L’érotisme au coeur de l’Islam

Pendant des siècles, rappelle Martine Gozlan, la société musulmane a cultivé l’amour et le plaisir physique.

Publié le 17 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Quand les civilisations engendrent la négation de ce qui fonde leurs valeurs essentielles, il y a de quoi désespérer de l’humanité. Quand le christianisme, religion de la compassion, crée l’Inquisition et les bûchers. Quand l’Allemagne, terre de la philosophie et du rationalisme, donne naissance au monstre nazi. Quand la France, berceau des lumières, écrase les peuples colonisés. Mais aussi quand la société islamique, tournée vers la recherche du plaisir, est trop souvent incarnée par des meurtriers de l’amour (et des meurtriers tout court) condamnant les femmes à l’enfermement et au voile, livrant leurs corps aux pulsions libidineuses des mâles.
C’est avec cet état d’esprit que Martine Gozlan, grand reporter au sein de l’hebdomadaire français Marianne, a été conduite à s’interroger sur cette aberration : comment Les Mille et Une Nuits de l’islam ont-elles pu devenir les « mille et une morts » de l’islamisme ? Comme elle le rappelle avec talent, l’islam, au départ, choisit une position langoureuse. Mohammed, le messager d’Allah, est un sensuel. La tradition loue sa beauté et sa vigueur virile. Longtemps monogame, il se déchaîne après la mort de Khadija, sa première épouse. Avec ses onze compagnes, épouses ou concubines, il offre un modèle érotique à la communauté musulmane naissante.
Le texte coranique est souvent le miroir de sa vie amoureuse. Le verset sur la polygamie est comme empreint d’une certaine lassitude face aux exigences de son propre harem : un coup de foudre pour Zeinab, l’épouse de son fils adoptif Zaid. Une relation avec elle serait de l’ordre de l’inceste. Heureusement, l’ange Gabriel vient opportunément, lors d’une révélation, autoriser leur union, non sans que Zaid ait renoncé au préalable à tout « commerce » avec sa femme légitime. Un autre verset viendra boucler l’affaire en interdisant l’adoption. Ainsi la passion de Mohammed pour sa bru devient-elle complètement légale.
D’où vient cependant que le Coran reste très hésitant sur le sujet de la sexualité, tantôt magnifiée, tantôt suspectée ? Comme le soulignait Slimane Zeghidour dans Le Voile et la Bannière (Hachette, 1990), « les éloges appuyés (du Prophète), ses exhortations fréquentes aux jouissances des sens ne jurent que trop avec la claustration du deuxième sexe ». Martine Gozlan fait appel à un autre essayiste talentueux, la Marocaine Fatima Mernissi, pour donner une explication à cette contradiction. À Médine, où il s’était réfugié après avoir fui La Mecque et les persécutions des Qoreïchites, Mohammed se serait violemment affronté avec son compagnon Omar, qui deviendra le deuxième calife de l’islam, au sujet des femmes. C’est sous la pression de ce dernier que, par exemple, le Prophète autorisa les hommes à frapper leurs épouses ou encore qu’il produisit ce fameux verset du hijab préconisant le voile pour ses épouses – la tradition s’en est emparée pour en faire une prescription applicable à l’ensemble des croyantes.
Cet épisode a pour intérêt, selon Martine Gozlan, de rappeler que le projet de Mohammed était bien d’encourager le plaisir charnel et non de le bannir. Il s’inscrivait d’ailleurs ainsi dans une tradition bien ancrée en Orient. « L’érotisme est essentiellement sémite, a écrit Lucie Faure. On le retrouve chez les Juifs, où ses excès ont allumé la colère des prophètes et déterminé pour la plus grande part l’orientation des sociétés chrétiennes, chez les Chaldéo-Assyriens, chez les Égyptiens, chez les Phéniciens, chez les Espagnols. » Sans oublier les Sumériens, dont les Arabes ont repris le flambeau dans ce domaine.
