diminuer dans les prochaines années, sous l’effet conjugué du réchauffement climatique et de la surexploitation des nappes phréatiques dont le niveau baisse, dans certaines régions, de plus de deux mètres par an. Or la demande, elle, ne cesse d’augmenter : entre 1994 et 2004, la population a crû de près de 15 %, et le plan Azur, destiné à doper l’économie nationale par le développement du secteur touristique, prévoit de doubler la fréquentation du royaume d’ici à 2010.
Pour continuer à satisfaire ses besoins, le Maroc ne dispose donc que d’une seule solution : développer l’assainissement, le coût des techniques alternatives comme celui du dessalement de l’eau de mer les confinant à des infrastructures d’appoint… Malheureusement, dans ce domaine, le royaume affiche un bilan bien moins reluisant. L’immense majorité des 600 millions de m3 d’eaux usées rejetées chaque année par les industriels et la population se déverse toujours sans traitement dans les oueds du pays, provoquant des dégâts considérables sur la santé et l’environnement. Ali Fassi Fihri le reconnaît sans ambages : « Le Maroc accuse un retard important en matière d’épuration. 8 % des eaux usées seulement sont traitées. »
La prise de conscience aurait cependant eu lieu. « Depuis la neuvième session du Conseil supérieur de l’eau et du climat [CSEC] qui s’est déroulée en juin 2001 à Agadir, l’assainissement liquide est devenu un axe stratégique fondamental des autorités dans le cadre de la mise en place d’une gestion intégrée du cycle de l’eau. Un ambitieux programme de plus de 400 millions d’euros a été mis en place, pour assainir les eaux usées de près de 280 municipalités, soit 4,6 millions d’habitants, à l’horizon 2015 », poursuit le directeur de l’Onep. L’an dernier, ce programme a été intégré à un vaste Plan national d’assainissement liquide et d’épuration des eaux usées. Évalué à 43 milliards de DH (4,2 milliards d’euros), il vise à équiper l’ensemble des villes marocaines en systèmes d’assainissement. Objectif : réduire, d’ici à 2020, de plus de 60 % la pollution rejetée dans le milieu naturel et raccorder 80 % des citadins à un réseau d’évacuation et de traitement des effluents.
La législation a également été renforcée. Les décrets d’application de la loi 10-95 sur l’eau, qui institue notamment le principe « pollueur-payeur », ont enfin été pris l’an dernier, après plus de dix ans d’attente. Sa mise en uvre intégrale – désormais possible – doit permettre d’aboutir, à terme, à une gestion cohérente, concertée et décentralisée de la ressource, à l’image du Débat national qui a été lancé à travers tout le royaume à la fin de 2006 pour trouver une solution transversale au problème de l’eau.
Au niveau institutionnel enfin, l’administration s’est réorganisée pour éviter l’éclatement des compétences et des centres de décision. En juin 2001, les statuts de l’Onep ont été révisés pour lui permettre de prendre en charge les activités d’assainissement des eaux usées dans toutes les communes où il approvisionne les habitants, contrairement à ce que prévoyaient ses statuts initiaux. Pour l’épauler, le ministère de l’Aménagement du territoire prend également sous sa coupe l’Eau et l’Environnement depuis 2002. Les autorités sont convaincues que la disponibilité de la ressource dépend du maintien de sa planification dans le giron de l’État. Pas question donc, pour l’instant, de remettre en question le monopole dont jouit l’Onep pour la production d’eau potable. En revanche, en ce qui concerne la distribution et l’assainissement, les autorités ne sont pas hostiles à la délégation de leurs compétences. Au contraire même. Treize régies municipales et trois opérateurs privés (les sociétés Amendis et Redal, filiales de Veolia, à Tanger, Tétouan et Rabat, et la société Lydec, filiale de Suez, à Casablanca) se sont déjà vu attribuer des concessions dans le pays. « 40 % des investissements que nous réalisons au Maroc se font dans l’assainissement liquide. Avec la modernisation des réseaux existants et le transfert de savoir-faire, la signature de contrats de gestion déléguée entre les autorités marocaines et des opérateurs privés vise clairement à développer ce secteur », explique Olivier Dietsch, le président de Veolia Maroc.
La grande bataille pour une gestion durable des ressources a donc commencé. Même si en l’espèce, tout, ou presque, reste à faire…

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