Médias : Soro Solo, l’enchanteur des ondes
Voix légendaire de la radio en Côte d’Ivoire et en France, l’infatigable Soro Solo poursuit une mission : raconter le continent à travers ses musiques. Seul ou avec la complicité de sa famille de L’Afrique enchantée, il fourmille de projets en cultivant l’art de la création et de l’optimisme.
Devant une vingtaine de jeunes ce soir-là, à Paris, Soro Solo impose peu à peu un silence admiratif en racontant l’histoire du titre Independance Cha Cha de Joseph Kabasele Tshamala et la vie de Fela Anikulapo Kuti. Avec le morceau Water No Get Enemy en fond sonore, le public quitte la salle avec plus de savoirs qu’après un long cours d’histoire.
Il est près de 23 heures, et Soro Solo poursuit la soirée avec une interview téléphonique outre-Atlantique de l’écrivain Felwine Sarr, invité de sa nouvelle émission panafricaine d’actualité Covid-19, c’est quoi même ? diffusée sur 36 radios dans 6 pays d’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad et Sénégal) et déclinée en 15 langues. Transmettre l’information, en amenant à la réflexion sur un ton résolument détendu et généreux, c’est la recette pratiquée de longue date par ce professionnel de la radio.
Jusqu’à l’année dernière, la voix de Soro Solo occupait les ondes de France Inter avec l’émission L’Afrique en solo, héritière de L’Afrique enchantée, qu’il a produite et animée jusqu’en 2015 avec Vladimir Cagnolari, et supprimée de la grille après neuf ans d’antenne.
« On peut me dire que je suis vieux, que je ne suis plus percutant, mais il est nécessaire qu’il existe un espace où l’on parle du continent africain dans sa diversité. Un continent qui a plus d’un siècle d’histoire avec la France, martèle-t-il sans décolérer. L’année où le président de la République française décide d’une saison Africa 2020, le service public efface l’espace dédié à l’Afrique ! » Celui qui a parcouru le continent peine, par ailleurs, à comprendre « que l’on pense encore l’Afrique comme un seul pays ».
Générosité et intelligence
Mais Soro Solo n’est pas de ceux qui laissent toute la place à l’indignation ou à la résignation. Avec la création comme moteur, il préfère regarder devant, en affirmant dans un sourire complice à qui veut l’entendre : « La vie est beau ! » Et cette bonne humeur communicative, ce ton où se mêlent générosité et intelligence, définit la marque de fabrique de L’Afrique en solo.
« Même père, même mère, ne vous fiez pas à la couleur de la peau », aime-t-il répéter quand il présente son complice dans la cour intérieure qu’ils partagent avec des membres de la famille de Vladimir, sa « seconde » maison depuis son exil de Côte d’Ivoire en 2003.
Bonheur intense à Radio France
Avant de replonger dans cette « première vie », l’homme à la silhouette filiforme, qui fêtera dans quelques semaines ses 70 ans, revient sur la genèse de ces années de « bonheur intense » à Radio France.
C’est pour s’extraire des clichés liés à une méconnaissance du continent que naît le projet de L’Afrique enchantée dans la tête des journalistes Solo et Vlad, qui se sont rencontrés à Abidjan en 2001. « Quand l’Afrique chante, elle parle d’elle », disent-ils au moment de lancer l’émission en 2006, encourageant les auditeurs à se saisir d’un Atlas.
« Nous sommes en mission civilisatrice en France », aime blaguer Solo, évoquant la dimension pédagogique de l’émission, qui trouvera son prolongement dans Le Bal de l’Afrique enchantée, une version scénique que le duo, accompagné de musiciens – Les Mercenaires de l’ambiance – a suspendu à la fin de l’année 2018.
Jazz, candomblé, zouk
À l’antenne, dans une atmosphère familiale, les deux compères peuvent aborder, par exemple, la thématique de l’argent avec une ballade musicale de Côte d’Ivoire, du Congo ou du Cameroun. Pendant une heure, près d’une dizaine de titres sont discutés, de Ah ! Freak sans fric de Manu Dibango à L’argent appelle l’argent de Pamelo Mounk’a, avec en invité A’salfo des Magic System.
La formule séduit : l’émission est, dans ses années phares, parmi les plus écoutées sur le créneau de 17 heures le dimanche. « Les musiques ne sont pas gratuites, elles racontent l’histoire des peuples, poursuit avec ferveur Soro Solo. On ne peut pas parler du continent sans ses projections hors de lui-même. » Jazz, candomblé, zouk témoignent des relations multiséculaires de l’Afrique avec le reste du monde.
Parler d’actualité à travers la musique
À l’époque où les budgets de production ne se réduisaient pas tant, Vladimir et Solo, avec la complicité de la « nièce » Hortense Volle, arpentent le globe. Soro Solo se souvient d’un reportage en Afrique du Sud pour la coupe du monde de football.
« Les supporters avaient un casque et une vuvuzela. Nous avons enquêté, rencontré des mineurs à Soweto. Le stade se trouvant entre le travail et chez eux, ils allaient aux matchs avec leur casque, et pour chanter, avaient repris un instrument traditionnel des bergers. » Ou comment parler d’actualité à travers la musique pour celui qui a débuté à Abidjan avec le programme Le Temps du disque.
