Privé de chocolat ?

Un homme d’affaires accuse l’État d’avoir, de mèche avec une société belge, tenté de lui voler une idée de promotion du café et du cacao. En attendant de porter plainte, il en appelle au président Gbagbo.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 5 minutes.

« Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ! On m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent ! Qui peut-ce être ? »
Ce n’est pas de théâtre qu’il s’agit, mais de matières premières. Et Nestor Adjé Koffi, 43 ans, n’est pas, bien entendu, Harpagon, mais le modeste fondateur du Salon mondial du café, du cacao et du chocolat, dont la troisième édition doit normalement se tenir du 13 au 15 février à Bruxelles. Cette année, sans lui. On l’aura deviné, par le fait du prince.
Vers la fin des années 1990, ce jeune Ivoirien vivant en France crée une association à but non lucratif dont le sigle, pour le moins original, « KFE-KKO », est à la mesure de ses ambitions. À savoir, défendre, promouvoir et valoriser le café, le cacao, le chocolat et les autres dérivés ; venir en aide aux pays exportateurs et, à travers eux, aux planteurs, alors qu’une directive européenne autorise les industriels à introduire des matières grasses végétales (beurre de karité et autres) dans leur chocolat, avec les conséquences dommageables que l’on peut imaginer pour les producteurs.
Avec l’aide de quelques amis, membres, notamment, de l’Association européenne du goût, ce fils de paysans natif de Toumodi, dans le centre de la Côte d’Ivoire, mobilise les artisans chocolatiers attachés à la tradition contre une décision qui pénalise par ailleurs des pays comme le sien, mais aussi le Cameroun, le Brésil, la Colombie, pour ne citer que ceux-là. Il sillonne la France, organise des « festivals du chocolat », sensibilise à sa cause des hommes politiques tels que Philippe Seguin, à l’époque maire d’Épinal et président de l’Assemblée nationale française. Dans un discours très « cacao », ce dernier s’engage à peser de tout son poids pour obtenir la modification, voire l’annulation, de la directive européenne.
Dans la foulée, Nestor Koffi, métrologue (spécialiste de mesures physiques) de formation, entreprend de créer un « Salon mondial du café, du cacao et du chocolat » qui se propose d’être un grand rendez-vous annuel des professionnels des filières café et, surtout, du cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial avec 40 % des parts du marché. Prudent, il procède à l’enregistrement des deux marques « KFE-KKO » et « Salon mondial du café, du cacao et du chocolat », en France, en Côte d’Ivoire et, plus tard, auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), à Genève. La ville de Bruxelles est choisie pour accueillir la manifestation, notamment parce qu’elle abrite le siège des institutions européennes, mais aussi parce qu’elle passe, avec Genève, pour être la capitale mondiale du chocolat.
La première édition, sponsorisée, entre autres, par l’État de Côte d’Ivoire, se déroule du 14 au 17 mars 2002 dans un espace de 1 000 m2 et en de présence de plus de 100 exposants, dont une imposante délégation ivoirienne et des producteurs venus du Brésil, du Ghana, du Nigeria, de la Malaisie, du Venezuela, du Cameroun, etc. Par la suite, dans le but d’améliorer la formule, Nestor Koffi conclut, le 29 août 2002, avec une société belge spécialisée dans l’organisation de salons, CPE-Exhibition (voir fac-similé de droite), un contrat qui engage cette dernière à monter, tous les ans, le « Salon mondial du café, du cacao et du chocolat ». Détail qui a son importance : CPE-Exhibition a, par ailleurs, son propre « Salon Aroma », à destination des « amoureux » du café, du thé et du chocolat, et ouvert, pour sa part, au grand public.
