La guerre des trois

À une semaine du premier tour, le 22 avril, et à l’issue d’une campagne aussi féroce que superficielle, Sarkozy continue de faire la course en tête dans les sondages, devant Royal et Bayrou. Mais le nombre très élevé d’indécis rend tout pronostic hasardeu

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 7 minutes.

Dieu que cette campagne aura été dure, âpre, insaisissable, et son issue indécise ; au point de susciter chez les Français une fascination jamais rééditée depuis les duels au couteau de 1974 et de 1981. Dieu que cette campagne aura été novatrice dans le style et la forme, hypermoderne aussi avec le surinvestissement d’Internet, des blogs, des spots interactifs et la mise en ligne d’une offre politique multiple à l’usage de l’électeur-consommateur prié de naviguer entre les programmes comme on se promène entre les rayons d’un supermarché. Une campagne complexe, à l’image de ces 40 % d’indécis que tous les candidats cherchent à capter et dont nul ne peut décrire le profil, tant ils sont sensibles à des messages à la fois simultanés et contradictoires. Une campagne zappeuse à donner le tournis, incapable de se cristalliser plus de quarante-huit heures autour d’un thème précis et au cours de laquelle on est passé sans transition d’Airbus au patrimoine des postulants, du drapeau tricolore aux casseurs de la gare du Nord, de l’identité nationale aux prédispositions génétiques des pédophiles, des parachutes dorés des grands patrons à l’avenir judiciaire de Jacques Chirac. Une campagne impudique, parfois, où l’on vit les candidats, sans rien révéler d’eux-mêmes, parler d’amour, de musique, de solitude, de liberté et de bonheur, parce que cela fait complice et participatif de susurrer ainsi son moi intime à l’oreille des électeurs.
D’elles et d’eux, on sait tout désormais, ou l’on croit tout savoir, aux limites des confidences et du ridicule. Nicolas Sarkozy, on l’aurait deviné, se déhanchera au rythme de « I Will Survive » au soir de son hypothétique élection, tout en rêvant d’Ava Gardner, la star qu’il aurait aimé enlacer. Ségolène Royal s’imagine en Comte de Monte-Cristo et demanderait volontiers à l’artiste sénégalais Ousmane Sow de sculpter son buste pour l’éternité. François Bayrou se voit en d’Artagnan, surgi de son Béarn natal, à l’assaut des citadelles parisiennes de la politique. Quant à Jean-Marie Le Pen, macho à l’eau de rose, rien ne l’apaise plus que de contempler la photo de sa femme Jany « sortant nue de la mer Égée ». N’en jetez plus
Dieu que cette élection serait révolutionnaire à l’échelle de la France si, pour la première fois dans son histoire, le pays de la loi salique et du chauvinisme arrogant portait au pouvoir une femme ou un fils d’immigré. Ici ne gouvernèrent que des monarques mâles – rois ou présidents -, jamais des reines, ou alors sous le label intérimaire de régentes. Ici, aucun aspirant chef d’État n’avait encore osé dire en toute sincérité – et en toute roublardise politicienne : « Oui, je suis un enfant d’immigré. Oui, je suis le fils d’un Hongrois et le petit-fils d’un Grec né à Salonique et qui s’est battu pour la France. » Dieu que cette campagne aura été féroce et révélatrice non pas des programmes, mais de la personnalité de chacun des trois ou quatre principaux candidats, contraints de réagir et de se déshabiller à tout instant, sans artifices intellectuels – de ce côté-là, c’est le désert – tant la conquête du pouvoir apparaît comme décérébrante. Tous portent en eux une part et un visage de la France, un modèle auquel on est convié à s’identifier, un profil de star sur lequel cliquer, comme pour une demi-finale de la Star Academy.

Jean-Marie Le Pen, 79 ans. Assagi, dit-on. Mais invisible et omniprésent, tel un virus tapi dans l’organisme. Le seul à propos duquel on n’aura rien appris, tant on le connaît. Son personnage, le modèle qu’il offre sont toujours les mêmes : le chef – vieille tentation française protecteur et simplificateur, passéiste à la rhétorique ravageuse, aux solutions démagogiques pour électeurs à la dérive et en perte de repères : fermer les frontières et dresser une nouvelle ligne Maginot contre les nouveaux barbares – immigrants, eurocrates, délocalisateurs, financiers apatrides. Provocateur jubilatoire, celui qui se qualifie lui-même de « bête immonde qui monte, qui monte » est allé jusqu’à faire l’éloge du « manu militari » (la masturbation) comme substitut aux préservatifs et à mettre en doute la « francité » de Sarkozy et de son épouse Cécilia. Son rêve : arriver au second tour, comme en 2002. Une perspective très aléatoire.