Au milieu des années 1980, Soro Solo, natif de Korhogo, vient de terminer ses études de producteur radio en France. Il entre à la RTI, première chaîne de télévision généraliste publique ivoirienne.
« C’était l’époque d’Alpha Blondy, d’une redécouverte de Franco, des grandes années de Prince Nico Mbarga. Et le benga que l’on redécouvre aujourd’hui débarquait à Abidjan ; une musique rurale revisitée dans les banlieues de Nairobi. Nous écoutions Rachid Taha et bien sûr Ray Lema. Sans parler de l’explosion de Youssou N’Dour et du terme que je déteste, celui de la “world music”. »
En 1989, il prend les manettes de la matinale. Il y crée la chronique du Grognon, qui trouve vite ses auditeurs, encouragés à témoigner de leurs déboires avec l’administration publique. « Avec cette émission, j’avais atteint un but : donner toute leur place aux personnes qui n’ont pas accès à ces médias. » Il enchaîne : « Je suis fils de paysan. Seul membre de ma famille à avoir été à l’école, j’accompagnais les uns et les autres pour toute démarche administrative. Je voyais le mépris de l’administration publique pour le monde paysan, et souffrais de ces humiliations. Le Grognon est né d’une volonté de donner la parole aux sans-voix, aux oubliés de la République. »
Suspensions d’antenne et intimidations
Accompagné d’un collectif d’avocats prêts à défendre les auditeurs malmenés, il ne se fait pas que des amis et se souvient des retards de versement de salaire les mois où le ministère de l’Économie était mis en cause dans l’émission, des multiples suspensions d’antenne et des diverses intimidations de l’armée, de la police ou des directeurs de cabinet ministériel. Jusqu’à la menace ultime à l’explosion de la rébellion, en septembre 2002 : « Je suis parti en 2003 pour fuir les escadrons de la mort du système de Laurent Gbagbo. »
Face aux menaces de mort, il fuit avec sa famille
Encarté au Front populaire ivoirien (FPI) dans les années 1990, Soro Solo n’hésite pas à témoigner des limites du régime. Face aux menaces de mort, il fuit avec sa famille. Lui est réfugié politique en France, sa femme et son fils s’installent un temps au Burkina Faso tandis que sa fille poursuit des études aux États-Unis. Depuis, la mère de ses enfants vit à Abidjan et leur progéniture en Amérique du Nord. « Nous sommes une famille mondialisée, plaisante-t-il sans dissimuler les violences de l’exil. Ma mère est décédée sans que j’aie pu aller l’enterrer. »
Soro Solo est né Souleymane Coulibaly : « Soro est le nom patronymique de mon village. Quand mon père s’est converti à l’islam, on lui a demandé de le changer, en lui disant que les pratiques des Sénoufos de Côte d’Ivoire étaient les mêmes que celles des Coulibaly du Mali. Ma quête identitaire est passée par la revalorisation de ce nom, « Soro », que j’utilise en tant que journaliste. »
Couronné Chevalier de l’ordre
Cette envie de revaloriser les héritages effacés ou oubliés le poursuit. Celui qui ne cesse d’inviter à « cultiver amoureusement l’espoir et l’optimisme », envisage aujourd’hui sa « troisième vie » en Côte d’Ivoire. Toutefois s’il avoue avoir une certaine « confiance » dans le régime ivoirien actuel, notamment pour sa capacité à remettre à flot le bateau économique, il reste un observateur sur la réserve.
Alors, il se projette là-bas dans un calendrier bien incertain, se refusant aux activités journalistiques. « Quand on a vécu seize ans d’exil du fait de l’exercice de ce métier, on se dit « changeons le fusil d’épaule pour agir autrement » », reconnaît-il à l’heure où la Côte d’Ivoire l’a couronné Chevalier de l’ordre. « Pour moi ce qui importe c’est le signal que cela peut envoyer aux jeunes : je suis un journaliste indépendant qui ne s’est jamais affiché avec les politiques pour faire carrière. »
Malgré nombre de sollicitations pour des postes locaux et nationaux dès les années 1990, Soro Solo est catégorique : « Comme le disait Fela : « Tout politique, même celui que tu apprécies, fuis-le comme la peste parce qu’un politique tentera toujours de te manipuler et te décevra toujours par quelques actes qu’il posera dans le futur. » » Son regard se tourne donc plutôt vers la société civile et le monde de la culture dans la région de son enfance.
En attendant, en solo et avec la famille de l’Afrique enchantée, il poursuit sa route, cultivant l’optimisme, dans des projets où art et réflexion se nourrissent. Que ce soit en écrivant pour le site d’information Pan African Music, en jouant avec Vlad et Hortense, à la fin 2019, le spectacle radiophonique 2079, L’Afrique déchaînée, en préparant une nouvelle création scénique pour l’automne (Le Bal marmaille), en continuant de raconter les Afriques en musique dans l’émission La Manufacture des rêves emmenée par les artistes du collectif On a slamé sur la lune, ou en animant Covid-19, c’est quoi même ?, l’enchanteur semble infatigable.
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