Aux livres, citoyens !
À la veille du premier tour, le phénomène éditorial s’emballe. Dans quelle mesure les ouvrages politiques influent-ils sur les résultats de l’élection ?
Sortira, sortira pas ? On s’est longtemps demandé si Ségolène Royal publierait elle aussi son livre avant le premier tour de la présidentielle française, le 22 avril. C’est fait depuis le 27 mars, jour de parution de Maintenant (Hachette Littératures/Flammarion), dans lequel la candidate socialiste répond aux questions de la journaliste Marie-Françoise Colombani. Excepté quelques confidences sur sa vie privée, notamment sur ses relations avec son compagnon François Hollande, elle y décline surtout l’un après l’autre – sous forme d’abécédaire – ses thèmes fétiches tels que l’« ordre juste » et la « démocratie participative ».
Quelques jours plus tard, le 3 avril – et moins d’un an après avoir déjà livré sa vision du pouvoir dans Témoignage (XO Éditions) -, Nicolas Sarkozy faisait paraître sa profession de foi sous le titre Ensemble (XO). Et ce alors que Projet d’espoir (Plon), le livre programme du troisième « grand » candidat, le centriste François Bayrou, sorti le 8 mars, s’était hissé aux premières places du palmarès des meilleures ventes dans l’Hexagone.
Au pays de Lamartine et de La Rochefoucauld, dans tout homme politique sommeille un écrivain. De Gaulle a laissé des Mémoires de grande qualité ; Mitterrand, qui avait une plume remarquable, s’est révélé un essayiste fécond ; auteur lui aussi de plusieurs ouvrages politiques, Giscard d’Estaing a été la risée de la classe médiatique en 1994 lorsqu’il a commis un roman pour le moins médiocre (Le Passage, chez Robert Laffont), mais cela ne l’a pas empêché d’être élu à l’Académie française en 2003. Chirac, lui, absent des librairies jusqu’ici en tant qu’auteur, marque la fin de sa présidence par la publication chez Odile Jacob de deux gros volumes (Mon combat pour la France et Mon combat pour la paix) rassemblant l’essentiel de ses discours.
Il n’y a pas que les présidents. La plupart des ministres y vont de leur bouquin. Pour ne prendre que l’exemple du gouvernement actuel, Gilles de Robien (Éducation) vient de sortir un Manifeste pour éviter la langue de bois (Michel Lafon), alors que son collègue des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a fait paraître Des affaires pas si étrangères (Odile Jacob), celui de l’Économie, Thierry Breton, Anti-dette (Plon), et celui de l’Emploi, Jean-Louis Borloo, L’Architecte et l’Horloger (éd. du Moment). Comme l’expliquait dans Livres Hebdo Stéphane Rozès, directeur de CSA-Opinion et maître de conférences à Sciences-Po Paris, « écrire un livre fait partie d’un rituel d’adoubement ». Mais les politiques français actuels, passés pour beaucoup par le moule de l’ENA (École nationale d’administration), nourrissent aussi un complexe par rapport à leurs aînés, souvent brillants littéraires. Écrire et publier, c’est pour eux « se situer dans une filiation noble ».
En attendant, impossible de savoir si les livres qui paraissent aujourd’hui auront une influence sur le scrutin à venir. Ce qui est clair, en revanche, c’est que la présidentielle, elle, a un impact considérable sur l’activité éditoriale. Si les ventes d’essais et de documents ont connu un bond de plus de 15 % en 2006, pour atteindre 4 millions d’exemplaires, c’est grâce aux ouvrages politiques. Et ce sont les journalistes qui ont raflé la mise. La Tragédie du président (Flammarion), où Franz-Olivier Giesbert, aujourd’hui directeur du Point, dresse un portrait cruel de Jacques Chirac, s’est vendue à quelque 240 000 exemplaires, alors que Sexus politicus (Albin Michel) de Christophe Deloire et Christophe Dubois dépassait les 100 000. Ont également bien marché Place Beauvau (Robert Laffont) d’Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis et Christophe Labbé, avec 65 000 exemplaires, et Chirac et les 40 menteurs (Albin Michel) de Jean Montaldo (près de 60 000 exemplaires).
