Comment s’en débarrasser ?

Si la collecte des ordures est aujourd’hui généralisée, le traitement demeure problématique. Faute de moyens.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Au soleil couchant, depuis la route qui relie l’aéroport Mohammed-V à la zone industrielle d’Aïn Sbaâ, au nord-est de Casablanca, elle ressemble à une vaste colline au sommet de laquelle déambulent des vaches et des moutons. En pleine journée, on dirait plutôt un immense cloaque où s’accumulent, pêle-mêle, résidus de produits chimiques, emballages plastique, détritus alimentaires, cadavres d’animaux et vieux pansements Installée dans une ancienne carrière de 70 hectares située à une vingtaine de kilomètres au sud-est de la capitale économique marocaine, la décharge de Mediouna accueille les déchets industriels, ménagers et hospitaliers de Casa, sans aucune distinction. L’odeur qui s’en dégage est à ce point pestilentielle que l’incinération, quand elle a lieu, se déroule, désormais, de nuit.
« Au Maroc, le problème de la collecte des déchets est quasiment résolu. Reste leur traitement qui, lui, demeure catastrophique », commente Jean-Pierre Salzmann, directeur de la société spécialisée dans le ramassage des ordures ménagères Sita El Beida, filiale du groupe français Suez, qui opère à Casablanca. Les professionnels du secteur le confirment : la quasi-totalité des décharges marocaines ressemblent à celles de la Mediouna. Système de captage du biogaz absent, réseau de drainage des lixiviats (déchets liquides) également, isolation du sol inexistante pour empêcher les infiltrations : les effluents liquides et les fumées dégagés par les monceaux d’ordures finissent directement dans la terre et l’atmosphère, sans aucune filtration.
Un jugement que ne partage pas le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Eau et de l’Environnement (Matee). Selon ses agents, le royaume compte six décharges contrôlées à Fès, Oujda, Berkane, Figuig, Essaouira et El Jadida Mais une cinquantaine de projets sont également à l’étude, s’empressent-ils de préciser. Il est vrai qu’il y a urgence. Car la production marocaine de déchets connaît une hausse sans précédent. Au cours de l’année écoulée, le royaume a produit 7,5 millions de tonnes en tout genre, soit une augmentation de 17 % du volume de détritus par rapport en 1999. Et seulement 10 % des déchets ménagers ont été recyclés, estiment les autorités.
Pis : cette explosion aggrave chaque jour un peu plus la situation sanitaire et environnementale du pays. « La nappe phréatique de la région de Casablanca serait polluée dans un rayon de 20 km autour de la Mediouna », avance Salzmann. Sur la décharge, entre 150 et 600 personnes – les chiffres varient selon les sources – fouillent quotidiennement les amas de détritus sans aucune précaution. Le bétail y cherche, de son côté, de quoi manger, avant de finir lui-même dans l’assiette. Quant aux médicaments périmés, ils y sont ramassés avant « de se retrouver dans les souks », renchérit Alain Ducamp, le président du groupe français éponyme spécialisé dans le traitement des déchets industriels et médicaux, dont la filiale marocaine Nitam, a été créée en 1997.
« Il reste, certes, beaucoup à faire, mais la situation est en train de changer », tempère pourtant Xavier Jourdan, le directeur de la Segedema, la filiale marocaine du groupe français Pizzorno, spécialisée dans la collecte et le traitement des déchets ménagers, implantée dans huit villes du royaume. « Le fait que le roi ait assisté, le 13 février, à la signature du contrat de gestion déléguée de la future décharge contrôlée d’Oum Azza, à Rabat, en témoigne », confirme Jean-Pierre Salzmann. « L’arsenal législatif existe désormais. Reste à le faire appliquer », renchérit, quant à lui, Alain Ducamp.
En 2005 et 2006, les autorités ont promulgué deux lois pour organiser le secteur. La première concerne les contrats de gestion déléguée des services publics. S’inspirant du droit européen, le texte fournit un cadre général au développement des partenariats public-privé dans le but d’attirer les investisseurs internationaux au Maroc. Répartissant les risques de façon équitable entre le délégataire et son partenaire, il fixe aussi un cadre institutionnel clair dans lequel les intérêts de chacun sont pris en compte. Le 7 décembre 2006, une loi sur la gestion des déchets et leur élimination est venue compléter le dispositif. Outre l’élaboration de plans directeurs nationaux et régionaux de gestion des ordures, elle précise que « les déchets dangereux ne peuvent être traités en vue de leur élimination ou de leur valorisation que dans des installations spécialisées » et que, en fonction de leur origine – ménagère, industrielle ou médicale -, ils doivent être déposés dans des décharges distinctes. Assorti, le 17 janvier dernier, d’un grand programme de traitement des déchets solides de 4,3 milliards de dollars, il doit avoir, à terme, les moyens de ses ambitions. Le projet de construction d’un centre de traitement des déchets dangereux a également été évoqué, mais les observateurs, qui le considèrent comme un serpent de mer, sont plus sceptiques à son sujet.
Si les intentions sont là, reste encore un certain nombre d’obstacles à lever pour faire avancer le dossier. Le premier est sans doute celui des décrets d’application de la loi sur la gestion des déchets, qui n’ont pas encore été pris. Vient ensuite le problème de la délégation des services de collecte et de traitement, qui reste pour les communes une solution, certes, efficace mais très coûteuse. « Pour une commune, déléguer la gestion de ses déchets à un opérateur privé lui coûte entre 5 et 10 fois plus cher que la confier à une régie municipale », confirme Xavier Jourdan, de la Segedema. Conséquence : seule une quinzaine de villes marocaines les plus grandes, à l’exception notable d’Agadir -, ont aujourd’hui recours à un prestataire privé. Ce qui ne les empêche pas, au demeurant, d’avoir, elles aussi, du mal à assumer la dépense. « Alors que les zones urbaines s’agrandissent rapidement, les communes reconduisent chaque année le même budget pour la gestion de leurs déchets », constate Jourdan.
Du côté des opérateurs, on souligne aussi, pour l’instant, un manque de rentabilité du secteur, en dépit de son important potentiel de croissance. « La plupart des agents sont des fonctionnaires communaux mis à notre disposition par les municipalités, qui défalquent leur rémunération de l’enveloppe qu’elles nous versent. Mais certains d’entre eux ne viennent pas travailler. Nous sommes donc obligés d’embaucher des personnes supplémentaires pour assurer le service », s’énerve Jean-Pierre Salzmann.
Reste, enfin, l’obstacle des mentalités. Selon les professionnels, la population n’a pas encore intégré l’idée que la prise en charge des ordures a un coût. « Payer pour traiter ce dont on ne veut plus, c’est un phénomène nouveau. Il ne date que de quatre ou cinq ans », explique Jourdan. Évoquant cette minirévolution, Alain Ducamp comprend, néanmoins, les réticences rencontrées : « Payer 1 000 DH pour déverser une tonne de déchets industriels dans une décharge spécialisée, cela représente la moitié du salaire minimum. Ce n’est pas rien non plus. »

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