Afrique noire, caméra blanche

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

Un film sur Mandela ! On ne pourrait imaginer plus beau sujet pour célébrer les vertus de l’Afrique noire, présentée sous son meilleur visage. De bon augure en tout cas, quand il s’agit d’une production internationale, pour modifier dans le reste du monde l’image détestable du continent, se dit-on avant la projection. D’autant que le réalisateur de Goodbye Bafana, le Danois Bille August, n’est pas un simple mercenaire du système hollywoodien : il fait partie du petit club de ceux qui ont obtenu deux Palmes d’or à Cannes. Et que Le Regard de l’antilope, le livre de James Gregory qui a inspiré le scénario, ces mémoires du gardien de prison qui a eu à s’occuper pendant un quart de siècle du plus illustre détenu politique de la planète, avait plutôt reçu un bon accueil lors de sa sortie en raison du portrait attachant qu’il proposait de Mandela.
Et patatras. Certes, en racontant comment le regard sur Mandela du Blanc Gregory, qui pensait avoir à surveiller un terroriste, a complètement changé au fur et à mesure qu’il le côtoyait dans son bagne, ce récit nous fait admirer une fois de plus la force de caractère et le charisme du leader de l’ANC. En décrivant les horribles conditions dans lesquelles ce dernier fut détenu, presque toujours enchaîné, surveillé en permanence dans ses moindres faits et gestes (Gregory le suivait comme son ombre parce qu’il comprenait et parlait le xhosa et pouvait donc censurer son courrier et écouter tous ses propos), le film renforce encore cet éloge bien mérité d’un homme qui jamais ne songera à se venger. Mais voilà : que nous apporte un film qui vient nous dire à un moment où le sujet a perdu son actualité ce que tout le monde sait déjà ? De surcroît, alors qu’il n’existe même pas un bon documentaire sur la détention de Mandela (sans parler de fiction), était-il judicieux de traiter ce sujet à travers le seul témoignage d’un Blanc, fût-il, après avoir été un farouche défenseur de l’apartheid, un repenti ?
On peut relever à cet égard que Mandela lui-même, à ce qu’on sait d’après sa biographie « autorisée » rédigée par Anthony Sampson, réfute en bonne partie les affirmations de Gregory, qui prétendait être devenu l’ami de « son » prisonnier. Même s’il semble peu probable que le futur premier président d’une Afrique du Sud démocratique ait été victime du syndrome de Stockholm, le plus grave n’est pas là. C’est qu’il semble que le cinéma occidental d’aujourd’hui paraît incapable de voir l’Afrique autrement qu’à travers les yeux des Blancs et en traitant des sujets misérabilistes ou édifiants quand ce n’est pas les deux à la fois. Cela dans le meilleur des cas, c’est-à-dire quand le continent ne sert pas de simple décor à des superproductions avides d’exotisme.
On a vu ainsi Blood Diamond nous proposer le portrait d’un mercenaire fort bien joué par Leonardo DiCaprio sous le prétexte de s’insurger contre le trafic de diamants qui alimente les guerres civiles en Afrique de l’Ouest, The Constant Gardener relater le combat d’une femme de diplomate anglais en Afrique de l’Est pour dénoncer les dangereuses expérimentations des multinationales pharmaceutiques dans la région, Shooting Dogs ou Un dimanche à Kigali revenir sur le génocide au Rwanda en nous faisant partager les sentiments d’horreur d’un journaliste britannique et d’un cinéaste canadien. On pourrait encore citer La Piste d’Éric Valli, côté français, Lord of War, côté américain, ou Le Dernier Roi d’Écosse, côté anglais. Tous des films très professionnels, bien joués, divertissants qui ne parlent que des préoccupations des Occidentaux en se servant d’une Afrique soit fantasmée, soit caricaturale, soit réduite à des clichés. Goodbye Bafana, très académique et réalisé lui aussi à la mode hollywoodienne, vient s’ajouter à la liste de ces uvres qui, malgré les apparences, ne se préoccupent guère du destin du continent.

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