Poil à gratter

Notre collaborateur Fouad Laroui raconte des tranches de vie. Désopilant et irrévérencieux.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 2 minutes.

Après quatre romans à la veine incisive et jubilatoire, l’écrivain marocain Fouad Laroui renoue avec la nouvelle. Qu’il excelle dans ce genre, réputé difficile, n’étonnera personne. Ceux qui lisent ses chroniques depuis des années dans J.A./l’intelligent savent qu’il en possède les secrets : la concision du fait, les mots précis pour le dire, le sens de l’analyse chevillé à un humour qui frise parfois l’irrévérence.
Le voici donc qui nous raconte des scènes toutes simples, des tranches de vie dans ce qu’elles ont de plus banal. Nul effort d’intrigue, de développement, de suspens. Mais quel talent ! L’auteur s’attable à un bar de Montmartre, et le voilà qui, au lieu d’écouter son compatriote, analyste politique de son état, se concentre sur la dame assise, là, à deux pas, qui pleure en silence. Et c’est déjà fini. Pas de discours, pas de commentaire. Le narrateur n’a pas besoin de le dire, le lecteur sait qu’une larme de désespoir vaut tous les royaumes du monde. Il n’a pas besoin de s’apitoyer sur la dame en question, une autre histoire a pris le relais et les mots ont déjà fait redémarrer la vie, au pas de course, comme une indéfectible mécanique. Apparaît alors le cycliste dont la bicyclette supposée a tout du « mensonge » d’Ibsen, cette machine fictive qui ne sert qu’à supporter l’existence, ou tout au plus à lui donner un sens. Suivent Didi et son costume fétiche, le poète et ses vaines tentatives pour trouver une rime à « kalachnikov », Khadija, femme arabe derrière moucharabieh, ténébreuse et inconsolable à souhait.
Ainsi, de Casa à Tokyo, en passant par Paris, Fouad Laroui observe comme on photographie. Il traque les secrets et les manies. Il voyage dans les têtes et dans les cultures. Il ne compare pas. Et, miracle, voilà que tout le monde se ressemble. Les destins suivent la même courbe et l’amour force tous les coeurs. Le pendu d’El-Jadida est le frère jumeau de celui du Yorkshire. Et cette dame qui pleure est seule, comme toutes les autres femmes. Derrière des situations locales se profile l’humanité entière dans ses joies et ses errements, ses espoirs et ses obsessions, ses gloires et son ridicule.
Au-delà du mot bagarreur et de la parenthèse taquine apparaît un invité de circonstance : la vérité la plus grave dite sur le ton le plus léger.
Ainsi refermons-nous ces nouvelles avec une admiration renouvelée pour un écrivain dont le Maroc natal a nourri les racines et dont l’Europe a ouvert les horizons. Un auteur qui manie la fiction en enseignant, écrit en français et parle hollandais, donne des conférences sur l’économie et cite dans le texte Voltaire ou Abou Nawas. Un enfant terrible de la littérature francophone qui a tout d’un tendre. Qui critique, tout en comprenant. Déteste, mais ne hait point. Rigole… avec un sanglot dans la gorge. Fréquente beaucoup… et se livre peu. Timide et discret, on sait de lui ce qu’il n’aime pas, à défaut de savoir ce qu’il aime. Et ce qu’il n’aime pas, ce sont la bêtise humaine, l’injustice, le conservatisme aveugle, l’intolérance. Voltairien, jusqu’au bout des ongles, descendant d’Averroès et d’Ibn Battouta. Un Arabe comme on en fait plus, ou si peu. Hélas !

Tu n’as rien compris à Hassan II, de Fouad Laroui, Julliard, 114 pp., 15 euros.

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