Chantiers de la gloire

Les grands travaux menés depuis sept ans ont changé le visage de Dakar. Mais derrière la vitrine se cache la pauvreté de l’arrière-boutique.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

Dakar, stade Léopold-Sédar-Senghor, début avril 2000. Dakar, stade Léopold-Sédar-Senghor, début avril 2007. D’une cérémonie d’investiture à l’autre, Abdoulaye Wade, toujours hiératique, lève la main droite pour prêter serment. Un murmure traverse la frise humaine des gradins pleins comme un uf. Plus de 60 000 personnes sont là, réunies dans un bel ordonnancement de couleurs. D’un côté les verts, jaunes et rouges du drapeau national ; presque partout ailleurs, les bleus et jaunes du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir). Dans la tribune officielle, près d’une vingtaine de chefs d’État ou de gouvernement, dont le très casanier Égyptien Hosni Moubarak et le flamboyant et imprévisible Libyen Mouammar Kadhafi, les seuls à avoir préféré leur limousine aux minibus empruntés par leurs homologues, comme la Libérienne Ellen Jonhson-Sirleaf, le Nigérian Olusegun Obasanjo, le Gabonais Omar Bongo Ondimba
Wade II de 2007 fait mieux que Wade I de 2000, mieux que certains sommets de l’Union africaine. Et si l’espoir de 2000 semble avoir déserté le visage d’une partie de ses compatriotes, la joie, elle, est restée dans le même camp des vainqueurs de la présidentielle du 25 février dernier. Elle flotte sur les lèvres du peuple estampillé bleu et jaune, qui vibre à la moindre note de rappeurs ou troubadours chantant les louanges du sopi, le « changement » en wolof.
En plein vent, après fifres et tam-tams, chants et danses du folklore national, petits drapeaux et claque bruyante venue de tous les coins du pays aux frais de la princesse, l’hôte du jour, visiblement ému, lance : « Nous avons ainsi confirmé à la face du monde qu’en Afrique comme dans les démocraties majeures et apaisées on peut se réveiller au lendemain d’un scrutin et ne compter que des bulletins de vote et non des morts et des blessés » Et d’ajouter : « Au demeurant, dans une démocratie qui se respecte comme la nôtre, tous les votes favorables ou défavorables sont d’égale dignité. Au fond de l’urne, un bulletin est toujours dépositaire d’un message dont la prise en compte conditionne le succès d’une action politique réfléchie. Je voudrais donc vous dire à tous, chers compatriotes, que je m’attellerai à la tâche en rassembleur »
Les doléances entendues tout au long de la campagne serviront de « feuille de route au gouvernement pour les cinq ans à venir ». Mais pas un mot à l’adresse des principaux leaders de l’opposition qui ont décidé de boycotter les législatives du 3 juin prochain, alors qu’une douzaine d’associations de la société civile ont entrepris de rapprocher les deux camps. Les arguments échangés pendant la campagne électorale de la présidentielle et répétés à l’envi à la veille de la proclamation officielle des résultats préfiguraient la rupture du dialogue. Le chef de l’État réélu n’a pu souffrir qu’on conteste la légitimité de sa victoire. Ses adversaires refusent, eux, d’aller à la bataille du Parlement dans les mêmes conditions qu’à la présidentielle. On croyait le goût pour la palabre et les chicaneries politiques passé de mode, le disque de la surenchère et des rodomontades rayé. Erreur. En 2000 comme aujourd’hui, le paysage politique s’est peu renouvelé. Ce sont les mêmes premiers de cordée qui sont encore en place et continuent de se disputer le devant de la scène.
Sept ans après l’alternance de 2000, Dakar a physiquement changé. Beaucoup changé. La porte du Millénaire, adossée à l’océan, non loin du port piroguier de Soumbédioune, domine le quartier de la Médina. La place des Tirailleurs a vu le jour face à la gare, qui souffre un peu de l’empreinte patinée du temps. La statue de la Renaissance africaine, dont la première pierre a été posée aux Mamelles, attend de sortir de terre pour réaffirmer le rôle de capitale culturelle de la ville en Afrique de l’Ouest. Les chantiers sont partout, au grand dam de riverains victimes (consentantes ?) du Programme pour l’amélioration de la mobilité urbaine devenu un mal nécessaire, à en croire les experts de la Banque mondiale qui estiment que du fait des difficultés liées à la circulation le Trésor public perd chaque année quelque 100 milliards de F CFA (152 millions d’euros). Ils commencent dès l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor, appelé à abriter la future Cité des affaires.
