[Tribune] Guerre au Yémen : l’étau se resserre autour du prince émirati MBZ
Alors que la pire crise humanitaire au monde sévit au Yémen, des avocats britanniques demandent aux Américains d’arrêter les officiels émiratis mis en cause pour crimes de guerre dans ce conflit.
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Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).
Publié le 24 juillet 2020 Lecture : 3 minutes.
Il est urgent que la question de la guerre au Yémen soit reprise sous l’égide des Nations unies. Le conflit, perdu d’avance par ceux qui le mènent, aura bientôt fait 300 000 morts. Et depuis plusieurs mois, se multiplient les allégations de crimes de guerre commis au Yémen par les Émirats arabes unis, qui forment avec l’Arabie saoudite la « coalition arabe » face à la rébellion houthie soutenue par l’Iran. La vague de publications, articles et études diverses le montre : l’étau se resserre autour du prince héritier émirati Mohamed Ben Zayed (MBZ), prêt à tout pour parvenir à ses fins, y compris à la violation systématique du droit international. Le Yémen est non seulement le berceau des grandes dynasties émiraties mais également un carrefour stratégique terrestre et un point de contrôle majeur des voies maritimes.
Stabilité autoritaire
Comment dès lors faire l’économie d’un débat sur la politique déstabilisatrice des Émirats arabes unis dans le monde arabo-musulman depuis les Printemps arabes ? Pour, paraît-il, contrer l’islam politique, Mohamed Ben Zayed cherche à réinstaller partout où il a de l’influence une stabilité autoritaire, assurée par des militaires ou des dirigeants inféodés. De la Libye à l’Égypte en passant par le Soudan, et jusqu’au Yémen, Abou Dhabi abuse de son pouvoir pour mettre en place coûte que coûte sa stratégie d’un nouveau Moyen-Orient sécuritaire. L’objectif : venir à bout des rébellions, mais aussi de la volonté des peuples. En créant des couloirs de circulation d’effectifs et de matériels militaires, Abou Dhabi défie toutes les règles internationales du multilatéralisme. Depuis cinq ans, la « coalition arabe » mène au Yémen une guerre terrible, qui a déjà fait près de 250 000 victimes, dont 100 000 enfants.
En 2017, la première plainte auprès de la Cour pénale internationale a été déposée par l’ONG Arab Organisation for Human Rights in United Kingdom afin de dénoncer les crimes de guerres au Yémen : attaques contre des civils, torture, usage d’armes prohibées par les conventions internationales. Le recours à des mercenaires, comme en Libye, est ainsi à l’origine de bon nombre des exactions et violations du droit international. Sur près de 10 000 hommes envoyés au Yémen par Abou Dhabi, 1500 seraient des mercenaires venus d’autres pays musulmans comme le Soudan. L’ONG accuse également la coalition d’avoir utilisé des bombes à sous-munitions, pourtant interdites par les conventions internationales, auxquelles n’ont toujours pas souscrit les Émirats.
Des « crimes de guerre »
On y évoque aussi la torture et les éliminations extra-judiciaires dans des structures locales reconverties, selon Human Rights Watch, en établissements pénitentiaires de fortune par les Émirats. Amnesty International parle depuis maintenant trois ans, et ce sans détours, de « crimes de guerre » commis dans ces prisons du Sud du pays : disparitions forcées, tortures, détentions illégales de masse, condamnations à mort pour des raisons politiques, etc.
23 millions de Yéménites ont besoin d’aide
Les Houthis eux-mêmes ne sont pas innocents et se sont rendus coupables d’éliminations sommaires et de tirs de missiles vers l’Arabie saoudite. Mais entre le pot de fer et le pot de terre, il n’y a aucun doute : la coalition est à l’origine de la catastrophe humanitaire considérée comme la plus importante au monde actuellement : 23 millions de Yéménites – sur une population de 28 millions – ont besoin d’une aide d’urgence.
En novembre 2019, ce fut au tour des Nations unies de relayer les accusations contre Abou Dhabi au Yémen. C’est notamment Michèle Bachelet, Haute‑Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme et ancienne présidente du Chili qui, dénonçant l’attaque perpétrée contre un centre de détention pour migrants en Libye, a remis sur le devant de la scène d’autres exactions commises par les Émiratis au Yémen. Ainsi, en octobre 2019, un panel d’experts dirigé par le Tunisien Kamal Jendoubi soulignait le fait que Mohamed Ben Zayed avait jusqu’alors été peu inquiété pour la violation manifeste d’un certain nombre de lois internationales.
MBZ de moins en moins libre de circuler
Aujourd’hui, dans une dépêche de Reuters, des avocats britanniques franchissent un nouveau cap en demandant même aux Américains et aux Britanniques d’arrêter les officiels émiratis mis en cause pour crimes de guerre commis au Yémen entre 2014 et 2019. Il y a fort à parier qu’une fois la crise du Covid-19 passée, les voyages de Mohamed Ben Zayed, qui ne souhaitera prendre strictement aucun risque – comme certains de ses ministres dont celui de la Défense, Mohammed Ben Rachid al Maktoum, ainsi que d’autres officiels –, se réduisent de mois en mois à peau de chagrin.
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