Une question de langue

Le dialogue entre le gouvernement et les représentants du mouvement protestataire kabyle bute sur le statut du tamazight.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 3 minutes.

L’espoir né de la signature d’un protocole d’accord, le 6 janvier, entre le gouvernement et les délégués des arouch, ces comités de tribus et de villages kabyles qui représentent le mouvement de protestation dans cette région, a fait long feu. L’acceptation des conditions préalables posées par les arouch avant tout dialogue avait laissé croire que la Kabylie allait enfin retrouver la sérénité. Mais l’entame des pourparlers a révélé très vite que certaines revendications contenues dans la plate-forme d’El-Kseur (quinze revendications, pour la plupart déjà satisfaites), « scellée et non négociable » selon les délégués kabyles, sont délicates et dépassent les compétences du Premier ministre, Ahmed Ouyahia.
C’est le huitième point de la plate-forme, la consécration du tamazight comme langue nationale et officielle, qui pose problème. Le Premier ministre a affirmé aux délégués qu’au-delà des questions pratiques et techniques (le tamazight a de multiples variantes et le déficit en outils pédagogiques pour son enseignement est flagrant) une telle décision intéresse l’ensemble de la nation. Aucun exécutif responsable, a-t-il précisé, ne saurait s’engager dans cette voie sans en référer à l’ensemble de la population. Les délégués ont rejeté cet argument, dans lequel ils voient une manoeuvre dilatoire. Ils ont donc quitté la table de négociations, le 29 janvier.
Fin d’épisode ou épilogue d’un long feuilleton ? Ahmed Ouyahia ne désespère pas de voir ses interlocuteurs revenir à de meilleurs sentiments, évaluer le chemin parcouru et en retenir les points positifs. En face, on campe dans l’intransigeance. « Notre mandat est clair, affirme un délégué. Il s’agit de mettre en oeuvre une plate-forme que nous n’avons pas le droit de retoucher. »
Pour les représentants kabyles, l’échec est imputable au pouvoir qui, en voulant soumettre la question à un référendum, « veut diviser le peuple ». Comment peut-on se battre pour des pratiques démocratiques et refuser la consultation populaire ? « La revendication identitaire n’est pas opposable aux urnes », réplique Belaïd Abrika, figure de proue du mouvement protestataire. « Nous allons boycotter la présidentielle. »
Cet échec est pain bénit pour les adversaires du président Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier tenait à marquer la fin de son premier mandat par le règlement d’un contentieux vieux d’un demi-siècle. Le problème identitaire est en effet apparu dès 1949, treize ans avant l’indépendance, et avait provoqué un début de guerre civile en 1963 avec les maquis du Front des forces socialistes (FFS) d’Hocine Aït Ahmed.
Si les rivaux de « Boutef » se frottent les mains, ce n’est pas le cas de la population kabyle, lasse de la situation de blocage que connaît la région depuis trois ans, et qui avait fondé beaucoup d’espoir sur ce dialogue.
Quelles pourraient être les conséquences de l’échec des négociations ? La première serait immanquablement le maintien du statu quo, avec une région où l’administration fonctionne au ralenti, où le terrorisme islamiste a trouvé un terrain fécond pour mener des opérations meurtrières et où tous les projets économiques sont en panne.
Pour ce qui est du scrutin du 8 avril, la première victime du boycottage devrait être Saïd Sadi. Le patron du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), candidat à la présidence, verrait ses terres électorales bouder les urnes. C’est pourquoi il met le pouvoir et les arouch dans le même sac. Quant à l’autre formation politique fortement implantée dans cette région, le FFS, elle avait décidé de ne pas participer au scrutin avant même l’échec du dialogue.

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