Deux favoris, un outsider

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Si vous aimez le bruit et la fureur, vous aurez été servi par les empoignades des derniers jours de l’avant-campagne présidentielle où Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal se sont mutuellement accusés de « faillite morale », d’« hystérie intellectuelle » et de « mensonge ignoble ». La trêve pascale et le démarrage de la campagne officielle ont opportunément mis le couvercle sur ce subit échauffement des biles. Où en est-on à quelques jours d’un premier tour dont l’analyse des rapports de force devrait faire apparaître en filigrane le futur chef de l’État ?
Au terme d’une (trop) longue bataille marquée par la surmédiatisation – 1 500 heures de débats, près de 300 sondages – et une personnalisation sans précédent, antidote commun des candidats au scepticisme persistant sur leur programme, Sarkozy et Royal restent les deux favoris. Sauf une surprise qui s’appelle toujours François Bayrou. Voire un « tsunami » que Jean-Marie Le Pen prophétise en sa faveur et dont il voit la « lame de fond » déjà partie.
Sarkozy garde confiance dans ses chances, à supposer qu’il en ait jamais douté. Craignant surtout d’être taxé « d’arrogance » s’il paraissait anticiper sa victoire en dévoilant trop tôt ses premières décisions élyséennes, il a simplement indiqué qu’il irait « très vite » en Afrique « pour poser les bases d’une nouvelle politique de l’immigration ». On s’amusera au passage de cette anecdote néanmoins révélatrice. Comme un journaliste l’invitait à se défaire de sa veste avant de participer à une émission, il objecta en riant : « Non, maintenant, je suis le président de la République. » Les violences de la gare du Nord lui ont rendu avec bénéfice les voix perdues par sa dénonciation des « racailles ». En se rangeant avec un manichéisme simpliste, mais efficace, du côté des « honnêtes gens qui travaillent » face aux « récidivistes de la fraude », il s’assurait chaque fois les ovations de ses meetings. Des minutes qui valent cher en suffrages quand la télévision les rediffuse.
Représentante d’une gauche à la fois convaincue et inhibée par l’idéologie de la « société criminogène » toujours coupable, Royal était forcément moins à l’aise dans le débat sécuritaire que l’ancien ministre de l’Intérieur. Elle a rattrapé son handicap en revenant hâtivement sur le terrain économique et social, plus favorable à sa cause. Sa « différence » essentielle – et son principal espoir – est d’incarner le « nouveau temps des femmes », comptant que les Français auront « l’audace » d’assurer son avènement pour l’élection présidentielle. 30 % des nouveaux électeurs inscrits auraient l’intention de voter pour elle dès le premier tour. Selon certaines enquêtes d’opinion, le vote à gauche serait en train de se cristalliser en sa faveur. Les dirigeants socialistes, tous courants confondus, en déduisent qu’avec ses réserves de voix à gauche de la gauche elle profitera davantage que Sarkozy de la dynamique de bipolarisation appelée à s’accentuer jusqu’au premier tour. Ils jugent même possible qu’elle arrive en tête malgré son handicap de plusieurs points sur son adversaire UMP.
Reste l’obstacle Bayrou. Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS, se rassure à la pensée que le prétendant UDF a « raté le coche… S’il était parvenu un moment à passer devant Ségolène dans les intentions de vote, ajoute-t-il, un scénario différent aurait pu s’écrire ». Différent ! L’expression est faible et en dit long sur la peur qu’ont dû éprouver les socialistes en voyant le candidat UDF talonner irrésistiblement Royal dans les sondages. Ne font-ils pas preuve aujourd’hui d’un optimisme excessif ? François Hollande se montre plus prudent en affirmant que la menace persiste. « Des électeurs venus de la gauche peuvent voter pour Bayrou. » C’est toute la question qui peut en effet tout changer. Bayrou est-il capable de remettre pour la première fois en cause la polarisation gauche-droite, qui a régi jusqu’ici la politique française et qu’il s’efforce de briser depuis le début de sa campagne en se présentant aux électeurs déçus des deux camps comme le seul « candidat antisystème », et donc « le seul vote utile » ? Il assène en toute occasion son argument le plus « meurtrier » : « Je suis le seul à pouvoir battre Sarkozy au second tour. » Encore faut-il qu’il y parvienne. C’est à la fois son paradoxe, car il s’obstine à vouloir réunir une gauche et une droite qui persistent à le répudier. Et sa chance, car si une partie des sympathisants de la gauche, convaincue de la défaite finale de Royal, votait en nombre suffisant pour l’imposer au premier tour, sa victoire serait assurée par la mobilisation du « tout sauf Sarkozy » dont le courant traverse, avec des amplitudes diverses, l’ensemble des électorats. Et c’est ainsi que le troisième homme deviendrait le sixième président de la République gaullienne. Il n’est pas un institut d’opinion qui ne retienne cette hypothèse de scénario, quoique la plupart diagnostiquent plutôt un resserrement progressif de l’habituelle « fourchette » gauche-droite. La réponse est dans la tête, toujours insondable, de ces millions d’indécis qui n’ont jamais été aussi nombreux et peuvent jusqu’au dernier moment faire basculer l’Histoire.

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