Une chance pour la paix

Pour les Arabes, la mort politique d’Ariel Sharon est une occasion historique. Que doivent-ils faire pour ne pas la laisser échapper ?

Publié le 17 janvier 2006 Lecture : 6 minutes.

On a dit et écrit beaucoup de sottises sur Ariel Sharon depuis que son hémorragie cérébrale l’a exclu du jeu politique israélien. La plus énorme a été de prétendre que son départ a fait reculer la cause de la paix au Proche-Orient.
Bien au contraire, la « mort politique » de Sharon est providentielle. Elle ouvre la voie à un véritable processus de paix, mais à la condition que les Arabes comme les Israéliens profitent de l’occasion. Quatre autres années de Sharon au pouvoir – et d’une honteuse acceptation de sa politique par les Américains – auraient pu créer une situation irréversible sur le terrain. Et aurait risqué d’engager les deux parties dans un nouveau siècle d’affrontement sanglant.
Sharon n’était pas un « homme de paix », comme Bush l’a appelé bien à tort. À preuve, il s’est opposé à tous les accords de paix qu’Israël a négociés avec les Arabes, qu’il s’agisse des traités avec l’Égypte et la Jordanie ou des accords d’Oslo avec les Palestiniens. Il n’avait pas la moindre envie de négocier, sachant très bien qu’aucun dirigeant arabe n’accepterait les conditions impossibles qu’il chercherait à imposer. Ses deux objectifs ont toujours été d’étouffer le mouvement national palestinien et de dominer la région par des moyens militaires, y compris nucléaires. Il a été le plus abominable tueur d’Arabes de sa génération.
Le désengagement de Gaza orchestré par Sharon n’a pas été un pas vers la paix. Le Premier ministre savait qu’Israël ne pourrait pas garder Gaza éternellement, et il s’en est débarrassé pour renforcer sa mainmise sur la Cisjordanie et parquer les Palestiniens réduits à l’impuissance dans des enclaves séparées sur moins de 10 % de la Palestine historique.
Les Israéliens ont maintenant le choix entre poursuivre sa politique unilatérale (annexion de Jérusalem-Est, extension des blocs de colonies, achèvement de la construction du mur, occupation sine die du Golan, refus de toute coexistence pacifique avec les Arabes) ou bien relancer le processus de paix sur la base de véritables négociations. Shimon Pérès, 82 ans, le vieux routier travailliste qui a abandonné son parti pour rallier Kadima, la formation de centre-droit créée par Sharon, a aujourd’hui l’occasion de changer son image d’opportuniste et de renégat.
Son rôle devrait être de négocier une alliance entre le Parti travailliste, dont le chef est désormais l’ancien syndicaliste Amir Peretz, et Kadima, dirigé en l’absence de Sharon par Ehoud Olmert, afin de jeter les bases d’un authentique mouvement de la paix, capable de s’imposer et de faire les concessions indispensables à un accord global.
Pérès, Olmert, Peretz et leurs partisans au centre et à la gauche du spectre politique israélien ont, ensemble, assez de poids pour donner de la crédibilité à une relance de la paix. « Je ne veux pas être Premier ministre, je veux travailler pour la paix », a récemment déclaré Shimon Pérès à CNN. Il a enfin la possibilité de couronner sa carrière, jusqu’ici en dents de scie, par une réussite historique.
Dans tous les commentaires sur l’après-Sharon au Proche-Orient, il n’est presque jamais question des Arabes. Comme s’ils n’existaient pas ou n’étaient que les spectateurs d’un drame politique qui se joue à Tel-Aviv, Londres ou Washington, et dans lequel ils n’ont aucun rôle.
L’absence virtuelle des Arabes dans le débat politique est la conséquence de leur extraordinaire passivité et de leurs querelles internes, mais aussi de l’héritage Sharon. Il a réussi à convaincre les Israéliens qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Arabes, qu’aucune paix n’était possible avec eux, qu’il n’y avait pas de « partenaire arabe ». Dès lors, affirmait-il, la seule option pour Israël était de leur imposer unilatéralement ses conditions. Aujourd’hui, il est crucial pour les Arabes de prouver qu’il avait tort. Ils ne doivent pas attendre les élections israéliennes du 28 mars, mais agir sans tarder et influencer leurs résultats par une diplomatie active.
