Boudjemaa Karèche

Directeur de la Cinémathèque algérienne

Publié le 16 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique/L’intelligent : Le cinéma algérien est né avec l’indépendance. Plutôt militant, il a vécu ses heures de gloire durant les années 1970…
Boudjemaa Karèche : Partout dans le monde, la vitalité du cinéma se mesure au nombre d’entrées enregistrées au cours de l’année. Pour vous dire combien les Algériens aimaient le cinéma, imaginez qu’en 1975 on a atteint le chiffre de 45 millions de spectateurs ! Et, à l’époque, le pays ne comptait que 20 millions d’habitants… Environ 300 salles fonctionnaient normalement, et on importait plus de 200 films. C’est aussi en 1975 que le réalisateur Mohamed Lakhdar Hamina s’est vu décerner la Palme d’or à Cannes pour Chronique des années de braise. Pour subventionner la production de longs-métrages et rénover les salles, 15 % du prix de vente de chaque ticket étaient reversés au Fonds de développement et d’assistance technique et industrielle au cinéma (FDATIC). C’était une période euphorique.

J.A.I. : Que s’est-il passé ensuite ?
B.K. : Le cinéma algérien a malheureusement traversé une crise dans les années 1980, puis a sombré dans la paralysie la plus totale. Le secteur a beaucoup souffert de la situation dramatique de notre pays pendant la décennie noire. De 1990 à 2000, il n’y a plus eu aucun spectateur. Pendant cette période d’insécurité, les Algériens avaient peur de fréquenter les salles obscures, cibles des terroristes. La plupart ont fermé leurs portes, les unes après les autres. Certaines se sont transformées en vulgaires salles de projection vidéo. J’ai néanmoins pu, dans le cadre des activités de la Cinémathèque, préserver treize salles sur l’ensemble du territoire.

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J.A.I. : Le problème a-t-il été pris à bras-le-corps ?
B.K. : La relance du cinéma s’inscrit dans une problématique économique globale. Nous passons d’une économie administrée à une économie libéralisée. L’État se retirant, le cinéma doit, tout comme les autres secteurs, fonctionner par lui-même. Certes, des investisseurs privés commencent à s’intéresser au septième art et à sa diffusion, mais pas encore assez. Des sociétés de production et de distribution voient le jour, mais en nombre insuffisant. Il faut faire beaucoup d’efforts pour que la relance du cinéma atteigne son rythme de croisière. Aujourd’hui, nous sommes à mi-chemin, le pire est derrière nous. Tout dépend du politique. L’État doit se désengager, mais il doit également accompagner ce jeune secteur privé, notamment en allégeant ou en éliminant les taxes. Il est important que le cinéma reste indépendant, que ce soit une activité privée et libre.

J.A.I. : Peut-on aujourd’hui parler de résurrection ?
B.K. : Il y a bien quelques frémissements depuis l’an 2000. On commence à avoir des résultats : trois salles ont été entièrement rénovées à Alger, près d’une quinzaine de films devraient être lancés (répartis sur 2003 et 2004), en majorité financés par l’Année de l’Algérie en France et par le Millénaire de la ville d’Alger ; enfin, entre vingt et trente films sont importés par an. Reconnu pour sa qualité, le cinéma algérien est en train de renaître. C’est un miracle pour un pays qui n’a pas produit plus de deux films par an depuis très longtemps. Et puis, même s’ils ne sont pas encore nombreux, des spectateurs commencent à réoccuper les salles…

J.A.I. : Et en termes d’animations ?
B.K. : Là encore, ça repart peu à peu. La Cinémathèque d’Alger, par exemple, a abrité du 13 au 18 décembre 2003 une rétrospective du cinéaste français Robert Bresson. Chaque jour, les trois séances proposées ont réuni plus de cent personnes. Par ailleurs, des affiches, peintes par mon ami Areski Larbi, décorent les cinémathèques sur le thème « Un peintre regarde le cinéma ». Un Centre national du cinéma (CNC) est en cours de création pour définir les normes d’exploitation et de distribution. Tout est mis en place. Maintenant, pour que le processus s’enclenche, il faut que le politique aille dans le sens de la libéralisation. Il a d’autant plus de raisons de le faire que le cinéma est un lieu de connaissance et de savoir, mais aussi un lieu générateur d’emplois pour les jeunes. Il fallait juste résister et s’armer de courage pour voir les spectateurs retourner dans les salles et les écrans s’illuminer à nouveau.

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