Culture : acte I, scène 1
Louée par les uns, décriée par les autres, l’Année de l’Algérie, qui a permis de présenter en France les différentes facettes de la culture algérienne tout au long de 2003, n’a pas fait l’unanimité. Certes, la crainte initiale de voir l’événement récupéré à des fins diplomatiques par la présidence et le gouvernement algériens, très impliqués dans le dossier, s’est estompée. « Nous sommes des artistes, pas des politiciens », a tranché, entre autres, Farid Khodja, un chanteur de musique andalouse. Le principe retenu pour l’organisation un commissariat « mixte » franco-algérien en a rassuré plus d’un sur l’honorabilité des intentions. Cela n’a pas empêché certains de nourrir un scepticisme tenace, notamment en soulignant les multiples ratés de l’organisation et en dénonçant de supposés « pistons » au moment de la sélection des artistes. Autre sujet de raillerie : l’objectif proclamé de jeter des « ponts » entre artistes des deux rives de la Méditerranée. Le photographe et vidéaste Ammar Bouras, une des étoiles montantes de l’art contemporain algérien, en rit encore : « Pendant la préparation des expositions, on s’est retrouvés entre Algériens d’ici et Algériens de là-bas à parler des problèmes d’intégration de la troisième génération ! »
Aussi profondes soient-elles, ces critiques ne doivent cependant pas éclipser les retombées positives de l’initiative. D’abord, « Djazaïr 2003 », son nom officiel, a entraîné un renouvellement, limité mais réel, de l’offre culturelle en Algérie. Ziani-Cherif Ayad, responsable du théâtre et de la danse pour l’événement, a par exemple eu à cur de montrer les spectacles dans les deux pays. Une bonne partie des expositions montées en France devraient aussi être visibles en Algérie. Aujourd’hui à Marseille, celle du collectif de peintres Essabaghine est d’ores et déjà programmée pour mars prochain à l’École nationale supérieure des beaux-arts d’Alger. Par ailleurs, Djazaïr 2003 a contribué à revitaliser certaines professions, surtout celle du livre, grâce à la parution de plus de cinq cents titres. « De manière pragmatique, nous avons considéré que c’était l’occasion de nous lancer des défis en nous affranchissant, pour une fois, des contingences financières », explique Selma Hellal, cofondatrice de la maison d’édition algérienne Barzakh.
Dans les arts plastiques ou le théâtre, la confrontation avec des techniciens et des organisateurs français pourrait faire émerger de nouvelles normes professionnelles en Algérie. Le septième art n’a pas été aussi bien servi, puisque la réalisation des sept longs-métrages au programme (contre quinze prévus à l’origine) a connu un retard considérable. On aurait aimé que la coopération avec la France permette à davantage de réalisateurs algériens de mener à bien leurs projets, alors que l’industrie cinématographique est moribonde depuis la dissolution de l’Entreprise nationale de production audiovisuelle (Enpa), à la fin des années 1990.
Au-delà de cet aspect artistique, c’est l’espoir d’un changement du regard porté par les Français sur les Algériens qu’a réveillé Djazaïr 2003. Le cinéaste Abdenour Zazah est de ceux qui se félicitent que « la mode » algérienne se soit emparée de l’Hexagone : « Il y a eu beaucoup d’espace et de public pour nos films. » Sorti en 2003, son documentaire sur Frantz Fanon psychiatre martiniquais engagé aux côtés des indépendantistes algériens dans les années 1950 a été projeté dans plusieurs festivals. Bref, pour Abdelkrim Djilali, en charge de la communication au Commissariat algérien, le pari a été tenu : « L’image de notre pays en France est désormais plus juste, plus humaine », estime-t-il.
Autre héritage essentiel : les Algériens ont pu constater dans ce « miroir tendu » l’extrême vitalité de leur vie artistique. La balle est aujourd’hui dans le camp du gouvernement. Sans véritable politique culturelle, le pays pourrait perdre ses meilleurs artistes, comme, à une autre époque, ses grands écrivains. Beaucoup d’entre eux ont savouré les conditions de travail offertes dans le cadre de l’Année de l’Algérie, à l’instar d’Ammar Bouras, qui, l’air gourmand, dit avoir « découvert le mot subvention ». Ces artistes ont noué des contacts en France. Il n’est pas sûr que, après avoir sué sang et eau pour peindre, photographier, écrire, jouer, chanter, danser, filmer, ils souhaiteront revenir au système D algérien. À terme, le succès de Djazaïr 2003 se mesurera en Algérie même. Ce serait là un fruit tardif, mais fécond, des relations franco-algériennes.
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