Les grands travaux concernent également les 11 km de la Corniche ouest – qualifiée d’ores et déjà par ses parrains du label de « plus belle corniche de la côte ouest-africaine ». Ils sont financés à hauteur de 18 milliards de F CFA par le Koweït et sur fonds propres (16 milliards de F CFA) pour une livraison prévue au plus tard pour fin août ou début septembre prochains. Les chantiers se trouvent aussi sur la VDN (Voie de dégagement nord, flanquée de superbes maisons), avec deux fois trois voies sur 6 km, trois échangeurs, cinq carrefours, des espaces verts pour un coût total de 20 milliards de F CFA pris en charge par la Banque islamique de développement (BID).
Neuf hôtels, dont six de très grand standing, pour une capacité de 2 500 lits, verront le jour d’ici à la fin février 2008. En tout cas avant le sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) qui se tiendra un mois plus tard. C’est l’objectif de l’Anoci (Agence nationale de l’OCI) que pilotent le fils du chef de l’État Karim Wade et Abdoulaye Baldé. De fait, Abdoulaye Wade, qui tient à laisser sinon une marque, du moins une trace, entend couler son sopi dans le béton. Non sans de réelles chances de succès. Il est arrivé au pouvoir à point nommé, au moment où le pays avait presque fini de manger son pain blanc selon la recette de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. L’ajustement structurel lancé près de deux décennies plus tôt venait de déboucher sur la signature et le lancement d’un programme sectoriel (éducation, santé, transport).
L’élan de l’alternance ainsi que le volontarisme du chef de l’État vont faire le reste, même si une certaine précipitation dans le lancement des grands travaux a coûté, selon certains experts, un point de croissance au pays, le prix à payer aux bouchons qui empoisonnent encore la vie des Dakarois. Ainsi de l’autoroute à péage, de l’axe Linguère-Matam en cours d’achèvement, ou de celui Dakar-Kaolack complètement réfectionné, des centres de santé, de l’Université du futur de Sébikhotane, des cases des tout-petits ou du plan du retour vers l’agriculture (Reva). Ou encore de l’aéroport international Blaise-Diagne – AIBD, du nom du premier député français originaire d’Afrique subsaharienne – de Diass, à 45 km de Dakar. La première pierre a été posée en grande pompe le 4 avril, dans la foulée de la célébration de la Fête nationale de l’indépendance. La Banque marocaine pour le commerce extérieur (BMCE Capital) ainsi que BNP Paribas en assurent le financement (320 millions d’euros, environ 235 milliards de F CFA), dans le cadre d’un contrat BOT (Build, Operate and Transfer), où les privés gèrent l’équipement jusqu’à la fin du remboursement de leur investissement. D’une capacité initiale d’accueil de 3 millions de passagers par an, l’AIBD se veut le fleuron de la Zone économique intégrée spéciale (ZEIS) et devrait voir le jour dans trente-trois mois.
Cette fringale bâtisseuse de l’État a gagné beaucoup d’habitants de la capitale. Un peu partout, y compris et surtout en banlieue, immeubles et maisons sortent de terre.
Rien de nouveau. De fait, si la vitrine que constituent les différents chantiers, les nouveaux restaurants ou les nouvelles boîtes de nuit, comme le Duplex du rappeur sénégalais établi aux États-Unis, Akon, fait la fierté des Sénégalais, l’arrière-boutique attend de connaître un réel lifting. Les coupures intempestives d’électricité, pudiquement appelées ici « délestages », continuent de faire la hantise de tous ceux qui, restaurateurs, particuliers et autres petits entrepreneurs, sont dépourvus de groupes électrogènes. Les cars Tata Dem-Dikk (« aller et revenir », en wolof), qui ont remplacé les vieux bus de la Sotrac, n’ont pu encore envoyer à la casse les cars rapides-s’en-fout-la mort.
Les taxis ont conservé leurs couleurs jaune et noir et sont toujours aussi brinquebalants, toujours sans âge et sans compteur, au grand dam du client soucieux de ne pas se faire arnaquer dans un marchandage élevé ici au rang d’art de vivre. Le cur est toujours mis à rude épreuve dans l’anarchie de la circulation. Le naufrage du Joola, qui a fait plus de 1 800 morts en septembre 2002, semble s’estomper des mémoires. En attendant que Dakar parachève sa mue physique, nombre de ses rues et venelles, encombrées de commerces de toutes sortes et de vendeurs à la sauvette, gardent leurs chaussées ensablées et truffées de nids-de-poule. Les mendiants y prospèrent.
Son second et dernier mandat ne suffira sans doute pas à endiguer tout cela, mais Wade est persuadé que son sopi, qui est en « marche » et « ne lui appartient plus », a gagné le cur de la majorité de ses concitoyens.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires