Les Bushmen ne sont pas éternels

Les plus anciens habitants d’Afrique australe risquent d’être expulsés des terres qu’ils occupent depuis 20 000 ans.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Ils s’appellent San, Gwi, Gha, Barsawa, !Khomani, Nharo ou !Xo, mais sont le plus souvent dénommés collectivement « Bushmen ». Éparpillés en petites communautés dans six pays au sud du continent africain, ils en sont les plus anciens habitants, puisqu’ils l’occupent depuis plus de 20 000 ans. S’ils vivent de la chasse de petits animaux comme les antilopes, leurs repas se composent surtout de fruits, de noix et de racines qu’ils trouvent dans le désert. Ils dorment dans des cases en bois qu’ils construisent de façon temporaire. On dénombre à peu près 90 000 de ces chasseurs-cueilleurs dont le mode de vie est aujourd’hui menacé. Selon les estimations les plus récentes, 48 000 vivent au Botswana, 32 000 en Namibie, 4 350 en Afrique du Sud (dont 4 000 émigrés de la Namibie et de l’Angola), 2 500 au Zimbabwe, 1 200 en Angola et 300 en Zambie.
Les politiques à l’égard de ces populations diffèrent selon les pays. Pour Fiona Watson, de l’association Survival International basée à Londres, leur situation est « très mauvaise » en Namibie et au Botswana : « Les deux gouvernements sont hostiles aux Bushmen. En Afrique du Sud, en revanche, la Constitution protège les peuples indigènes et le pays a reconnu le droit des Bushmen à vivre sur leurs terres et à avoir accès au minimum vital comme les sources d’eau. » Le problème, selon Fiona Watson, « c’est que de nombreux gouvernements, en Afrique centrale et australe, ne reconnaissent pas le mode de vie des Bushmen fondé sur la chasse et la cueillette. C’est cependant une réponse très intelligente à un environnement difficile, comme dans le désert du Kalahari. »
C’est au Botswana que la situation des Bushmen est le plus précaire. Pourtant, en 1961, l’État a créé une réserve, la Central Kalahari Game Reserve (CKGR), pour permettre aux tribus bushmen de vivre de la chasse sur leurs terres ancestrales. En 1997, retournement de situation : le gouvernement déplace entre 1 500 et 2 000 personnes pour les reloger dans des camps en dehors de la réserve, notamment New Xade et Kaudwane. Sept cents Bushmen résistent jusqu’en février 2002, où le gouvernement détruit leur matériel de pompage et leurs réserves d’eau. Seuls 150 d’entre eux décident alors de rester dans la CKGR. « Le chiffre change constamment, explique Jumanja, Bushmen de 30 ans, membre de First People of the Kalahari, la seule association créée par des Bushmen pour défendre leurs droits. Ceux qui sont restés à l’intérieur de la réserve n’ont pas d’eau et ont des droits de chasse très limités, ils doivent donc en sortir pour rester en vie. La situation des Bushmen au Botswana est horrible. Les autorités pensent que les forcer à quitter leurs terres est positif, mais c’est tout le contraire. Mes parents eux-mêmes ont dû partir, ils survivent maintenant dans le camp de New Xade dans de très mauvaises conditions. Ceux qui sont dans les camps n’ont pas le droit de rendre visite à leurs parents restés à l’intérieur de la réserve. Pour y aller, ils doivent posséder un permis qu’il faut demander par écrit. Or la plupart des Bushmen sont illettrés. »
Jumanja évoque également les brimades quotidiennes et le « harcèlement » dont sont victimes ses congénères. « Les autorités affament et privent d’eau les Bushmen, et font pression sur eux pour récupérer leurs terres riches en diamants et pour que les compagnies minières prospectent sans être ennuyées. Elles veulent empêcher les Bushmen de revendiquer leurs droits sur les mines. » Un argument contesté par la Debswana (DeBeers Botswana, détenue à parts égales par le gouvernement et le géant minier DeBeers). Elle affirme ne pas envisager « une extension de ses exploitations dans un avenir proche dans la réserve du Kalahari central », mais elle contrôle déjà un certain nombre de gisements, dont une partie a été découverte au début des années 1980.
Le gouvernement botswanais nie également que la réimplantation des populations en dehors de la réserve soit liée au développement minier de la région. « Nous n’avons pas forcé les Bushmen à quitter la réserve. Ils sont partis d’eux-mêmes, assure Jeffrey Ramsay, au bureau de la présidence. Une étude, au milieu des années 1980, a montré que les résidents du CKGR se sédentarisaient de plus en plus, devenant des agriculteurs et des cultivateurs. Leurs activités nuisaient à l’environnement d’un parc naturel. Dès 1986, le gouvernement s’est mis en quête de sites viables pour leur développement économique et social, en dehors de la réserve. Les résidents ont été encouragés, mais pas forcés, à aller habiter sur ces nouveaux sites. Après de nombreuses consultations, la plupart d’entre eux ont accepté de quitter la réserve. En 1997 et 2002, le départ des populations a été volontaire vers des sites relativement modernes et bien équipés qu’on ne peut pas appeler des camps. »
Survival International soutient, de son côté, que les conditions de vie des Bushmen sur ces sites sont misérables et qu’ils ne sont pas assez grands pour leur permettre de pratiquer la chasse ou la cueillette. Résultat : ils sont devenus complètement dépendants des services gouvernementaux et la majorité d’entre eux sombre lentement mais sûrement dans le désespoir et l’alcoolisme. D’autres ont décidé de se réinstaller dans la réserve malgré les dangers qui les guettent s’ils sont repérés par les autorités. L’association dénonce même des cas de tortures et de meurtres, formellement démentis par la présidence. Pourtant, les Bushmen n’ont jamais revendiqué de droits sur les richesses minières de leur territoire, et le gouvernement pourrait, en respectant d’ailleurs les conventions internationales(*) protégeant les peuples indigènes, exploiter les terres dans le cadre d’accords avec les communautés. Car si les diamants sont éternels, les hommes ne le sont pas, clame Survival International, qui lance régulièrement des campagnes de mobilisation. « Malgré la politique d’assimilation du gouvernement, il n’est pas trop tard pour empêcher la complète extermination des Bushmen et de leur culture. Ils ont encore l’espoir de vivre en paix sur leurs terres », assure Fiona Watson.
Pour ce faire, il faudra que les tribus fassent entendre leur voix. « Ils ont le droit de vote comme tout citoyen botswanais », assure la présidence. Mais dans les faits, ils ont peu ou pas accès aux médias et aux instances de décision. Le « représentant » officiel des communautés, Kgosi Beslag, n’a pas été choisi par ses pairs mais par le gouvernement, qui fait régulièrement appel à lui à titre de caution. Face à cette situation, les Bushmen ont décidé de contre-attaquer : pour la première fois, 243 d’entre eux tentent de traîner le gouvernement botswanais en justice pour la perte de leurs terres. « Le procès devrait se tenir en mars, espère Jumanja. Nous avions mis en place une équipe pour négocier directement avec le gouvernement, mais ces discussions ont échoué. La communauté a donc décidé d’aller jusqu’au procès. C’est très important pour nous et notre avenir. » Les Bushmen ne demandent que deux choses : le droit de retourner dans la réserve et celui d’y vivre en paix selon leurs traditions.

* Convention Concerning Indigenous and Tribal Peoples in Independant Countries (ILO n° 169), ratifiée en 1989.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires