ONU : le gâchis saharien
Depuis 1975, l’ancien territoire espagnol a fait l’objet de 48 résolutions du Conseil de sécurité et d’un nombre incalculable de rapports des Nations unies. Résultat : le différend entre les parties au conflit reste entier.
Difficile, lorsque l’on se rend sur le mur de défense marocain qui sécurise le Sahara occidental sous administration royale, de ne pas penser à Dino Buzzati et à son Désert des Tartares. Le « rien à signaler dans le désert » par lequel on déclinait il y a peu à Rabat, non sans ironie, l’acronyme RASD (République arabe sahraouie démocratique) prend ici tout son sens. Depuis le cessez-le-feu entre belligérants, il y a plus de douze ans, les jumelles des soldats marocains ne voient rien passer d’autre que de maigres troupeaux de dromadaires, quelques groupes d’immigrés clandestins, un vent de sable quotidien et les 4×4 blancs de la Minurso, la Mission des Nations unies chargée d’observer et de faire respecter cette étrange paix armée.
Depuis septembre 1991 donc, au rythme des résolutions de son Conseil de sécurité et pour un coût cumulé de 500 millions à 600 millions de dollars, l’ONU mène ici une opération aussi fastidieuse et répétitive que la cinquantaine de rapports produits dans le même laps de temps par trois secrétaires généraux successifs, Javier Perez de Cuellar, Boutros Boutros-Ghali et Kofi Annan.
Les Bérets bleus qui boivent leur per diem le soir venu au bar de l’hôtel El-Massira de Laayoune, en priant le ciel pour que s’éternise une situation qui leur permette de conserver leur précieux salaire de contractuel, ont de très fortes chances, cette année encore, de voir leurs voeux exaucés.
Prolongé une énième fois jusqu’au 30 avril 2004, leur mandat sera plus que vraisemblablement reconduit pour trois mois et ainsi de suite, tant le fossé qui sépare les « parties au conflit » est profond. Le Maroc, dont chacun sait sans le dire qu’il ne quittera jamais « son » Sahara (sauf à imaginer que l’armée se disloque et que la monarchie se suicide), campe sur un inébranlable TSR – tout sauf le référendum. Le Polisario, dont la direction a fait de cet état indéfini de ni guerre ni paix une rente de situation, s’accroche au TOR – tout ou rien.
Quant à l’Algérie, elle ne bougera évidemment pas avant l’élection présidentielle d’avril – laquelle, très probablement et quel qu’en soit le résultat, ne devrait en rien modifier la donne.
Reste donc à spéculer, comme le font à l’envi les médias marocains et algériens, à propos d’hypothétiques pressions de l’hyperpuissance américaine sur l’un ou l’autre camp. Or il semble fort que, par les temps qui courent, Washington considère comme beaucoup plus déstabilisatrice que stabilisatrice une intervention de sa part qui modifierait le fragile équilibre entre deux de ses alliés les plus sûrs dans le monde arabo-musulman. Intégration maghrébine en panne, UMA (Union du Maghreb arabe) en coma artificiel, frontières closes : le gâchis saharien a donc encore de beaux jours devant lui.
Y a-t-il une solution « juste et durable » au Sahara occidental ? En lisant le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, publié le 19 janvier, et la dernière résolution du Conseil de sécurité, votée le 30 janvier, on peut éprouver des sentiments à la fois d’espoir et de lassitude.
Commençons par la lassitude. Depuis que le Conseil de sécurité a pris en main « la situation du Sahara occidental », le 20 octobre 1975, il lui a conscré 48 séances. À chaque fois, il a demandé aux « parties concernées et intéressées » de « travailler avec l’ONU et l’une avec l’autre en vue de l’acceptation et de l’application du plan de paix »… Après quelque trente années d’efforts, on en est au point mort, ou presque. Le cessez-le-feu, en vigueur depuis le 6 septembre 1991 et toujours sous surveillance, étant acquis, personne ne pense plus à une solution militaire. Tout le monde s’attache à trouver « une solution politique ».
L’envoyé spécial de Kofi Annan, l’ancien secrétaire d’État américain James Baker, désigné le 17 mars 1997, a imaginé une « troisième voie » capable, selon lui, de sortir le projet de référendum d’autodétermination de cette ancienne colonie espagnole, peuplée à l’époque par 75 000 à 85 000 personnes, de l’enlisement. Il a proposé une sorte d’autonomie interne pendant une période transitoire de cinq ans et un référendum par la suite. Il a ajouté cette option aux électeurs pour éviter que l’un ou l’autre camp perde ou l’emporte à 100 %.
Hélas ! quand l’une des parties accepte, l’autre pose une condition qui empêche d’aller plus loin… Le lourd contentieux sur la désignation des électeurs (cinq ans et demi de travail) n’est toujours pas tranché que l’on s’interroge même sur l’intitulé du plan de règlement – sur les mots référendum et autodétermination pourtant acceptés par les parties dans leur accord de principe du 30 août 1988… -, on demande d’inclure telle ou telle nouvelle catégorie d’électeurs après la fin de la phase d’identification (décembre 1999) : les électeurs qui n’étaient pas majeurs à l’époque le sont devenus depuis ; les résidents « permanents » qui sont arrivés depuis devraient également l’être…
Ces réclamations s’ajoutent aux 131 038 appels déposés par les uns et les autres après l’achèvement de la procédure d’identification qui a examiné 244 643 demandes d’inscription sur les listes électorales et n’en a validé que… 86 381. Toutes ces demandes ainsi que les documents concernés ont été scannés et déposés en lieu sûr à l’Office des Nations unies à Genève. Faut-il rouvrir ce dossier ? Non, estiment Kofi Annan, James Baker et le nouveau chef de la Minurso, le Péruvien Alvaro de Soto. D’ailleurs, tous les responsables chargés de cette opération ont quitté le Sahara le 31 décembre 2003.
Selon le secrétaire général lui-même, les parties n’ont pas arrêté de répondre à ses initiatives ou à celles de James Baker en posant des « objections d’ordre ostensiblement technique ». « Les parties manquent toujours de la volonté nécessaire pour parvenir à une solution politique du conflit », écrit-il dans son rapport-bilan du 23 mai 2003 (réf. S/2003/565, 60 pages). Et de poursuive : « Pendant les six ans durant lesquels [James Baker] s’est occupé de cette affaire, il a réuni les parties à neuf reprises en l’espace de quatre ans, au Portugal, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis, le plus souvent avec des résultats décevants. […] Son plan de paix juste et équilibré offre, à l’issue d’une période intérimaire d’autonomie, aux habitants authentiques du Sahara occidental l’occasion de déterminer eux-mêmes leur avenir […]. Je suis, à regret, parvenu à la conclusion, que tant que les parties ne se montreront pas disposées à assumer leurs propres responsabilités et à faire le compromis permettant de trouver une solution au conflit, toute nouvelle initiative […] connaîtra le même sort que les précédentes… »
Il n’empêche qu’à la fin, il demande au Conseil de sécurité une nouvelle prorogation de trois mois du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), en poste depuis avril 1991. Jusqu’au prochain rapport, fin avril 2004, où il demandera probablement un énième report.
De 1975 à ce jour, l’affaire du Sahara a fait l’objet de 48 résolutions du Conseil de sécurité et d’un nombre incalculable de rapports du secrétaire général, de ses envoyés spéciaux, de ses représentants permanents, de l’Assemblée générale des Nations unies, du Comité de décolonisation qui continue à inscrire le Sahara parmi les 16 territoires non autonomes… Elle a coûté la vie à dix membres de la Minurso et aux finances de l’ONU la somme de 540 millions de dollars, non compris les dépenses hors Minurso (secrétariat général, envoyé spécial…). Cela fait beaucoup !
Heureusement qu’existent quelques signes d’espoir et quelques preuves que la Minurso, présente sur dix sites du territoire sahraoui, ainsi que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), servent à quelque chose. À éviter d’abord que les belligérants ne reprennent les armes : la Minurso effectue, en moyenne, six cents patrouilles terrestres et quarante patrouilles aériennes par mois. Elle veille au marquage et à l’élimination des mines antipersonnel et des munitions non explosées. Sous les auspices du CICR, un nouveau groupe de 300 prisonniers de guerre marocains a été libéré, avec l’aide de la Libye, par le Front Polisario le 7 novembre 2003, portant le nombre total des libérés et rapatriés à 1 246 depuis janvier 2000. Selon Kofi Annan, il reste exactement 614 prisonniers, dont la plupart sont détenus depuis plus de vingt ans. Quant au PAM, il aide à collecter et à distribuer les vivres aux réfugiés des camps de Tindouf (en Algérie). Mais ces secours, stables en 2003, sont jugés actuellement « très insuffisants ». Un appel est lancé aux donateurs par le HCR et le PAM.
La nouveauté en 2003 réside dans l’acceptation par les « parties » (Maroc, Front Polisario et Algérie) de l’instauration de « mesures de confiance » sous l’impulsion du HCR et du chef de la Minurso. Ces mesures, a priori banales, sont les premières depuis presque trente ans… Après des mois et des mois de négociations, les « parties » ont accepté l’installation d’une première liaison téléphonique permettant à des réfugiés sahraouis de parler avec leurs familles au Sahara occidental. Ce service gratuit marque « un progrès humanitaire », selon Radhouane Nouicer du HCR. Jusqu’alors, seuls les échanges par le téléphone portable étaient possibles. Le premier appel « fixe » a eu lieu le 12 janvier 2004 entre une école de Tindouf et Laayoune au rythme de 25 communications par jour. Le HCR espère pouvoir étendre ce réseau à d’autres localités. Ces « contacts individuels » devraient se développer dans les prochains mois avec la mise en oeuvre d’un service de courrier et de colis postaux et d’un programme de visites familiales. Tant qu’il y a de l’espoir…
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