Sfax sur un volcan

Le quart de finale de la CAN entre le Maroc et l’Algérie a donné lieu à de graves débordements dans le stade et dans les rues de la ville. Explication.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 4 minutes.

Magasins et édifices du centre-ville saccagés, voitures cassées, tribunes du stade Taïeb-Mehiri dévastées, Sfax, en dépit de mesures de sécurité exceptionnelles, a vécu à l’occasion du match de football Maroc-Algérie, le 8 février, un week-end particulièrement mouvementé.
La Coupe d’Afrique des nations (CAN) a mal « digéré » la première migration massive de supporteurs de son histoire. Le phénomène, très courant en Europe, ne s’était jamais produit jusque-là en Afrique. Depuis les années 1980, on voyait arriver dans le pays hôte de la CAN quelques centaines de supporteurs regroupés au sein de groupes d’animation. Ils venaient du Cameroun, du Nigeria, du Sénégal ou du Ghana, rarement d’Afrique du Nord. Déguisés et grimés aux couleurs de leurs pays, ils prenaient place dans une tribune, battant sans arrêt tam-tams et autres instruments de percussion. Avec une Coupe d’Afrique se déroulant en Tunisie, il fallait s’attendre à un flux important de spectateurs en provenance de l’Algérie.
En 1988, le Maroc accueillait la CAN et l’Algérie était qualifiée. Mais, du fait du contentieux politique entre les deux pays, les frontières avaient été fermées. Très peu d’Algériens avaient pris place dans le stade Mohammed-V de Casablanca pour assister au match de classement Maroc-Algérie (celle-ci l’emportera aux tirs au but après un nul 1-1). En 1994, la CAN avait lieu en Tunisie, et l’Algérie, éliminée au profit du Sénégal, était absente. Depuis, elle a participé aux éditions 1996 en Afrique du Sud, 1998 au Burkina Faso, 2000 au Ghana-Nigeria et 2002 au Mali sans drainer derrière elle des cohortes de supporteurs : l’éloignement et le coût du voyage étaient dissuasifs.
Cette fois-ci, les organisateurs avaient tablé sur une « invasion » de fous du ballon en provenance des villes algériennes frontalières. Ils avaient choisi de programmer les trois matchs de l’Algérie à Sousse. Cité touristique, la Perle du Sahel accueille chaque été des dizaines de milliers d’estivants algériens et son stade se classe, sur le plan de la capacité, après ceux de Radès et d’El-Menzah. Et effectivement, ils sont venus par milliers du Constantinois, de l’Algérois, d’El-Oued, de Tebessa… En voiture, drapeaux vert et blanc déployés, un bandeau leur ceinturant la tête, ils ont déferlé sur Sousse, qu’ils ont occupé de jour et de nuit.
Puis les supporteurs des Fennecs ont pris d’assaut le stade olympique, l’ont habillé de banderoles et l’ont transformé en volcan. Ils ont repris en choeur Qassaman et hué l’hymne égyptien. Ils ont allumé des feux de Bengale, lancé des fusées multicolores, des bombes fumigènes et des pétards. Ils ont aussi bombardé de piles usagées, de pièces de monnaie et de bouteilles les occupants de la tribune d’honneur où des VIP égyptiens avaient osé manifester leur joie.
Le soir du 29 janvier, après la victoire de leur équipe sur les Pharaons, les Algériens ont sillonné, klaxons hurlant, les avenues et les rues de Sousse. Beaucoup d’entre eux ont passé la nuit sur la promenade de Boujaffar, au milieu d’un dispositif policier impressionnant.
Une équipe d’Algérie constituée en majorité d’expatriés, sans grande vedette, a, en l’espace de quatre jours, damé le pion à deux grands du football d’Afrique : le Cameroun (1-1) et l’Égypte (2-1). Pour accéder aux quarts de finale, elle a utilisé les seules armes dont elle dispose : la combativité et la volonté collective. Et voilà que le sort lui désigne comme adversaire le Maroc. Sur le calendrier officiel, la rencontre est programmée à Sfax, dont le stade, situé en pleine ville, ne peut accueillir que 20 000 spectateurs. Or l’écho de la qualification en Algérie a créé une véritable onde de choc et mobilisé une armée de supporteurs incontrôlés(*).
Le match ne pouvait qu’être à hauts risques. Le bon sens dictait de se rappeler le précédent de France-Algérie d’octobre 2001 au stade de France, de s’inspirer des recommandations de la Fifa et de prendre des précautions élémentaires comme le déplacement de la rencontre au stade d’El-Menzah à Tunis (capacité : 45 000 places). L’implication de la fédération algérienne de football dans la vente des billets et peut-être la constitution d’une commission mixte tuniso-algérienne pour gérer l’entrée, la circulation, le séjour, l’accès au stade et le retour de milliers de supporteurs arrivés par la route auraient été également souhaitables. Aucune de ces dispositions n’ayant été prise, la ruée sauvage était inévitable.
Les échos de « l’invasion algérienne de Sousse » étaient parvenus à Sfax. Nullement habituée à accueillir des milliers de visiteurs agités et incontrôlés, cette ville tranquille a pris peur. Les commerçants ont fermé boutiques et restaurants, et tout le monde s’est calfeutré chez soi en attendant le passage de l’ouragan.
Les organisateurs n’avaient mis en vente que 16 000 billets. Ce qui faisait plus de 3 000 Algériens frustrés et en colère. La municipalité a eu beau installer un écran géant, rien n’y fit : la marée humaine surexcitée et déçue par l’accueil qui lui était réservé n’a pu être endiguée.
Au stade Mehiri, la confrontation sportive est dirigée d’une main de fer par l’arbitre libyen Abdelkarim Shelmani qui distribue moult cartons jaunes pour calmer les ardeurs excessives. Le sort de la partie bascule dans les ultimes minutes. But algérien de Cherrad. Bordées de « One ! Two ! Three ! Viva l’Algérie ! » Égalisation in extremis de Chammakh. Puis, dans les prolongations, buts de Hadji et de Zaïri. L’Algérie capitule. Ses supporteurs « explosent », arrachent les sièges et bombardent le terrain. Le service d’ordre charge et expulse manu militari les hystériques. Il faudra plusieurs heures pour les refouler des alentours du stade puis de la ville. Pitoyable soirée que celle de ce 8 février à Sfax. Une soirée qui a réveillé bien des fantasmes et ranimé un chauvinisme que l’on croyait éteint.

* En décembre 1968, plus 20 000 supporteurs algériens s’étaient déplacés en bus à Tunis pour le match de Coupe du monde Tunisie-Algérie (0-0).

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