Pendant des siècles, l’érotisme sera roi chez les musulmans, et aucune autorité religieuse n’y trouvera à redire. Bien au contraire. À Bagdad sous les Abbassides, au Caire sous les Fatimides, au Maghreb sous les Ottomans, les textes érotiques sont même une spécialité des hommes de Dieu. Voici, à titre d’exemple, ce qu’écrivait au XVe siècle le cheikh égyptien al-Soyouti : « Louange à Dieu qui créa les verges droites et dures comme les lances pour guerroyer dans les vagins et nulle part ailleurs !
« Louange à Dieu qui nous fit don du plaisir de mordiller et de sucer les lèvres, de poser poitrine contre poitrine, cuisse contre cuisse, et de déposer nos bourses au seuil de la porte de la clémence.
« Gloire et salut éternel à ceux d’entre vous qui savent embrasser comme il faut une joue délicate, donner l’accolade qui convient à une taille fine, monter à propos les sexes les plus gros et les arroser bien vite de la douceur de leur miel. »
Narguant l’Occident rigide et frigide, la sensualité arabe atteint son pic orgasmique quand l’islam est au faîte de sa puissance. Le croyant peut coïter et jouir en toute liberté à l’ombre des minarets. Même l’homosexualité, que le Coran réprouve pourtant sans ambiguïté, est pratique courante. On voit même des poètes se faire les amants des princes, comme le célèbre Abou Nawas avec le calife Haroun al-Rachid.
Mais le sexe en islam a une histoire politique. Si l’époque abbasside, du IXe au XIIIe siècle, déteste les bigots, ceux-ci relèvent la tête après la chute de Bagdad et sa prise par les Mongols en 1238, alors qu’au XIVe siècle le lugubre Ibn Taymiyya, morigénant les fornicateurs, jette les bases d’une véritable contre-révolution culturelle.
Hier comme aujourd’hui, pour imposer ou durcir la charia, les rabat-joie de l’islam utilisent les frustrations du peuple pour dénoncer la dépravation des élites. Privé des plaisirs d’ici-bas, celui-ci se reporte sur les délices de l’au-delà que lui promettent les intégristes. Qu’on ne s’y trompe pas, rappelle l’auteur de ce livre décapant : c’est l’amour que fustigent les cohortes de fanatiques qui sèment la terreur sur les terres musulmanes. L’islamiste est hanté par la « fornication » qui devient chez lui la donnée fondamentale. S’il clame sa haine du sexe, c’est pour mieux en dévoiler l’obsession. Quand elle n’est pas réduite à l’état animal, la femme est un être sale et impur. Le discours à son égard n’est pas sans rappeler celui que les nazis utilisèrent avec les juifs : « nettoyer », « assainir », « épurer », « purifier ».
Qui dira le calvaire qu’ont enduré des dizaines de milliers d’Algériennes en application de ces « idées » ? Raflées, violées, torturées, asservies, assassinées dès qu’elles étaient enceintes. L’Algérie des islamistes était devenue un immense bordel au profit de tristes hères qui, issus d’un système de frustration maximale – pas de logement ni de travail donc pas de femme -, ont fantasmé l’orgie.
Encore convient-il de préciser que les islamistes n’ont pas le monopole de la barbarie antiféminine. Pour expliquer ce délire misogyne, le psychanalyste tunisien Fethi Benslama avance l’idée d’un « affolement du masculin ». La femme a un rapport à l’altérité et à la jouissance différent de celui de l’homme. C’est parce que cette différence menace sa perception de la virilité que l’homme a besoin de la religion pour accéder à un régime d’altérité acceptable et éliminer la trace du désir de l’Autre dans le corps de la femme. »
Quoi qu’il en soit, conclut Martine Gozlan, on ne peut que s’étonner face à ce retournement de la société islamique. Hier, le culte du corps et l’appel à la jouissance se faisaient au nom même de Dieu. Aujourd’hui, avec la déviance intégriste qui submerge les consciences, c’est le martyre et les attentats suicide qui ouvrent les portes du jardin parfumé. Dès lors, la femme vivante n’a plus grande valeur au regard des houris (les vierges sacrées) qui attendent le croyant au paradis.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires