Adieu, la pellicule !

Le succès du numérique bouleverse le rapport de nos sociétés à l’image : on peut désormais la voir instantanément et la modifier à loisir.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 5 minutes.

La diffusion de la photographie numérique s’est subitement accélérée ces cinq dernières années. Dans trois appareils photo vendus dans le monde sur quatre, la traditionnelle pellicule est maintenant remplacée par un capteur électronique et une carte mémoire. L’explication réside avant tout dans la fulgurante évolution de l’électronique : tous les dix-huit mois, les appareils commercialisés saisissent des images deux fois mieux définies, et possèdent deux fois plus de mémoire. Et, en trois ans, leurs prix ont été divisés par trois. Les ventes mondiales ont doublé en 2003 par rapport à l’année précédente pour atteindre 50 millions d’unités. Les fabricants japonais se partagent 90 % d’un marché mondial dont les ventes, l’an prochain, devraient s’élever à 65 millions d’unités. Le dynamisme de ces appareils a donné un coup de fouet salutaire à l’industrie électronique japonaise.
Prendre des photos numériques est aujourd’hui une fonction disponible sur une large variété d’appareils électroniques. Tous les caméscopes numériques, par exemple, sont dotés d’une fonction photo, et les assistants personnels y viennent. La possibilité de prendre des photos avec son agenda électronique ou son téléphone portable est un petit plus très vendeur. Cet engouement devrait se confirmer. Les experts estiment qu’en 2007 il devrait se vendre dans le monde 147 millions de téléphones mobiles avec appareil photo, pour 95 millions d’appareils photo numériques. Ce bouleversement fulgurant du marché ne fait pas que des heureux. Des poids lourds de la pellicule n’ont pas su prendre le virage du numérique. Après la faillite de Polaroïd en 2001, Kodak a annoncé à son tour, l’an dernier, que ses ventes avaient chuté de 1,8 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros) en deux ans, et a stoppé tous les investissements dans son métier d’origine, le film argentique. Le futur de Kodak est maintenant dans le numérique : l’appareil photo, certes, mais aussi les imprimantes et papiers dédiés ou encore les échanges de photos en ligne.
Pour les photojournalistes, le choix argentique ou numérique n’est plus vraiment un sujet de débat. L’alliance de l’appareil photo numérique et du téléphone satellitaire pour transmettre les données est devenue incontournable. Le marché impose d’aller vite, y compris pour les hebdomadaires qui veulent recevoir des images prises sur le vif tous les jours, surtout lorsque la parution se rapproche. La responsable de l’iconographie du magazine américain Newsweek s’est fait renvoyer : dans l’équipe de photographes qu’elle a fait travailler sur la guerre contre l’Irak en mars dernier, l’un d’eux persistait à utiliser l’argentique. De précieuses heures auraient été perdues sur le concurrent Time.
Pourtant, le numérique ne présente pas que des avantages. Avec un ordinateur portable, un téléphone satellite, des batteries rechargeables, sans compter l’éventuel graveur de cédéroms pour le stockage, le matériel des photoreporters reste lourd, fragile et coûteux. Par ailleurs, si les journalistes apprécient d’accomplir eux-mêmes une présélection sur le terrain avant de transmettre leurs clichés, le risque est de perdre la trace de clichés qui semblent sans intérêt sur le moment. Les photos peuvent être définitivement effacées, alors qu’un second regard est souvent nécessaire sur un travail. Enfin, la flexibilité du numérique peut entraîner des dérives. En avril 2003, le Los Angeles Times a licencié un de ses photographes qui avait envoyé d’Irak une photo retouchée. Deux clichés numériques d’une même scène avaient été mélangés afin de rendre l’attitude d’un soldat britannique au milieu d’un groupe de réfugiés plus percutante. L’image avait déjà été reprise à la une de plusieurs quotidiens américains, lorsqu’un employé d’un autre quotidien s’est aperçu de la supercherie. Même si ce cas est isolé, il sème le doute sur l’authenticité des photos d’actualité.
Le grand public, quant à lui, ne partage pas ces réticences. Les principaux freins au développement du numérique sont le prix et la complexité d’utilisation. La vitalité du marché témoigne que ces deux points se sont grandement améliorés ces dernières années. Prendre des photos en grande quantité n’a jamais été aussi facile, souple et peu coûteux. Les images circulent et sont copiées sans frais, de disques durs d’ordinateurs aux albums photo sur Internet, accessibles instantanément de l’autre bout du monde. En un clic, une série de photos est expédiée par courriel ou publiée sur le Web. C’est même devenu un cadeau : à la fin d’une soirée ou d’un anniversaire, un cédérom est distribué aux invités avec les photos de la fête.
L’impression sur papier n’est plus qu’une étape optionnelle de la vie d’une image. Les laboratoires de développement photos ont dû s’adapter à ce bouleversement du marché, qui demande rapidité et souplesse. Ils mettent de plus en plus à la disposition du public des imprimantes où tout est automatisé. Le client glisse la carte mémoire de son appareil photo dans une fente de l’imprimante. Tous les formats sont acceptés et les clichés sont imprimés en quelques minutes. Pour la très grande majorité des utilisateurs qui tiennent à imprimer eux-mêmes leurs clichés, il existe de petites stations d’impression à moins de 200 euros qui ne nécessitent pas d’ordinateur. Les détenteurs d’un appareil numérique restent toutefois majoritairement équipés en matériel informatique. Là aussi, les coûts ont baissé, aussi bien de l’ordinateur, une entrée de gamme étant suffisante, qu’en imprimantes de qualité photo. Seul souci, si certains tirages numériques professionnels haut de gamme peuvent maintenant durer soixante-dix voire quatre-vingt-dix ans, soit davantage que les tirages argentiques, les photos bon marché imprimées à domicile pâlissent et changent de couleur en quelques années.
Un autre attrait des technologies numériques est d’accroître les possibilités de contrôle et d’intervention. Les photos ratées peuvent être effacées sans frais supplémentaires. Celles qui sont réussies peuvent être modifiées à volonté et copiées à l’infini. La créativité est facilitée même si les résultats ne sont pas toujours heureux ! Avec un peu d’habileté, chacun peut s’essayer à des trucages simples : une personne gâche les souvenirs de vacances ? Effacée ! Les cheveux du grand patron peuvent être peints en rose ou son nez étiré. La photo numérique connaît déjà des dérives : le Japon en est un excellent exemple avec la multiplication des appareils photo miniatures de qualité. Aujourd’hui, trois téléphones portables sur dix au Japon sont équipés d’un appareil photo. Mais l’usage de ces mobiles est devenu très vite interdit dans les gymnases japonais, où trop d’abus ont été commis dans les vestiaires. Les libraires se plaignent aussi de ces nouveaux appareils. Très friands de presse, les Japonais achètent en masse des journaux et des magazines. Mais ils ont trouvé un moyen de faire des économies en photographiant discrètement dans les librairies des pages de magazines ou de revues. L’industrie s’inquiète elle aussi. La société d’électronique Samsung a pris la décision d’interdire dans ses locaux l’usage des téléphones mobiles avec prises de vue photo l’été dernier, aussi bien pour ses salariés que pour ses visiteurs. De nombreux industriels pourraient être tentés de suivre cet exemple, tant est facilité le piratage industriel. Le numérique encourage le partage des images, mais il faut savoir ne pas en abuser.

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