Compte commun

Les deux groupes bancaires décident de s’associer. Le ouest-africain y gagne un actionnaire de référence ; le marocain, un vaste réseau au sud du Sahara.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

Ce 16 mars, Othman Benjelloun et Paul Derreumaux posent ensemble. Les deux hommes d’affaires se connaissent depuis peu. Mais quelques mois de rencontres et d’échanges auront suffi à les convaincre de l’opportunité d’unir les deux groupes bancaires qu’ils ont bâtis, le premier au Maroc, le second au sud du Sahara. Après validation par les assemblées générales des deux sociétés et les autorités monétaires de tutelle, le protocole d’investissement qu’ils viennent de signer fera du Groupe BMCE Bank l’actionnaire de référence de l’African Financial Holding (AFH), holding de tête du Groupe Bank of Africa (BOA), avec 35 % du capital.
L’opération est une quasi-première : hormis quelques participations dans des institutions locales, les banques nord-africaines n’ont que très rarement franchi le Sahara, laissant longtemps le champ libre aux banques internationales. Mais les temps ont changé. Et il faut désormais compter avec les banques chérifiennes – et peut-être, demain, avec d’autres banques d’Afrique du Nord – pour donner du fil à retordre aux majors européennes et américaines. La prise de contrôle, à la fin de 2005, de la Banque du Sud tunisienne par la marocaine Attijariwafa Bank, alliée à son actionnaire espagnol Santander, au nez et à la barbe de la française BNP Paribas fut le premier signe annonciateur. L’annonce, la même année, de la disparition de la Belgolaise, acteur historique du monde financier africain et filiale du groupe néerlandais Fortis, en fut un autre. Installée dans plus de dix-sept pays, la banque européenne poursuit depuis son démantèlement établissement par établissement.
Pour la BOA, ce fut un coup dur. Le groupe né au Mali en 1982 avait en effet amorcé un rapprochement avec la Belgolaise en 2003, rapprochement qui aurait dû se traduire par une entrée de la banque belgo-néerlandaise dans son capital. L’épisode aurait marqué le développement d’un actionnariat fort aux côtés du fondateur, AFH, holding luxembourgeois qui regroupe des actionnaires privés et d’autres actionnaires du groupe, dont les institutions de développement FMO et Proparco, et que dirige Paul Derreumaux. À ce titre, l’entrée de la BMCE dans le capital d’AFH est une manière de revanche après l’abandon de la Belgolaise. D’autant que le groupe ouest-africain aura au passage récupéré quelques actifs du groupe démantelé, dont, fin 2006, Allied Bank d’Ouganda, et, d’ici à quelques mois, Eurafrican Bank, en Tanzanie.
« La philosophie de l’accord conclu en 2003 avec la Belgolaise présentait de nombreuses similitudes avec celui que nous venons de signer avec la BMCE, ce qui montre d’ailleurs la cohérence de notre approche, souligne Paul Derreumaux. Il s’agit notamment, dans chaque cas, de nouer une alliance avec une banque de taille importante, connaissant bien l’Afrique, aussi complémentaire que possible de notre propre réseau, disposant d’atouts dans des activités qui nous paraissent essentielles pour notre croissance, prête à nous apporter un appui, autant au quotidien que dans notre gestion stratégique, sans remettre en cause l’indépendance de notre Groupe et sa volonté de garder une position originale en termes d’actionnariat. »
La BMCE et la BOA complémentaires ? Les deux banques sont d’abord des poids lourds dans leurs régions respectives. Le Groupe BOA, présent dans neuf pays*, enregistre un total de bilan de 1,35 milliard d’euros. Le Groupe BMCE en pèse environ 7,6 milliards. Le groupe ouest-africain annonçait, fin 2005, des dépôts totaux de 975 millions d’euros. Le Groupe BMCE en affichait plus de 5 milliards. En termes de profitabilité, les deux groupes enregistrent des niveaux de rentabilité assez comparables.
