Vassili Mitrokhine

L’ex-archiviste du KGB est décédé le 23 janvier, à l’âge de 81 ans.

Publié le 17 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Vassili Mitrokhine est passé à l’Ouest en 1992 en se réfugiant en Grande-Bretagne, sous un faux nom et sous protection policière. C’est là qu’il est mort avant d’atteindre son 82e anniversaire, le 3 mars. Curieuse histoire que celle de cet homme timide, en poste pendant quarante-quatre ans dans les services secrets soviétiques. Pendant les douze dernières années de son activité professionnelle – il a pris sa retraite en 1984 – ce déçu du communisme, chargé de superviser le classement des documents officiels transférés de la Loubianka au nouveau siège social du KGB à Yasenevo, a patiemment exfiltré des informations confidentielles. Son but ? D’abord transmettre un témoignage destiné à ses descendants pour leur « ouvrir les yeux », puis dénoncer, un jour ou l’autre, les crimes et les coups tordus du système.
Dans les années 1970 et 1980, il n’était évidemment pas possible pour un fonctionnaire désireux de rester en poste, de sortir des documents originaux. Aussi recopie- t-il, jour après jour, tout ce qui lui tombe sous les yeux sur des milliers de petits bouts de papiers qu’il froisse et jette dans sa corbeille pendant la journée, pour qu’ils n’attirent pas l’attention. Le soir, en quittant le bureau, il les glisse dans les poches de son pantalon, dans ses chaussettes ou ses chaussures. Le week-end, dans sa datcha, il s’emploie à les recopier puis les dissimule dans son jardin, dans des lessiveuses enterrées.
En 1992, à la chute de l’Union soviétique, il se rend à Riga, capitale d’une Lettonie nouvellement indépendante, et prend contact avec la CIA locale. Mais les Américains, submergés à l’époque par le flot de transfuges et de dissidents, ne montre pas grand empressement à écouter les confidences de Mitrokhine. Il propose alors son précieux butin via l’ambassade de Grande-Bretagne, aux services britanniques (MI6). Ceux-ci, ravis de l’aubaine, acceptent de prendre en charge, en novembre 1992, l’archiviste, sa famille et ses six valises en aluminium bourrées de ses fameuses notes.
Ces documents ont alimenté les services occidentaux pendant plusieurs années. Bien qu’ils ne contiennent aucune « révélation » fracassante, ils ont permis de dévoiler les complicités, imprudences et trahisons, bref, la manière dont ont fonctionné les différentes directions du KGB, leur influence sur les décisions du pouvoir et le lien entre l’action sur le terrain et l’idéologie du Parti communiste. Quoique collectées à partir de 1972, les informations s’échelonnent de 1917 à 1984. Elles donnent ainsi une photographie des différentes cibles, objectifs, voire obsessions des dirigeants successifs de l’Union soviétique. Cette histoire unique du KGB, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, montre la façon dont il a créé et entretenu, des années durant, ses différents relais.
En 1999, Vassili Mitrokhine connaît une éphémère célébrité en Occident grâce à la publication de The Mitrokhine Archives, The KGB in Europe and the West, un livre publié en Grande-Bretagne, aux éditions Allen Lane/Penguin Press (996 pages). Il est cosigné avec Christopher Andrew, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Cambridge, spécialiste de l’étude des services de renseignements. L’année suivante, une version expurgée sort en France sous le titre : Le KGB contre l’Ouest. Ces deux ouvrages ont été fraîchement accueillis par la critique, déçue de ne pas récolter d’informations « croustillantes » ou inédites. Des doutes sont même émis sur la véracité de certains éléments et sur les objectifs réels d’une telle publication massive. Certains auteurs vont jusqu’à soupçonner une manipulation du KGB nouveau, le FSB et le SVR, destinée à brouiller les pistes et à protéger les agents en place.
Vassili Mitrokhine était quand même un homme bien informé, au point de devoir protéger son identité même après la chute de l’URSS. Sa chronique des coups tordus ne manque pas de sel et a beaucoup intéressé les lecteurs amateurs de complots. Ainsi a-t-il bien raconté le projet, heureusement abandonné, de vitrioler le visage du danseur étoile Rudolf Noureïev ou de lui briser les jambes. Si les protagonistes dont il parle sont souvent des agents de second plan, ses archives ont apporté de grandes précisions sur certains dossiers, notamment ceux des années 1970 concernant les tentatives soviétiques de déstabilisation des Partis communistes européens. Ces dernières années, Mitrokhine préparait un second livre en collaboration avec Andrews, contenant ses révélations sur l’influence et les actions du KGB dans les pays du monde non occidental, Asie et Afrique principalement. À suivre donc ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires