Besoin d’air

Alors que la qualité de l’air ne cesse de se dégrader en milieu urbain, un changement des comportements s’impose.

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Les Casablancais devront-ils bientôt porter un masque antipollution pour traverser le boulevard Zerktouni ? Réalisée par la Fondation Mohammed-VI pour l’environnement, dans le cadre de son projet de mise en place d’un réseau de surveillance de la qualité de l’air dans les grandes villes du royaume, une expérience pilote de mesure de la pollution atmosphérique, menée depuis 2005 à Casablanca, Mohammedia et Rabat, révèle la présence d’une concentration de gaz à effet de serre préoccupante dans le ciel marocain. Son élargissement à Salé, Kénitra, El Jadida, Safi, Agadir et Marrakech au premier semestre 2006 est venu confirmer le phénomène. Même si les niveaux de dioxyde de soufre, d’ozone, de monoxyde de carbone et d’oxyde d’azote qui y ont été enregistrés n’atteignent pas ceux relevés dans la zone la plus peuplée et la plus industrialisée du royaume
Sur la célèbre artère – constamment embouteillée – de la capitale économique marocaine, le seuil de particules en suspension autorisé (400 microgrammes/m3) a, en effet, été dépassé à 323 reprises en 2005. Le taux de particules d’ozone y a, lui, franchi 164 fois le niveau à partir duquel l’information de la population devient obligatoire, et à 40 reprises celui à partir duquel l’alerte doit être donnée.
Même constat dans le quartier industriel de Aïn Sbaâ, à l’extrémité nord-est de Casablanca. Le seuil d’information de la population pour cause de pollution à l’ozone y a été dépassé à 760 reprises cette année-là, et celui de l’alerte 397 fois. Quant au dioxyde de soufre, il y a connu 484 pics au-dessus de la norme française (300 microgrammes/m3)
Inquiétants pour l’environnement – d’ici à 2020, la hausse de la température au Maroc à cause du réchauffement climatique devrait être comprise entre 0,6 °C et 1,1 °C -, ces relevés le sont d’autant plus qu’ils ont déjà d’importantes répercussions sur la santé des populations. À en croire la presse chérifienne, les médecins de Casablanca auraient, à l’occasion des pics de pollution, constaté une augmentation de 6 % des consultations pour asthme et de 37,8 % des consultations pour infections respiratoires chez les enfants de moins de 5 ans. « Le seul facteur qui permet aujourd’hui à Casablanca de respirer encore un peu, c’est sa situation géographique. Contrairement à Athènes ou à Mexico, la ville est située sur la côte, et non dans une cuvette. Les vents marins permettent donc de disperser les gaz », explique Saïd Mouline, responsable du programme Qualit’Air à la Fondation Mohammed-VI pour l’environnement et président de la Commission environnement de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM).
Trois grands acteurs sont responsables des émissions. Les incinérateurs de déchets d’abord, qui émettent du méthane en brûlant les ordures. Les industriels ensuite, dont plus de 70 % des sites se concentrent sur l’axe Kénitra-El Jadida. Les automobilistes enfin – et surtout – qui consomment un carburant sale et dont les véhicules – on en compte près de 2 millions au total, dans tout le Maroc – sont souvent âgés et mal entretenus. « 80 % de notre parc automobile a plus de dix ans », confie ainsi Mohamed El-Yazghi, le ministre marocain de l’Aménagement du territoire, de l’Eau et de l’Environnement. Une opération de contrôle des gaz d’échappement de plus de 17 000 voitures réalisée en 2005 et 2006 sur l’axe Kénitra-El Jadida puis Kénitra-Tanger a permis d’affiner cette statistique. Selon l’enquête, 57 % des véhicules contrôlés avaient plus de dix ans, 87 % plus de cinq ans et 43 % ne respectaient pas les seuils prévus par le décret sur les émissions de gaz automobiles de 1998, toujours pas entré en vigueur aujourd’hui. Le texte est pourtant bien moins sévère que la législation européenne : pour les véhicules à essence, il n’oblige à mesurer qu’un seul gaz (contre quatre dans l’UE), le monoxyde de carbone, dont le taux limite est fixé à 4,5 %, soit 9 fois plus qu’en Europe ; pour les véhicules diesels, il autorise un taux de microparticules maximum de 70 %, contre 46 % dans l’UE.
Désormais conscientes de l’urgence, les autorités tentent de prendre le taureau par les cornes. Mais la tâche est immense et la volonté de faire avancer les choses très récente Côté rejets industriels, des lois sur la protection et la mise en valeur de l’environnement, sur la pollution de l’air et sur les études d’impacts existent bien depuis 2003. Reste à les faire appliquer, ce qui, pour certaines, est loin d’être le cas. Les décrets d’application de la loi spécifiquement consacrée à la définition des niveaux d’émission autorisés dans l’atmosphère sont, par exemple, toujours en discussion. De même, un Fonds de dépollution industrielle (Fodep) a été créé pour inciter les industries à réduire leurs rejets polluants, mais très peu y ont recours. Enfin, le patronat marocain s’est bien doté, de son côté, d’une Commission environnement et d’un Centre marocain de production propre (CMPP) depuis le début des années 2000, ainsi que d’une charte sociale comprenant un volet environnemental depuis 2006. Mais il s’agit, dans ce cas précis, de mesures plus incitatives que réellement contraignantes.
Dans leur combat contre les fumées noires qui envahissent le ciel des agglomérations du royaume, les autorités ont également déclaré la guerre aux émissions de gaz automobiles. En attendant l’application du décret sur les gaz d’échappement de 1998, une plus grande fréquence des contrôles policiers sur les routes a été instituée. La surveillance des gaz à effet de serre a été renforcée. Celle-ci se concrétise par des visites techniques annuelles obligatoires pour les véhicules âgés de plus de 5 ans. Mais là encore, seule une stricte application des sanctions prévues en cas d’infraction pourra changer la donne, alors que le laxisme prévaut encore trop souvent face à l’impopularité des contrôles
L’une des principales mesures prises vise aussi et surtout l’utilisation d’un carburant plus propre. Dans cette perspective, la Samir (Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage), qui assure l’approvisionnement de l’ensemble des pompes à essence marocaines, a entrepris la modernisation de ses installations de Mohammedia. Depuis septembre 2005, d’importants travaux y ont été lancés pour produire d’ici à 2009 un diesel dont la teneur en soufre répondra aux normes européennes de 50 parties par million (ppm), contre 10 000 ppm aujourd’hui. Coût de l’opération : 800 millions de dollars.
Bref, les solutions ne manquent pas. Outre la mise en place d’un système d’alerte et de gestion de la qualité de l’air dans les grandes métropoles, d’autres projets sont également à l’étude pour purifier l’air des villes : généralisation de la journée continue pour passer de 4 à 2 pics de pollution quotidiens en limitant les déplacements automobiles entre les lieux de travail et de résidence, aménagement d’espaces verts, mise en place de nouveaux plans de déplacements urbains pour fluidifier la circulation et véritable politique de développement des transports en commun non polluants constitue l’essentiel des propositions. Reste un obstacle, et non des moindres : changer les comportements pour mettre un terme à la logique du tout-auto.

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