Les moyens de ses ambitions

Formation, statut des joueurs professionnels, infrastructures… Les autorités sportives ont lancé plusieurs chantiers en misant sur le long terme.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 6 minutes.

Novembre 2003, Alger. L’hôtel El-Aurassi accueille la soirée de remise du Ballon d’or algérien. Mohamed Maouche, ancienne gloire nationale, prend la parole. Aux présidents de la Fédération algérienne de football (FAF) et de la Ligue nationale de football (LNF), et même au ministre de la Jeunesse et des Sports, présents dans la salle, il lance un vibrant : « Ne laissez pas tomber le football algérien ! » Car il est loin le temps où ce sport était l’un des meilleurs ambassadeurs du pays. Du dernier grand succès de la sélection (lors de la Coupe d’Afrique des nations 1990, à Alger), il ne reste que des souvenirs…
« Pourtant, la patte existe », relève Saïd Allik, président de l’Union sportive de la médina d’Alger (Usma). Double tenant du titre et actuellement en tête du championnat, demi- finaliste de la dernière Ligue des champions d’Afrique, son club passerait presque pour un modèle de réussite. De l’extérieur seulement, car « nous manquons cruellement de moyens, et surtout d’infrastructures », se plaint Saïd Allik. L’Usma, comme bien d’autres formations de la capitale, doit ainsi partager son terrain d’entraînement avec plusieurs équipes, parfois de cinq divisions inférieures… Et encore est-ce là un « privilège » réservé aux seniors : les plus jeunes, eux, s’entraînent encore sur des terrains en tuf.
« C’est vrai qu’il y a un problème d’infrastructures, reconnaît le président de la FAF, Mohamed Raouraoua. Mais c’est un problème spécifique aux grandes villes. À Alger, il n’existe que treize stades pour cent clubs de la wilaya, alors qu’à Laghouat, par exemple, il y a peu de clubs mais beaucoup de terrains. En fait, il manque surtout des pelouses de qualité et des terrains d’entraînement. » La sélection nationale elle-même n’échappe pas à cette pénurie. Et si les pouvoirs publics viennent de financer, en collaboration avec la Fédération internationale de football association (Fifa), la création d’un centre de regroupement des équipes nationales, la route vers une véritable professionnalisation est encore longue.
C’est d’ailleurs l’un des grands chantiers de la FAF, mais aussi de la LNF, une nouvelle instance mise en place sous l’égide de Mohamed Raouraoua et présidée par Mohamed Mecharera depuis bientôt deux ans. À l’instar des pays européens, l’Algérie s’est dotée d’une Ligue censée gérer les problèmes du championnat, à commencer par le calendrier des différentes compétitions. « Entre le championnat, les jeux Arabes, Africains, les matchs de qualification pour la CAN, pour le Mondial, pour les jeux Olympiques, il a fallu s’organiser, explique Mecharera. Avant, il n’y avait aucune coordination. Maintenant, on est en phase. » Ce qui permet, entre autres, de faire appel à des joueurs professionnels évoluant en Europe, et notamment en France. Aujourd’hui, sur les vingt-deux sélectionnés pour la CAN 2004 qui se déroule actuellement en Tunisie, treize viennent de l’étranger, tels Yazid Mansouri (Coventry City, Royaume-Uni), Nasredine Kraouche (La Gantoise, Belgique) ou Fodhil Hadjadj (FC Nantes, France). Ce dernier, pur produit du championnat algérien, évoluait auparavant au mythique Mouloudia d’Alger. Comme lui, les meilleurs joueurs tentent leur chance à l’étranger. Karim Ghazi, le dernier en date, est parti rejoindre l’Espérance de Tunis. « Je ne l’ai pas retenu, avoue le président de l’Usma. Je suis lié à chacun de mes joueurs par un contrat moral. Si on leur propose de meilleures conditions d’évolution, je les libère. »
D’autant que les clubs n’ont pas vraiment les moyens financiers de rivaliser, ni avec les clubs européens, ni même avec les voisins, quand un international algérien touche au maximum 60 000 dinars (600 euros) par mois… C’est pour tenter d’enrayer ce phénomène que l’État a décidé de légiférer et de reconnaître enfin le statut de joueur professionnel. Dans les faits, tous ceux de l’élite vivent de leur sport, mais sans disposer d’un véritable contrat de travail. « L’objectif est de mettre en place un type de contrat qui définirait les obligations des uns et des autres, précise le président de la LNF. C’est pourquoi il faut changer les textes et permettre aux clubs de devenir de véritables sociétés commerciales à objet sportif. » Un projet de loi sur le sport vient d’ailleurs d’être déposé à l’Assemblée populaire nationale sous l’impulsion du ministère de la Jeunesse et des Sports, dirigé par Boudjemaa Haichour.