Du côté des hommes politiques eux-mêmes, la palme revient incontestablement à Nicolas Sarkozy. Sorti le 17 juillet, Témoignage a bénéficié d’un battage médiatique exceptionnel. Le total des ventes au 25 mars dernier s’établit à environ 350 000 exemplaires.
Pour les éditeurs, l’année 2007 se présente elle aussi sous de très bons auspices. Plus d’une centaine de titres liés plus ou moins directement à l’élection présidentielle ont été publiés depuis trois mois. La qualité est-elle à la mesure de la quantité ? Pas toujours, loin s’en faut. Pour ce qui est des politiciens, il est évident que leur ambition est autre que littéraire. Le livre est d’abord un outil de communication. Sa sortie crée une actualité et leur permet d’occuper le terrain médiatique. Elle leur ouvre les portes d’émissions de télévision très populaires, celles en particulier qu’animent des stars du petit écran comme Thierry Ardisson ou Marc-Olivier Fogiel.
Les uns et les autres essaient également de dévoiler une partie de leur intimité et de montrer qu’ils sont autre chose que des machines politiques. Mais les confidences sont en général soigneusement distillées. On se souvient des sarcasmes qui avaient accompagné la parution de Cela commence par une balade (Plon) de Laurent Fabius en 2003. Soucieux de laisser à penser qu’il vit comme n’importe quel Français, l’ancien Premier ministre de François Mitterrand confiait son goût pour les carottes râpées. Effet désastreux
Comme il se doit, les ouvrages les plus polémiques font le plus grand bruit. Ainsi de deux brûlots qui ne donnent pas dans la nuance. Dans Un mouton dans la baignoire (Fayard), titre choisi en référence aux propos de Nicolas Sarkozy sur les pratiques supposées des musulmans de France, Azouz Begag, ancien ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, dit tout le mal qu’il pense de son ancien collègue de l’Intérieur. La brutalité et la grossièreté d’un homme qui aspire à la plus haute charge de la République laissent, il est vrai, pantois. Sorti le 11 avril, ce témoignage édifiant devrait trouver un large écho en librairie. Il fera ainsi pendant au livre à charge d’Éric Besson, ancien conseiller économique de la candidate du PS. Qui connaît Madame Royal ? (Grasset), qui dévoile les dessous de la campagne de la représentante des socialistes ainsi que les aspects les moins flatteurs de sa personnalité, a fait un tabac dès sa sortie, le 20 mars : près de 100 000 exemplaires écoulés en une dizaine de jours.
Le succès du pamphlet de Besson est révélateur d’une tendance : alors que la fin de 2006 avait été marquée par une salve d’ouvrages égratignant Sarkozy (voir « La vie des livres », J.A. n° 2401), c’est plutôt vers son adversaire de gauche qu’ont été dirigés les coups de griffe au cours des derniers mois. De tous les livres qui lui avaient été consacrés jusque-là, c’est un texte sévère à son égard, Ségolène Royal, ombre et lumière (Michalon) d’Évelyne Pathouot, qui s’est le mieux vendu. Pour ce qui concerne Sarkozy, en revanche, la complaisance semble payante. Un pouvoir nommé désir (Grasset), portrait très amical signé par l’une des fines fleurs de la presse française, Catherine Nay, se classe, avec environ 150 000 exemplaires, en tête des meilleures ventes de livres politiques pour la période allant du 1er janvier au 25 mars.
Ce succès est-il de bon augure pour cet homme qui rêve depuis si longtemps de l’Élysée ? Ce qui est sûr, c’est que, au moment où il s’apprête à quitter ce même palais, l’occupant actuel suscite un véritable engouement en librairie. Chirac, mon ami de trente ans (Denoël), dans lequel Jean-François Probst accumule les révélations croustillantes sur la face cachée de la « chiraquie », a trouvé près de 30 000 acheteurs en un mois. Parallèlement, l’ouvrage très bienveillant du journaliste Pierre Péan, L’Inconnu de l’Élysée (Fayard), bat tous les records avec quelque 170 000 exemplaires vendus depuis sa sortie à la mi-février. Un beau cadeau d’adieu
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