Le contrat fixe les conditions de la future collaboration : « KFE-KKO, propriétaire du concept Salon mondial du café, du cacao et du chocolat, a décidé de confier la gestion et l’organisation de cette manifestation à la société CPE-Exhibition, choisie pour ses compétences spécifiques en matière d’organisation de salons et son engagement à oeuvrer dans le respect des objectifs de l’association KFE-KKO », indique le préambule, qui met l’accent sur la « complémentarité » des deux salons. La société belge s’engage, entre autres, à inscrire la manifestation « au calendrier officiel des salons », à organiser et à assurer sa « gestion matérielle et technique complète dans une transparence totale et permanente ». Mais aussi à verser au compte de l’association KFE-KKO « une subvention globale de 100 000 euros au titre de la tenue du salon. » Contrepartie financière qui sera libérée, précise le document, « par un virement sur le compte du siège de l’association KFE-KKO dès la réalisation des objectifs en termes de chiffre d’affaires ».
Le deuxième rendez-vous se tient, sans problèmes majeurs, du 13 au 16 mars 2003. Il connaît une affluence record, alors même que la Côte d’Ivoire se débat dans la plus grave crise politique et sociale de son histoire. Les paysans et les producteurs, tout comme les officiels qui font le déplacement, sont comblés. Koffi affirme, en revanche, que son associé n’a pas tenu tous ses engagements : « Il ne m’a pas versé la totalité de l’argent promis. » Il ne dénonce pas pour autant la convention du 29 août 2002. Plus grave, la troisième édition du salon, prévue du 13 au 15 février 2004, se fera sans lui, et sous le parrainage exclusif du « Salon Aroma ». Et pour cause.
En Côte d’Ivoire, où environ 6 millions de personnes vivent du seul cacao, certains ont décidé, dans le secret des cabinets ministériels, de récupérer le bébé. Quitte à laisser son « géniteur » sur le banc de touche en trouvant un « arrangement » avec son associé belge, CPE-Exhibition. « Pourtant, dans cette aventure, je n’ai jamais touché une rémunération ni la moindre enveloppe de mon pays, jure Koffi. Et j’ai sacrifié ma vie familiale pour atteindre l’objectif que je m’étais fixé, persuadé que, tôt ou tard, je serais récompensé de mes efforts. Par jalousie et par méchanceté, on veut saper mes efforts, récupérer mes réseaux et me spolier… »
À l’en croire, « la machination » aurait été ourdie par le ministère ivoirien de l’Agriculture, dont une note interne en date du 21 janvier 2004 parvenue à Jeune Afrique/l’intelligent indique, en effet, qu’il a été « relevé beaucoup de tares dans l’organisation des précédentes éditions sous la bannière du ministère du Commerce. En plus, elles n’ont pas produit les attentes escomptées en termes de retombées positives réelles. [sic] […] Les structures se sont également élevées contre le fait que l’organisation pratique soit confiée à KFE-KKO de Nestor Koffi, dont l’incapacité à l’organisation des manifestations s’est réveillée [resic]. »
S’estimant victime d’une « cabale », ce dernier n’entend pas rester les bras croisés. « Pour me remercier, écrit-il dans une lettre adressée le 6 février au président Laurent Gbagbo, ceux qui sont aujourd’hui en charge de la filière café-cacao me contournent par le biais de l’ambassade de Côte d’Ivoire en Belgique pour signer un accord avec mon partenaire et participer à son Salon Aroma. Cet acte n’est pas à l’honneur de la Côte d’Ivoire. Il détruit l’ambition que j’avais de faire de mon pays l’initiateur d’un grand salon international professionnel et non pas une simple manifestation chocolatière parmi tant d’autres. […] J’avais constaté que les Ivoiriens n’aiment que ceux qui prennent les armes contre leur propre pays, au point de leur faire la part belle et de leur offrir des promotions. Je constate aujourd’hui qu’ils n’aiment pas les honnêtes gens… » (Voir fac-similé de gauche.)
Nestor Adjé Koffi menace donc de déposer, à Bruxelles, un recours en référé pour faire respecter ses droits et récupérer son bébé. Affaire à suivre…

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