En attendant, la plupart des clubs soulignent le manque de moyens financiers et se disent dans l’impasse. Ainsi l’aide de l’État versée via le fonds de la wilaya d’Alger ne représente qu’un vingtième du budget de fonctionnement de l’Usma. Pour le reste, il faut compter sur les sponsors. Et les présidents de clubs vont jusqu’à faire du porte-à-porte pour convaincre des entreprises privées. La chute de l’empire Khalifa, qui avait beaucoup investi dans le football, n’a pas arrangé les choses. « Peu de clubs auraient survécu si Sonatrach n’avait pas repris le flambeau, affirme Farès Ferhat, responsable des activités sports et loisirs du groupe public. Mais il fallait aider ces clubs, aider cette jeunesse algérienne. C’est un véritable plan de sauvetage. » La quasi-totalité des formations de l’élite reçoit ainsi une aide financière de Sonatrach. De son côté, Air Algérie accorde des réductions de 50 % sur tous ses vols intérieurs. Les clubs se débrouillent donc comme ils peuvent, tout en appelant de leurs voeux une meilleure répartition des subventions de l’État. D’où la création d’une direction générale de la comptabilité des clubs dès la saison prochaine, qui aura pour mission de contrôler les flux financiers.
Pour la première fois depuis 1990, le football algérien semble enfin se donner les moyens de ses ambitions, et en premier lieu, du temps. Fini les analyses à courte vue, les dirigeants actuels veulent miser sur le long terme, en championnat comme en équipe nationale. « Il faut être réaliste, estime Boualem Charef, entraîneur national. Notre championnat n’est pas d’un niveau « valable », et le manque d’infrastructures constitue un handicap majeur. Si l’on veut concurrencer les meilleurs Africains et les meilleurs mondiaux, il faut que nos joueurs évoluent et se forment dans des championnats d’un niveau supérieur. » C’est actuellement le cas de la majorité des internationaux de l’équipe A, mais aussi des Espoirs, une catégorie longtemps négligée. La formation de ces jeunes a été délaissée depuis plus d’une décennie. Il y a bien eu l’ouverture de deux centres de formation, ceux d’Alger et de Ouargla, les seuls à ce jour, mais il faudra attendre quelques années pour voir éclore les graines de footballeurs. Idem pour les deux autres centres de formation qui devraient bientôt ouvrir leurs portes, à Oran et à Constantine. C’est donc en dehors du territoire qu’il faudra chercher les nouveaux talents. « Dans quelques années, nous seront entièrement dépendants de l’Europe, prédit l’entraîneur Boualem Charef. C’est à nous d’anticiper au mieux. »
Le cas d’Antar Yahia illustre bien la nouvelle donne du football algérien. Ce jeune Franco-Algérien, défenseur du SC Bastia (France), restera en effet dans les annales de la Fifa comme le premier joueur de l’Histoire à avoir bénéficié des récentes dispositions en matière de double nationalité, effectives depuis le 1er janvier. Bien qu’il ait déjà joué avec l’équipe de France en sélection de jeunes, le voilà désormais en équipe nationale algérienne. « Quand on m’a approché l’an dernier pour me parler de cette nouvelle loi, j’ai dit que j’étais prêt à jouer pour l’Algérie, raconte Antar Yahia. C’est vrai qu’avant certains joueurs auraient pu avoir des réticences parce que c’était l’anarchie. Mais maintenant, l’équipe nationale est en gros progrès. Je crois que le tort des dirigeants est d’avoir oublié leurs enfants en France et ailleurs. » Avec lui, Samir Beloufa et Abdelnasser Ouadah ont opté pour l’Algérie. D’autres binationaux comme Brahim Hemdani (Marseille) se montrent plus hésitants. Car l’équipe nationale a souvent péché par une organisation déficiente, voire inexistante : billets d’avion non réservés, chambres d’hôtel mal choisies, tout un ensemble qui a longtemps échaudé les internationaux algériens de l’étranger. Une opération séduction fut menée en mai 2003, lors d’un stage à Rennes. Pas moins de dix-sept joueurs professionnels s’y présentèrent. Aujourd’hui, pas un ne manque à l’appel…

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