L’impossible mission de Paul Bremer
Dans son bunker ultrasécurisé, le proconsul américain ne se déplace que sous la protection de gardes du corps. Même pour aller aux toilettes.
Michael Hirsh, de l’hebdomadaire Newsweek, a récemment passé une semaine à Bagdad avec Paul Bremer. Il en témoigne : le job de l’administrateur civil américain est « le plus dur du monde ». Beaucoup plus dur, assurément, que celui du général MacArthur après la Seconde Guerre mondiale. Car pour reconstruire et démocratiser le Japon, celui-ci disposait de deux atouts qui font cruellement défaut au « vice-roi » d’Irak : le temps et la légitimité internationale.
Il reste cinq mois avant la tenue d’élections censées déboucher sur la mise en place d’un gouvernement irakien réellement représentatif. Une « course contre la montre » un peu folle. Notre confrère raconte.
« Une bombe vient d’exploser tout près de là. Les portes de son bureau tremblent, mais Bremer ne bronche pas. La suite, la suite. La suite, c’est un début de pénurie de blé à laquelle il faut remédier, les réserves de diesel qui baissent… Bremer rentre tout juste du siège des Nations unies, à New York, où il a présenté à Kofi Annan les excuses de l’administration Bush et demandé une aide pour étouffer dans l’oeuf la revendication chiite d’une consultation au suffrage direct. Il s’apprête à rencontrer les représentants de la communauté kurde. Ceux-ci veulent leur autonomie dans le Nord et il pousse à un accord. La suite, la suite. « Cinq minutes de pause-déjeuner, Monsieur. » Un adjudant lui apporte un plateau-repas. Sur le coin de son bureau, Bremer engloutit une portion de poulet gélatineux accompagné de riz, sans quitter des yeux l’écran bleuté de son ordinateur. »
Il reste cinq mois et tant à faire. La formation de la nouvelle police, de la nouvelle armée et de la nouvelle force de défense civile… La mise en place de conseils de village, d’une agence anticorruption, d’une inspection générale de l’administration… La création d’hôpitaux, d’écoles, de réseaux de tout-à-l’égout… Au total, quelque 17 500 projets ont été lancés ou sont en passe de l’être, s’effare Newsweek. Bremer et ses collaborateurs travaillent entre seize et dix-huit heures par jour. Ils ne rêvent que d’une chose : dormir.
Mais le problème numéro un, bien sûr, reste la sécurité. « Bremer étant perçu par les Irakiens comme le chef d’une force d’occupation, sa vie est en permanence menacée, écrit Michael Hirsh. Sa protection rapprochée est plus imposante encore que celle dont bénéficie George W. Bush, son patron. Son QG, dans un ancien palais présidentiel de Saddam Hussein, est protégé par un réseau concentrique de murs antiexplosions, de barbelés et de chicanes pour contraindre les véhicules à ralentir. La superficie de cette « zone verte » ultrasécurisée avoisine 7 km2. Des troupes et des véhicules blindés y patrouillent en permanence. Mais le risque d’infiltration de terroristes déguisés en employés de l’Autorité provisoire de la coalition est si grand que, jusqu’au sein de sa bulle protectrice, Bremer doit être en permanence accompagné de quatre gardes du corps fort peu avenants. Et armés jusqu’aux dents. Même pour se rendre aux toilettes, à quelques pas de son bureau ! »
Pourtant, l’administrateur civil s’efforce de convaincre les militaires américains que « gagner les coeurs et les esprits [des Irakiens] est au moins aussi important que la sécurité ». Il continue de croire à l’émergence d’un nouvel Irak, miraculeusement transformé en allié fidèle de l’Amérique. Son espoir est que le transfert de l’autorité aux Irakiens, le 30 juin, puis le repli des troupes américaines dans des bases situées à l’extérieur des villes provoquera l’essoufflement progressif de l’insurrection. « Peut-être les Irakiens se souviendront-ils un jour de leurs libérateurs avec affection », dit-il. On peut estimer qu’il se berce d’illusions, mais, comme le dit son vieil ami l’ancien secrétaire d’État Henry Kissinger : « Si quelqu’un est volontaire pour prendre sa place, qu’il n’hésite surtout pas. » Les candidats ne devraient pas se bousculer au portillon.
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