Pour BMCE, les gains liés à cette alliance semblent relativement clairs : l’établissement, qui a installé depuis 2006 une filiale d’affaires à Londres, souhaite se positionner dans nombre de pays africains et capter par ce biais les mouvements d’affaires générés soit par les entreprises africaines, soit par les groupes internationaux. La prise de participation dans la BOA, qui dispose d’une couverture géographique étendue, a donc tout son sens, d’autant qu’elle devrait s’accompagner pour la BMCE de l’ouverture de banques d’affaires à Libreville (après Dakar) et dans d’autres pays subsahariens. Pour la BOA, l’entrée de la BMCE répond à la volonté du conseil d’administration de trouver un partenaire solide, mais acceptant de rester minoritaire. Depuis deux ans et l’échec du rapprochement avec la Belgolaise, différentes banques internationales et africaines ont ainsi manifesté leur intérêt. « Nous voulions devenir une vraie banque panafricaine. Nous avions donc besoin d’un partenaire stratégique pour développer un groupe qui ne pouvait plus dépendre d’une seule personne », explique Ben Zwinkels, du FMO, principal actionnaire d’AFH et partenaire de longue date du Groupe BOA. L’opération, en tout cas, devrait accroître sensiblement les possibilités financières du groupe, en consolidant fortement des fonds propres qui restent deux fois et demie inférieurs à ceux d’Ecobank, numéro un des groupes bancaires ouest-africains. « L’opération prévue consiste en une importante augmentation de capital qui sera réservée à la BMCE », confirme Paul Derreumaux, qui – l’opération devant encore être validée – n’en a pas divulgué le montant précis. Celle-ci devrait lui permettre d’accélérer son développement géographique dans des secteurs jugés stratégiques. « Ces domaines vont notamment d’une gestion très moderne et efficiente de la banque de détail à une forte activité de banque d’investissement, en passant par exemple par la banque privée ou d’autres créneaux plus spécifiques », explique Paul Derreumaux. De nombreux projets existent. Aucun, pour l’instant, au Nigeria, pays au dynamisme économique très marqué. Mais, outre l’Eurafrican Bank en Tanzanie, la BOA devrait s’installer dès cette année, selon Paul Derreumaux, à l’île Maurice où le groupe a obtenu un agrément bancaire.
Pourtant, et malgré les avantages indiscutables que l’opération présente pour les deux parties, des incertitudes demeurent. La plus grande reste le degré d’implication de la BMCE, qui a accepté de n’être actionnaire qu’à hauteur de 35 % d’AFH… « Il reste beaucoup de choses à voir, souligne Sonia Trabelsi, directrice associée à l’agence de notation Fitch North Africa. Quelle sera l’implication réelle de la BMCE ? Quel sera son rôle au niveau du management ? » Interrogé à ce propos, Paul Derreumaux affirme que « la BMCE a confirmé toute sa confiance dans l’ensemble de l’équipe en place. Dans le même temps, et de manière très logique en raison de la forte implication capitalistique de ce nouvel actionnaire, il a été convenu que des représentants de la BMCE seraient intégrés aux équipes de la BOA chaque fois que nécessaire ». Un proche du dossier observe qu’« on imagine mal que la BMCE, même minoritaire au capital, ne se soit pas assurée de disposer, outre d’une place au conseil d’administration, de postes au niveau du management ». Une assertion que confirme un des membres du conseil d’administration d’AFH : « Il y aura un dirigeant marocain haut placé. »
Autre question : comment réagira la concurrence ? Difficile d’imaginer qu’Attijariwafa Bank, numéro un marocain, qui pèse, en termes de total de bilan, plus de deux fois la BMCE, ne réagisse pas à l’avancée de son concurrent, d’autant qu’elle-même n’oublie jamais de signifier son attachement à des développements conséquents au sud du Sahara. Après avoir pris le contrôle, en janvier, de la Banque sénégalo-tunisienne, Attijariwafa Bank ira-t-elle encore plus loin ? On voit mal également Ecobank, dont l’alliance avec la Nigerian First Bank semble aujourd’hui bloquée, ne pas rechercher un nouveau partenaire bancaire extérieur. Le groupe implanté dans dix-huit pays a déjà relancé son offensive, annonçant sa volonté de lever 300 millions de dollars en 2007 pour atteindre à terme un capital de 1,2 milliard de dollars. Fin mars, l’un de ses actionnaires, Renaissance Capital, a passé à la hausse le seuil des 20 % du capital. Annonçant sans doute des changements dans le contrôle du numéro un bancaire d’Afrique de l’Ouest.

* Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Kenya, Madagascar, Mali, Niger, Ouganda, Sénégal.

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