la suite après cette publicité

François Bayrou, 55 ans. La vraie révélation de cette campagne et, en même temps, un archétype de politicien français très IVe République. Celui de l’honnête homme de province, fils d’agriculteur devenu notable, un peu Rastignac, ami de la famille et gendre idéal. Tolérant, libéral, consensuel, conciliateur, ombudsman dans l’âme. Un électorat composite, aussi flou que son programme, un tiers issu de la droite, un tiers de la gauche et un tiers centriste, avec des bobos, des poujadistes, des ruraux, des intellectuels proeuropéens et tous ceux qu’effraie l’autoritarisme de Sarkozy et de Royal. Aux yeux de ses partisans et de la plupart des sondeurs, il est le seul capable de battre le candidat UMP au second tour, grâce à un bon report des voix socialistes (l’inverse n’étant pas assuré). Encore faut-il qu’il y soit. En troisième position des intentions de vote, malgré, ces derniers jours, un léger piétinement.

Ségolène Royal, 53 ans. Femme, libre et socialiste, candidate à l’issue de primaires qui virent les éléphants mordre la poussière et ravaler leur morgue, elle a, la première, compris que l’une des exigences majeures des Français était d’être écoutés. Intuitive et réactive, la nouvelle Marianne a bâti toute sa campagne sur le thème de la démocratie rénovée, n’hésitant pas à bousculer les dogmes institutionnels d’une Ve République à bout de souffle. D’où sa fulgurante irruption, fin 2006, sa progression, puis son tassement dans les sondages derrière Nicolas Sarkozy. Car l’improvisation permanente a son revers : le stress, le côté brouillon, les ajustements qui sont autant de flottements, les gaffes, le tout compensé à grand-peine par un volontarisme de fer et un culte de la personnalité digne d’Eva Perón. Point faible : la politique étrangère. Quand on s’habille de blanc – couleur du deuil en Chine – sur la Grande Muraille, quand on prétend interdire le nucléaire civil aux Iraniens et boycotter les jeux Olympiques de Pékin pour cause de Darfour et quand on fustige « le régime des talibans » cinq ans après sa chute, c’est qu’on a des progrès à faire. Point fort : sa féminité, synonyme d’honnêteté, de sincérité et de courage, trois qualités que nul ne saurait lui contester.

Nicolas Sarkozy, 52 ans. Complexe, insaisissable, irritant et fascinant à la fois, une vraie machine politique. On connaît son énergie, son talent et son extraordinaire capacité à surfer sur toutes les tendances de la mondialisation. La campagne l’aura révélé tel qu’en lui-même, séducteur et inquiétant, Aznar et Blair, manipulateur de médias, ami des grosses fortunes, des people, au fait de ce qui tisse la modernité contemporaine à l’uvre des États-Unis à l’Extrême-Orient. Consommation, loisirs, jogging, iPod : Nicolas est irrésistible et dynamisant, à l’image d’un stage de remise en forme pour cadres fatigués. S’est-il arrêté une seule fois de courir ? Ce n’est pas sûr. Du discours proaméricain (et antimodèle social français) de décembre 2006, il est passé sans transition, en janvier, à la captation d’héritage socialiste et aux mânes de Jean Jaurès, avant de se rabattre en mars sur l’exaltation de la France éternelle, fût-elle coloniale, à grand renfort de citations des grands hommes, pourfendant le magistère moral de la gauche. Il s’est aventuré sur tous les terrains, y compris les plus glissants : psychanalyse, philosophie, génétique, sans oublier ses fondamentaux et les inévitables clins d’il aux électeurs du Front national. Au risque d’apparaître comme le candidat de l’affrontement, il est parvenu à recentrer les derniers instants de la campagne autour de sa personnalité, de son caractère, de sa violence rentrée. Il y a la France qui l’aime et la France qui le déteste parce qu’il lui fait peur. Cette fracture est sa chance. En toute logique sondagière, il devrait arriver en tête au premier tour. Et être élu au second.
Mais Dieu que cette campagne, moderne dans sa forme, aura été ringarde et frileuse dans le fond. Face à ces grands défis de la France de 2007 que sont l’emploi (8,5 % de taux de chômage, l’un des plus élevés d’Europe), la croissance (2 % en 2006, l’une des plus faibles d’Europe), la protection sociale (régimes de retraite et de Sécurité sociale à deux doigts de l’implosion), la crise des institutions et l’angoisse des lendemains (48 % des Français estiment qu’ils risquent, un jour, de devenir des sans-domicile fixe !), la seule rupture que proposent les candidats est une rupture de style. Les périodes électorales, il est vrai, n’ont jamais mis l’imagination au pouvoir. Comme le dit un expert, Jean-Pierre Chevènement, l’un des hommes clés de Ségolène Royal, « une campagne présidentielle, c’est toujours le bordel ». Dans son bureau élyséen, plutôt désert ces temps-ci, quelqu’un doit sourire avec gourmandise de ce théâtre où l’essentiel côtoie l’insignifiant : Jacques Chirac. Depuis qu’il a annoncé son départ, sa cote de popularité est brusquement remontée à plus de 50 %

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires