Entre le marteau et l’enclume

Les États-Unis pressent le gouvernement de participer plus activement à la lutte contre le terrorisme. Ce qui exaspère les sentiments antiaméricains des musulmans, toujours dans l’attente d’une amélioration de leur niveau de vie.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Plus d’un an après la victoire de Mwai Kibaki à l’élection présidentielle, le Kenya est confronté à un dilemme : satisfaire Washington ou répondre aux attentes de sa population. Pour tourner le dos à l’ère Daniel arap Moi, la « Coalition arc-en-ciel » (NARC) doit obéir aux injonctions de la Banque mondiale qui, début février, a demandé au ministère de la Planification et du Développement de lui montrer, dans un délai de deux semaines, les résultats de la mise en oeuvre de son programme de redressement économique – une condition sine qua non pour obtenir les 4,1 milliards de dollars (3,2 milliards d’euros) promis par les donateurs. Mais aussi répondre à la demande pressante de Washington de lutter plus activement contre le terrorisme islamiste. Au risque de heurter les musulmans, qui représentent environ 6 % de la population.
La lutte contre le terrorisme est en effet devenue un problème intérieur complexe. La région côtière, où ont eu lieu la majorité des opérations visant à débusquer des terroristes potentiels, a longtemps été négligée par Nairobi. Ayant voté massivement pour Kibaki en 2002, elle attendait une attention accrue et, surtout, des réponses à ses problèmes économiques. Elle n’a récolté que des interrogatoires musclés.
Les pressions réitérées de Washington ont renforcé le sentiment antiaméricain, en particulier chez les musulmans, mais aussi dans la classe politique. L’Assemblée nationale a ainsi écarté une proposition de loi sur le terrorisme, jugée dangereuse pour les libertés civiles. Plutôt que de soutenir une transition démocratique – et économique – qui n’en est qu’à ses premiers pas, l’administration Bush a volontiers recours à la menace. Celle, par exemple, de supprimer son aide militaire (3 millions de dollars par an) si le Kenya ratifie le traité de la Cour pénale internationale sans en exempter les soldats américains.
Il est vrai que ce pays a payé un lourd tribut au terrorisme islamiste. Le 7 août 1998, un attentat contre l’ambassade des États-Unis a fait 252 morts (dont 240 Kényans) et plus de 5 000 blessés. Quatre ans plus tard, el-Qaïda a de nouveau frappé dans un hôtel israélien de Mombasa et manqué de peu un avion de ligne de la compagnie El-Al. C’est dire l’importance que revêt le Kenya pour les stratèges du Pentagone. Mais pour la coalition au pouvoir à Nairobi, le choix entre ce qu’elle peut consentir à son allié et ce qu’elle doit accomplir pour satisfaire les espoirs placés en elle par les électeurs n’est pas évident.
D’autant que les croisés de l’antiterrorisme ne font pas dans la dentelle. Entre avril et juin 2003, la nouvelle ambassade américaine a été fermée à plusieurs reprises, et le personnel « non-essentiel » invité à quitter le pays. Quant à British Airways, elle a suspendu ses vols à destination de Nairobi trois mois durant. Même si la situation est aujourd’hui à peu près stabilisée, le Kenya demeure une destination « déconseillée » aux ressortissants américains. Un vrai drame pour une économie convalescente.
Pour obtenir les subsides dont il a besoin, Kibaki sait qu’il doit joindre sa voix à celle des États-Unis. Ce qu’il a fait à plusieurs reprises. Selon le magazine Foreign Affairs, le gouvernement a mis en place avec l’appui du FBI une cellule antiterroriste qui traque les agents d’el-Qaïda dans la région côtière. Washington aurait déjà consacré à l’opération près de 4 millions de dollars, sans compter la formation aux États-Unis de cinq cents policiers kényans. Par ailleurs, le Kenya espère obtenir un tiers, au moins, des 100 millions de dollars que Bush veut consacrer à la lutte antiterroriste en Afrique de l’Est.
Mais ce ne sont là que des mesures à court terme. Reste à s’attaquer aux vraies causes du terrorisme que sont la pauvreté, l’analphabétisme, l’insécurité et le chômage. Les États-Unis accordent au Kenya une aide considérable, mais ce sont les Kényans qui élisent leur président et leurs députés…

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