Une nouvelle façon de panser

Souvent accusé d’être récupéré par le politique ou de ne servir qu’à obtenir des subventions, le milieu associatif cherche des garanties d’indépendance.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Demandez-donc à un Algérien ce qu’évoque pour lui le terme « association ». Le plus souvent, il vous répondra « instrument du pouvoir » ou « pompe à subventions ». Un interlocuteur moins véhément dira peut-être : « Ici, on milite pour trouver un appartement… » En Algérie, le milieu associatif, tout comme le champ politique, inspire souvent le sentiment du mépris, la hogra : « Ici, il faut être introduit pour décrocher une subvention correcte », assure Hocine Boukabous, cinéphile passionné et président du ciné-club Les Amis du septième art.
C’est en 1989, avec l’ouverture du régime, que les associations ont commencé à fleurir. Quinze ans après, le bilan est plutôt sombre. D’abord, parce que beaucoup d’entre elles ont essentiellement constitué des réservoirs de votes pour les politiques (au pouvoir ou dans l’opposition), ou ont été utilisées comme des tribunes et des faire-valoir par leurs responsables – en attendant des jours meilleurs. Bien sûr, toutes ne servent pas des intérêts politiques étroits. La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, emmenée par Me Abdenour Ali Yahia, en est une preuve d’autant plus éclatante qu’elle a pris le parti des représentants de tous bords politiques. Reste que l’on semble assister depuis quelques années à une sorte de crispation. Ainsi, la Maison des libertés, projet ayant pour mission la défense de la liberté d’expression de feu Mohamed Yazid, ministre de l’Information du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), n’a jamais été agréée.
En revanche, le pouvoir a toujours encouragé la création d’associations caritatives ou humanitaires, se déchargeant par là même d’une partie de ses obligations sociales. Ces structures accomplissent d’ailleurs un travail remarquable, notamment dans le secteur de la santé. Créé en 1996 par des étudiants en médecine, le Souk, qui organise des sorties pour les enfants malades, a dû vaincre bien des résistances : « Au début, on nous disait qu’on était fous de vouloir emmener trois cents enfants à la piscine ou en forêt ! Mais ça s’est très bien passé », raconte Lila Ouabadi, un de ses membres. Quant aux associations féministes, elles occupent en général une position singulière, à mi-chemin entre le caritatif et la politique. En réclamant par exemple l’abrogation de tout ou partie du Code de la famille, comme le fait SOS Femmes en détresse, qui lutte contre ce que sa présidente, Meriem Belaala, appelle la « violence institutionnelle » instaurée par ce texte rétrograde.
Beaucoup craignent qu’on ne tente de les récupérer une fois la notoriété acquise : « On se méfiait du statut d’association », explique Lila Ouabadi, du Souk. Au bout de sept ans, elle a finalement demandé (et obtenu) un agrément pour faciliter la gestion de son gros budget. D’autres optent pour la « clandestinité » – l’absence d’agrément – ou sa « variante » : la discrétion. Pédiatre au CHU Maillot, à Alger, Abdenour Laraba est le promoteur d’Amine, association ayant pour but de permettre aux enfants d’étudier et de s’amuser pendant leur hospitalisation. Il explique : « Notre objectif est de créer une association nationale pour l’humanisation des soins sans que le politique nous mette la main dessus. Pour cela, nous sommes très discrets et nous le resterons. » Pour toutes ces structures indépendantes, le meilleur gage d’autonomie est le recours à des financements étrangers.
C’est sous l’impulsion « de rescapés d’expériences associatives malheureuses, gangrenées par les luttes de pouvoir et les considérations financières », explique Fadéla Chitour, endocrinologue à la retraite très impliquée dans la vie associative, que Wassila a vu le jour fin 2000. Ce réseau de réflexion et d’action en faveur des femmes et des enfants victimes de violences compte entre cinquante et cent membres actifs, mais n’a ni identité juridique ni bureau, ce qui empêche toute récupération. Sa présidence est tournante, ses financements ponctuels (Unicef, fondation Friedrich-Ebert), sa logistique assurée à tour de rôle par ses adhérents, quels qu’ils soient : associations nationales, fondations à vocation commémorative (comme la fondation Boucebci, du nom d’un psychiatre assassiné en 1993), ou ONG internationales (Terre des hommes, Caritas, Kinderdorf). Wassila cherche à promouvoir les droits des victimes dans tous les domaines de la vie sociale, de manière à en assurer un meilleur respect. Un guide juridique a été élaboré et une chaîne médico-psycho-sociale reposant sur la mobilisation de bénévoles (sages-femmes, spécialistes…) est mise en place. Mutualisation des moyens, travail en réseau, mobilisation par projet, refus d’un pouvoir institutionnalisé : une nouvelle manière de concevoir l’action associative en Algérie serait-elle en train d’émerger ?

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