Pourquoi l’Occident a-t-il peur des Arabes ?

Publié le 16 février 2004 Lecture : 5 minutes.

La peur que les Arabes et les musulmans inspirent aux Occidentaux est l’un des phénomènes politiques et psychologiques les plus frappants de ces dernières années, comme l’auront constaté, à leur plus grand agacement et à leur plus grande gêne, tous ceux qui portent un nom à consonance arabe ou musulmane et qui veulent aller aux États-Unis ou même dans l’Union européenne. « Peur » est peut-être un mot trop anodin. Le sentiment qui s’est emparé du monde occidental depuis les attentats du 11 septembre 2001 est plutôt une forme de paranoïa.
Une sorte de spécialisation a vu le jour dans les milieux intellectuels occidentaux, les universités, les médias, qui cherche à disséquer et à comprendre la « violence », l’« agressivité » et le « fanatisme » dont le monde arabo-musulman ferait preuve à l’égard de l’Occident.

D’où vient cette « haine arabe » ? Presque invariablement, les analyses occidentales concluent que la cause essentielle en est « l’échec » des sociétés du monde arabe, l’absence de démocratie, les violations des droits de l’homme, la mauvaise gestion économique, l’oppression dont y sont victimes les femmes, la démographie galopante, le chômage incontrôlé, la faiblesse de l’éducation, le retard technologique et même le non-accès à l’Internet ! Ainsi, le Moyen-Orient n’aurait le choix qu’entre « le chaos et l’autocratie ». On trouve des dizaines d’exemples de la sorte dans les livres et les journaux occidentaux et dans les discours des hommes politiques. Le tout se résumerait à ceci, que la cause profonde de la violence terroriste est que la société arabo-musulmane est « malade ».
Ce type d’analyse n’est ni exact ni désintéressé. C’est une tentative pour rejeter sur le monde arabo-musulman la part de responsabilité de l’Occident dans la situation actuelle, qui est instable et dangereuse.
Peu après le 11 septembre, plusieurs commentateurs, notamment aux États-Unis, ont commencé à expliquer que les attentats n’étaient en aucune manière une réaction à la
politique américaine au Moyen-Orient le soutien inconditionnel d’Israël, la mainmise sur le pétrole, les bases militaires, les États clients , mais découlaient de la nature même de la société arabo-musulmane. Cette analyse a fourni aux néoconservateurs de Washington l’argument dont ils avaient besoin pour déclencher la guerre contre l’Irak. Si
l’on admettait que les terroristes arabes étaient le produit de sociétés malades, alors le meilleur moyen de protéger les États-Unis de nouveaux attentats était de réformer ces sociétés, au besoin par la force.
Cet argument n’est qu’un écran de fumée dissimulant les véritables mobiles d’une attaque contre l’Irak, à savoir assujettir le monde arabe et défendre les intérêts stratégiques des États-Unis et d’Israël. Mais l’argument d’une réforme arabe imposée par une intervention militaire extérieure a fait souche, et a même été adopté par plusieurs analystes arabes. Il faut poser une question fondamentale : la cause première de la violence politique est-elle sociologique ou politique ? Le poseur de bombes de Bagdad, Kaboul, Tel-Aviv, Bali, Riyad, Casablanca ou Istanbul est-il inspiré par la misère et le désespoir ou par un mécontentement politique exacerbé ? Les kamikazes qui ont détruit les tours du World Trade Center étaient-ils motivés par la pauvreté et le chômage, ou bien croyaient-ils porter un coup à l’impérialisme américain ?

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À mon avis, le conflit essentiel entre le monde arabe et l’Occident n’est pas un conflit entre le christianisme et l’islam, ou un affrontement de civilisations. Il ne sera pas réglé par un dialogue entre des chefs religieux ou par l’exportation de la « démocratie » à l’américaine appuyée par la force armée. Le conflit entre les Arabes et l’Occident est politique. Il l’est depuis plusieurs décennies : depuis que les espoirs arabes d’indépendance et d’unité ont été trahis et déçus après la Première Guerre mondiale. Il ne s’apaisera que lorsque l’Occident – et les États-Unis en particulier – prendra en compte les griefs arabes, dont le problème palestinien est le plus évident.
Personne ne peut nier que le monde arabe a un urgent besoin de réformes radicales. Sauf quelques exceptions notables, la société, la politique, l’économie y sont figées et corrompues. Le pluralisme politique, la justice sociale, les libertés fondamentales d’expression et d’association par-dessus tout, l’État de droit brillent par leur absence. Dans plusieurs pays, les classes dirigeantes sont au pouvoir depuis beaucoup trop longtemps et pillent impunément les richesses nationales. Mais ce ne sont pas là les causes de la violence terroriste contre l’Occident et ses amis arabes.
Les écrivains, intellectuels et hommes d’affaires arabes ont été les premiers à dénoncer tout ce qui ne va pas dans le monde arabe et à avertir que si la réforme ne vient pas de l’intérieur, elle sera, un jour ou l’autre, imposée de l’extérieur. Beaucoup d’Arabes et de musulmans comprennent que le problème central auquel ils doivent s’attaquer et auquel se sont heurtés les réformateurs arabes depuis des générations est d’intégrer
tout ce que l’Occident peut apporter de bon tout en préservant l’indépendance arabe. En d’autres termes, de rejoindre le monde moderne de la démocratie libérale et des progrès
scientifiques et économiques sans perdre la base morale de l’islam.
Le message qu’ont voulu envoyer les États-Unis en envahissant et en occupant l’Irak est tout différent, et il est totalement centré sur les intérêts américains et sur les craintes qu’ont les États-Unis pour leur sécurité. Au forum de Davos, le vice-président Dick Cheney a repris l’antienne : « Nous sommes actuellement confrontés à un réseau mondial de terroristes qui sont opposés aux valeurs de liberté, de tolérance et d’ouverture qui sont la base de nos sociétés Nous devons nous attaquer aux idéologies de violence à la source en défendant la démocratie au Moyen-Orient et au-delà Des menaces directes exigent une action décisive. » Rien dans son discours n’indiquait que la politique américaine sa duplicité et ses interventions incessantes dans le monde
arabo-musulman pourrait être à l’origine de la violence terroriste.
Les Arabes devraient proposer un marché aux États-Unis : « Réglez les problèmes politiques qui se posent à nous l’expansion israélienne, la situation des Palestiniens, la présence d’une force armée américaine au cur de notre région, notre indépendance
encore limitée , et nous entreprendrons les réformes nécessaires de nos sociétés, libres des pressions de la guerre et de l’occupation. »

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