[Chronique] En Gambie, la reconquête du « droit à la dépigmentation » ?
La dépigmentation est-elle un droit de l’homme ? En Gambie, son interdiction pourrait cacher d’autres maltraitances faites aux femmes. Les députés en débattent…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 20 juillet 2020 Lecture : 2 minutes.
Faut-il vraiment souffrir pour être beau ? Mais qu’est-ce qu’être « beau » ? La femme, en particulier, doit-elle disposer de son corps, y compris lorsqu’il s’agit de mutiler celui-ci ? Les autorités médicales n’ont de cesse d’alerter sur les risques de la dépigmentation volontaire qui fait toujours fureur dans des pays comme le Togo, le Sénégal ou le Mali.
En fonction des produits employés – qui vont de la cortisone à l’eau de javel –, le « khessal » ou le « tchatcho » peuvent conduire à des dermatophytes, de la gale, des folliculites, des vergetures, de l’acné, voire à un cancer de la peau.
C’est cet état de fait qui avait conduit un gouvernement de Yahya Jammeh à réprimer la décoloration artificielle de la peau. En 1996, une loi introduisait dans la législation gambienne une interdiction d’importation et d’usage de produits éclaircissants. Depuis lors, des amendes de 400 et 100 dollars frappent respectivement les importateurs et les usagers.
Le drapeau du féminisme
Presque un quart de siècle plus tard, pourquoi les députés gambiens ont-ils ouvert un débat, le 16 juillet dernier, sur un texte visant à abroger la loi de 1996 ? Avant tout argument, certaines femmes, comme la députée Sainey Touray, refusent de « soutenir quelque chose qui est néfaste à la santé ». Elles dégainent des arguments sanitaires de bon aloi, mais aussi le discours sur le néfaste complexe de jeunes filles mues par le fantasme de peaux en apparence métissées. La quête de la peau diaphane confinerait, sur le plan moral, à un reniement identitaire lui-même résidu d’un traumatisme postcolonial et du phénomène de colorisme.
Pour éteindre des accusations de conflits d’intérêt présumé ou de libéralisme aveugle, les tenants de la modification de la loi gambienne brandissent, eux aussi, le drapeau du féminisme. Tout autant qu’elle va dans le sens d’une certaine sécurité de la femme, l’interdiction du blanchiment de la peau ferait courir des risques à celle-ci. Comme l’argumente le député Halifa Sallah, des hommes abuseraient de certaines demoiselles, après avoir menacé de les dénoncer parce qu’elles se seraient éclairci la peau.
Double peine ou triple peine ? Déjà physiquement meurtries par les produits de dépigmentation, des femmes se retrouvent entre le marteau du chantage à la délation et l’enclume d’interpellations elles-mêmes sources de corruption sexuelle. La dépigmentée présumée n’échapperait à la pression de l’un que pour tomber dans la gueule d’un prédateur…
Quel que soit l’avenir des législations africaines réglementant la vente de produits de dépigmentation, le commerce de la peau « blanche » pourra continuer au… noir, des prétextes pathologiques divers pouvant être opposés au flagrant délit d’acné ou de vergeture. Seule l’éducation pourra durablement résoudre la source du phénomène : les canons de beauté pervertis.
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