Génocide sur grand écran

Publié le 17 février 2004 Lecture : 2 minutes.

« Je trouvais difficile de croire ce que les gens me disaient sur ce qui s’est passé sous les Khmers rouges, mais, aujourd’hui, je pense très clairement qu’il y a eu génocide. » Pourquoi ? « J’ai totalement changé d’opinion après avoir vu le dernier documentaire de M. Rithy Panh. Je n’avais jamais cru auparavant que des gens pouvaient avoir été tués pour avoir volé une pomme de terre pour survivre. » L’auteur de cette récente déclaration, aussi incroyable que cela puisse paraître, se nomme Khieu Samphan, qui n’est autre que l’ancien chef de l’État khmer rouge !

On peut évidemment, c’est même recommandé, émettre les plus grands doutes sur la sincérité d’un des principaux dignitaires du sinistre régime de Pol Pot, même s’il ne fut pas un « homme de terrain », quand il avoue subitement, un quart de siècle après les faits, avoir tout ignoré du génocide que commettaient ses camarades de combat. Deux millions de morts sans doute sur une population de sept millions d’habitants, cela ne passe pas inaperçu, même d’un idéologue le nez dans les nuages ! Mais on peut aussi, sans oublier que Khieu Samphan prépare probablement ainsi sa défense pour un futur procès des génocidaires cambodgiens – sans cesse annoncé et toujours repoussé -, se dire que cet invraisemblable commentaire rend le plus beau des hommages au film de Rithy Panh S 21, la machine de guerre khmère rouge, sorti le 11 février sur grand écran en France : après l’avoir vu, impossible de nier la réalité, même pour un responsable khmer rouge non repenti.

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Le réalisateur cambodgien, qui estime que « pour rebâtir un pays, il faut d’abord reconstruire sa mémoire », a conçu son documentaire d’une façon à la fois originale et redoutablement efficace. Après des années d’effort, il a réussi à convaincre quelques-uns des « gardiens » du camp de Tuol Sleng, ancien lycée de la capitale devenu le principal centre de torture et d’extermination du pays sous le nom de code de S 21, de venir rencontrer sur le lieu même de leurs crimes deux des très rares rescapés de l’horreur – il n’y aurait eu que sept survivants sur les 17 000 internés. Il a même pu les amener à refaire les gestes et à redire les paroles d’autrefois devant la caméra. Tournées avec dignité, sans aucun voyeurisme, ces scènes en disent plus sur l’horreur du « système » khmer rouge que tous les témoignages directs entendus jusqu’ici. Mais S 21, outre ses vertus pédagogiques, est aussi, grâce à la qualité et à l’intelligence de la réalisation, un grand film tout court, à l’égal, sous une autre forme, de Shoah de Claude Lanzman.

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