Les nouveaux mercenaires

Le temps des barbouzes et des affreux est révolu, voici celui des « sociétés militaires privées ».

Publié le 16 février 2004 Lecture : 4 minutes.

Carl Frederik Alberts (49 ans) est un ancien officier de l’armée de l’air sud-africaine. Début février, près du Cap, il a été arrêté par les Scorpions, une unité spéciale chargée du renseignement. On lui reproche d’avoir, en tant que mercenaire, participé aux combats en Côte d’Ivoire, au lendemain de l’insurrection du 19 septembre 2002.
Pilote aguerri, le major Alberts a été décoré sous l’ancien régime sud- africain. En 1983-1984, il a notamment participé à l’opération Askari déclenchée en Angola contre les combattants de la SWAPO, le mouvement de libération nationale namibien (qui disposait de bases arrière dans le pays voisin). En 1992, il a quitté l’armée, mais, dix ans plus tard, on le retrouve aux commandes d’un hélicoptère russe MI-24 des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci). Ce qui, au regard de la loi sud-africaine, constitue un délit.
L’Afrique du Sud est l’un des rares pays au monde à disposer, depuis 1998, d’un arsenal juridique réglementant les activités des « soldats de fortune » : la loi sur l’assistance militaire à l’étranger interdit la « participation directe d’un Sud-Africain à un conflit armé dans le dessein d’en tirer un avantage personnel ». De nombreux militaires blancs ont en effet démissionné de l’armée après la chute de l’apartheid et, dépourvus d’emploi stable, louent occasionnellement leurs services dans divers pays africains. « C’est un véritable vivier pour les entreprises spécialisées », confirme Henri Boshoff, de l’Institut d’études stratégiques (ISS) de Pretoria.
Selon les autorités, une petite vingtaine de mercenaires sud-africains ont combattu en Côte d’Ivoire au cours de l’année écoulée. Au mois de juillet, l’un d’eux, Richard Rouget (qui est d’origine française), a même été condamné, au choix, à cinq ans de prison ou à 100 000 rands (11 400 euros) d’amende. Il a préféré alléger son compte en banque…
Dans les années 1990, la société paramilitaire privée Executive Outcomes (EO) avait donné une image peu reluisante de la nouvelle Afrique du Sud, en multipliant les opérations plus ou moins clandestines à l’étranger. Plusieurs juteux contrats (jusqu’à 80 millions de dollars) avec le gouvernement angolais lui avaient notamment permis de développer ses activités et de dépêcher des mercenaires dans une trentaine de pays. Mais l’Afrique du Sud, qui est en passe de devenir le « gendarme » du continent, pouvait difficilement tolérer que ses ressortissants fassent ainsi le coup de feu à droite et à gauche, hors de tout cadre légal. En 1998, EO a été interdite et ses employés sont allés grossir les rangs des innombrables « entreprises de sécurité », que les Anglo-Saxons, moins pudiques, appellent « sociétés militaires privées ».
Les clients de ces « SMP » sont soit des États (formation et encadrement des forces armées), soit des entreprises soucieuses d’assurer la sécurité de leurs salariés dans des zones à risque. Mais la frontière entre leurs activités légales et d’autres qui le sont beaucoup moins, comme la participation active à un conflit armé, est parfois bien floue.
Certains gouvernements s’en inquiètent. « Qu’adviendrait-il si, dans le cadre d’un contrat de formation, des Français se trouvaient impliqués dans une intervention militaire contre, par exemple, une minorité ethnique ? » s’interroge le chercheur Jean-Philippe Daniel. Il existe, certes, trois conventions internationales interdisant le mercenariat : celle de Genève (1977), celle de l’OUA (la même année) et celle de l’ONU (1989). L’ennui est qu’à l’usage elles se révèlent difficilement applicables. Ne serait-ce que parce qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les SMP sont parfaitement légales.
Certaines, comme l’américaine MPRI ou les britanniques Sandline et NorthBridge, sont aujourd’hui de véritables multinationales. Un nombre grandissant de gouvernements préfèrent en effet signer avec elles des contrats de formation ou d’encadrement pour des missions spécifiques plutôt que de déployer sur le terrain leurs propres troupes, parfois mal équipées et/ou mal préparées à tel ou tel type d’opération. Cela permet en outre de réduire les effectifs des forces armées nationales – et donc leur coût.
Américains et Britanniques considèrent que les SMP, dès lors qu’elles sont strictement encadrées sur le plan légal, n’ont aucun intérêt à intervenir dans des conflits. En France, en revanche, une loi d’avril 2003 punit de sept ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende tout individu « spécialement recruté pour combattre dans un conflit armé ». Cette disposition vise les mercenaires « classiques », mais les SMP sont elles aussi interdites dans l’Hexa-gone. Ce qui peut paraître surprenant dans la mesure où la France n’a plus vraiment les moyens militaires de ses ambitions, notamment en Afrique.
« Les SMP sont aujourd’hui une réalité, commente Jean-Philippe Daniel. Pourquoi un État n’aurait-il pas le droit de faire appel à une entreprise privée pour assurer le maintien de la paix dans telle ou telle région ? Ce n’est qu’en légalisant les grandes entreprises de sécurité et en les encadrant pour s’assurer qu’elles ne participent pas à des combats qu’on parviendra à marginaliser les intermédiaires douteux qui recrutent des mercenaires prêts à tout. » Convient-il donc de mettre en place une législation internationale réglementant les activités des sociétés militaires privées ? La question est posée.

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