Loin d’être naïf

Un album critique explore l’oeuvre du peintre haïtien Hervé Télémaque. À redécouvrir.

Publié le 17 février 2004 Lecture : 3 minutes.

L’un des artistes majeurs du mouvement appelé la Figuration narrative, Hervé Télémaque, né en 1937 à Port-au-Prince, compte parmi les peintres haïtiens les mieux cotés au monde. En France ? Il a signé l’affiche des Internationaux de tennis de Roland-Garros en 1998. Le timbre-poste commémoratif du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage (1848-1998), à la demande de l’Assemblée nationale. Une vaste peinture murale (Maman, 1984) pour le pavillon Enfants, à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Son Petit Célibataire un peu nègre et assez joyeux figure dans la collection du Musée d’art moderne du Centre Pompidou. Pourtant, son nom n’est pas toujours associé à sa terre natale. En Haïti même, où il expose pour la première fois en 1993 une série d’oeuvres graphiques, seul un petit groupe d’initiés connaît son travail. Pourquoi ce malentendu ? Tout s’explique par son parcours et ce qu’on pourrait appeler « l’esthétique Télémaque ».
La critique Anne Tronche, spécialiste d’art contemporain et inspecteur au département de création artistique du ministère de la Culture de 1982 à 1999, vient de lui consacrer un catalogue de deux cents pages. Elle y retrace le parcours de l’artiste depuis ses tout débuts et, d’une certaine façon, l’évolution de l’homme. Contrairement au New-Yorkais Jean-Michel Basquiat, par exemple, Télémaque est né et a grandi en Haïti jusqu’à l’âge de 20 ans. Comme beaucoup de peintres haïtiens de sa génération, il a reçu une première formation au Centre d’art, à Port-au-Prince. Si sa période haïtienne n’est analysée que par recoupements, Anne Tronche suit en revanche pas à pas Télémaque dès son arrivée à New York, en 1957. Un séjour de quatre ans qui coïncide avec le temps de la maturation. « Période de tâtonnements » donc, propice aux rencontres formatrices comme celles de son professeur Julian Levi ou de Larry Rivers. Là, ce bourreau de travail évolue et se cherche entre l’expressionnisme abstrait triomphant et le pop’art naissant. Mais la ville d’Andy Warhol ne sera pas à la hauteur de ses attentes. En partie pour des raisons extra-artistiques. Dans ce New York d’avant les droits civiques des Noirs, son origine bourgeoise et métisse ne l’empêche pas d’être logé à la même enseigne raciste que les colored. Sa déception le conduit en 1961 à Paris où il fréquente les surréalistes, gardant son amitié avec le « pape » André Breton même après qu’il se fut éloigné du mouvement.
Le chemin qui le conduit à la Figuration narrative – concept inventé en 1964 par Gassiot-Talabot pour définir une peinture à la forte dimension sociologique et subversive – et à son travail actuel a ainsi transité par différentes traversées. Lui-même a intitulé « Passages » une série de tableaux réalisés entre 1969 et 1973. Métaphore de son propre parcours qui va d’un lieu à un autre. Entre le figuratif et l’abstrait. Les couleurs et le noir et blanc. Le support traditionnel et l’installation. Anne Tronche souligne bien cette manière de (se) révéler et de dissimuler en même temps. C’est que cet homme « de passage » n’aime pas être là où on l’attend, toujours prêt à se lancer dans nouveaux défis esthétiques. Son tableau One of the 36 000 Marines, peint en 1965 pour dénoncer l’invasion de la République dominicaine par les États-Unis, est salué avec trop d’engouement par la critique et le public. Il s’éloigne aussitôt de cette voie, « trop ostensible » à son goût, et entame une quête quasi obsessionnelle de modernité.
Son travail fourmille néanmoins de références à la terre des origines, de renvois au vaudou (Baron Cimetière, Sirène, Black Magic), à l’histoire d’Haïti (Toussaint-Louverture à New York), voire d’hommages à ses pairs naïfs (Le Voyage d’Hector Hyppolite en Afrique 1 et 2). Et les rares retours au pays natal – ceux de 1973 et de 1991 sont parmi les plus marquants – apportent chaque fois de nouvelles touches à son langage conceptuel.

Hervé Télémaque, d’Anne Tronche, Flammarion, 192 pp., 35 euros.

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