[Tribune] Et si le Mali osait le fédéralisme ?
Alors que cinq présidents ouest-africains sont attendus ce jeudi à Bamako pour tenter de trouver une issue à la crise politique, la solution envisagée d’un « gouvernement consensuel d’union nationale » est-elle la plus pertinente ?
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Oswald Padonou
Docteur en sciences politiques. Enseignant et chercheur en relations internationales et études de sécurité
Publié le 22 juillet 2020 Lecture : 4 minutes.
Au Mali, la guerre contre les groupes armés terroristes (GAT) n’en finit pas. Pour autant, elle n’entame guère les rivalités politiques. Depuis la proclamation des résultats des élections législatives de mars et avril 2020 et l’installation de la sixième législature, le pays est à nouveau en proie à de violentes contestations politiques.
Face à un risque de radicalisation des positions – celles de la mouvance du président Ibrahim Boubacar Keïta comme celles du Mouvement du 5 juin (M5-RFP) qui réclame son départ –, la seule véritable offre politique en débat est la formation d’un « gouvernement consensuel d’union nationale », proposition d’ailleurs soutenue par la Cedeao.
Sauf que cette recette, usée à l’envi sur le continent, souvent à mauvais escient, n’a jamais permis d’ancrer la démocratie. Tout au plus facilite-t-elle les jeux de positionnement du personnel politique et de répartition des rentes du pouvoir.
Au Mali comme ailleurs en Afrique subsaharienne, l’évocation d’un gouvernement d’union nationale répond généralement à des logiques inavouées de « partage du gâteau national » ou à des stratégies d’éviction des concurrents. Si cette formule en trompe-l’œil a la vertu de calmer les ardeurs des uns et des autres, elle se révèle fréquemment annonciatrice de tempête.
Briser le cercle vicieux
Sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré et sous celle d’Amadou Toumani Touré, le Mali a constitué, à plusieurs reprises, des gouvernements d’union nationale, et érigé au rang de théorème la gouvernance consensuelle, pensée et présentée comme la panacée aux crises – jusqu’à ce que ces dernières éclatent et deviennent parfois incontrôlables, comme celles qui courent depuis 2012.
Que vaut un gouvernement d’union nationale dans un contexte de discrédit de l’ensemble de la classe politique, avec un taux moyen de participation aux dernières élections en deçà de 35 % et une montée en puissance des leaders religieux qui occupent l’espace politique délaissé au moyen de discours ambigus propres à rompre le pacte républicain vacillant ? Certainement pas grand-chose.
Dans la situation actuelle au Mali et en l’absence du chef de file de l’opposition – Soumaïla Cissé, toujours aux mains de ses ravisseurs –, un gouvernement d’union nationale ne parviendra, au mieux, qu’à redistribuer les cartes sur l’échiquier politique pour les deux ou trois prochaines années, le temps de préparer la prochaine présidentielle, sans répondre aux attentes, nombreuses et légitimes, des Maliens.
Briser ce cercle vicieux, réhabiliter l’État en le recentrant sur sa mission de satisfaction de l’intérêt général et relégitimer la démocratie représentative par le renouvellement des rapports entre gouvernants et gouvernés paraissent des enjeux de première importance pour ce pays condamné à un perpétuel recommencement.
Envisager l’État fédéral
Ce qui pourrait être perçu comme une offre politique majeure aux yeux des Maliens, des Africains et de leurs partenaires internationaux ce serait une proposition audacieuse, novatrice, portée par le président IBK, et qui incarne le renouveau et le sursaut tant attendus.
La crise du pouvoir au Mali, c’est d’abord la crise de l’État unitaire et du régime semi-présidentiel largement présidentialisé
De toute évidence, la crise du pouvoir au Mali, c’est d’abord la crise de l’État unitaire et du régime semi-présidentiel largement présidentialisé. L’antidote serait donc d’oser envisager l’État fédéral et le régime parlementaire, à l’horizon 2023.
Avec une telle option, la nation incarnée dans la puissance publique se donne une chance non seulement d’améliorer sa présence et son investissement dans les territoires, mais aussi de mieux répartir et équilibrer les pouvoirs. Il ne serait donc pas systématiquement nécessaire de recourir à un gouvernement d’union nationale, car le jeu des coalitions permet a priori de définir des contrats de gouvernement sur les politiques publiques à mener.
A contrario, le gouvernement d’union nationale reste souvent figé dans le symbole de la diversité des provenances politiques des détenteurs de maroquins ministériels, qui finissent – même les plus solides – par se liquéfier dans la machine gouvernementale, façonnée bien souvent pour le seul président de la République.
Si on continue à faire ce qu’on a toujours fait, on continue à avoir ce qu’on a toujours eu
Si l’État malien fédéral et parlementaire – à l’instar de la République démocratique et fédérale d’Éthiopie, affranchie des partis uniques régionaux et de la prééminence excessive de la préférence ethnolinguistique – vient à voir le jour, seul le temps permettra d’évaluer les retombées d’un changement aussi radical de paradigme. Mais l’élite politique malienne aura eu le mérite d’avoir rompu avec des recettes qui ont prouvé leur inefficacité et, surtout, d’avoir essayé autre chose.
Comme l’a dit l’écrivain américain Stephen Covey, « Si on continue à faire ce qu’on a toujours fait, on continue à avoir ce qu’on a toujours eu ». Il n’y a pas de miracle à attendre. Les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets. Au Mali comme ailleurs en Afrique, où la démocratie mécanisée brasse du vent et tourne dans le vide d’élection en élection, jusqu’à ce que les citoyens, désabusés, acceptent de confier leur destin compromis à d’obscurs vendeurs d’illusions qui sèment çà et là terreur et désolation.
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