Leur premier objectif doit être de persuader les électeurs israéliens, volontiers craintifs et versatiles, qu’ils ont un partenaire pour la paix, que l’on peut faire confiance aux Arabes, qu’on peut mettre fin à l’état de guerre, qu’Israël peut se faire accepter dans la région s’il renonce à la force et à l’expansion, et adopte au contraire une politique de modération et de bon voisinage.
Tout indique qu’après deux Intifadas et avec la perspective d’une troisième, les Israéliens sont prêts à écouter un tel message. Ils sont aussi las de la guerre et de la violence que leurs voisins arabes.
Lors du sommet de Beyrouth, en 2002, le monde arabe tout entier a approuvé la proposition du roi Abdallah d’Arabie saoudite (qui n’était alors que prince héritier) d’offrir à Israël la paix et la normalisation en échange d’un retour aux frontières de 1967. Sharon l’a rejetée. L’offre doit être aujourd’hui précisée, élargie, concrétisée – et renouvelée.
Les Arabes doivent sans doute mettre à profit la situation pour demander la tenue d’une nouvelle conférence internationale, un « Madrid II », sous les auspices des Nations unies et avec le soutien des grandes puissances, pour résoudre tous les problèmes qui empoisonnent les relations entre Israël, d’un côté, et les Palestiniens, la Syrie et le Liban, de l’autre. C’est un objectif réaliste, nullement utopique.
Les principaux pays arabes doivent dépêcher une forte délégation ministérielle dans toutes les grandes capitales – en accordant une attention particulière aux membres permanents du Conseil de sécurité – pour promouvoir leur plan de paix. Le message délivré aux États-Unis doit être parfaitement clair : on ne mettra pas fin au terrorisme tant que le conflit arabo-israélien n’aura pas été réglé en toute justice. Le climat actuel en Amérique n’incite malheureusement pas à l’optimisme. Des personnalités influentes comme Richard Haass, le président du Conseil des relations étrangères, à New York, estime que, sans Sharon, le processus de paix israélo-palestinien « a peu de chances d’évoluer favorablement ». « Je ne suis pas sûr que, d’un côté comme de l’autre, il existe des dirigeants qui aient à la fois la capacité et la volonté », aurait-il, dit-on, déclaré. Ce n’est plus du réalisme, c’est du défaitisme !
Le président George W. Bush a encore trois années devant lui. Il faut que quelqu’un se dévoue pour lui expliquer qu’appuyer comme il l’a fait la politique de Sharon et fermer les yeux sur ses excès a été une grave erreur qu’il lui faut corriger d’urgence. Les dirigeants palestiniens sont aujourd’hui à l’heure de vérité. Si l’ordre n’est pas rétabli dans la bande de Gaza, si la guerre civile y éclate, si les activistes continuent d’expédier sur Israël des roquettes sans aucune efficacité, alors les électeurs israéliens vont choisir la droite et c’en sera fini des espoirs de paix. Les Palestiniens doivent se demander si, oui ou non, ils veulent que Benyamin Netanyahou et les extrémistes de droite du Likoud gagnent les élections du 28 mars. Les Israéliens et leurs amis occidentaux doivent eux aussi s’intéresser de plus près à la politique palestinienne.
Les élections législatives palestiniennes, si elles ont lieu comme prévu le 25 janvier, devraient être marquées par une forte poussée du Hamas et de la jeune génération du Fatah, qui remplace peu à peu la vieille garde. Selon Alastair Crooke, un spécialiste du mouvement islamiste, ces élections pourraient constituer un pas vers une « intégration » nationale palestinienne (un rassemblement des différentes factions) et par la consécration par la base des aspirations palestiniennes : c’est, à ses yeux, le seul moyen de mettre fin à la violence et d’aboutir à un règlement politique durable.
Les Israéliens ne doivent pas avoir peur du Hamas. Ses porte-parole ont récemment évoqué la possibilité d’un arrêt complet des violences pendant toute une génération : si Israël offre une contrepartie, cela pourrait permettre de régler tous les problèmes qui se posent par la négociation.
Le départ d’Ariel Sharon a donné à la paix une chance qu’il ne faut pas rater.

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