[Tribune] Sahel : il est urgent d’écouter la société civile

Garantir la protection des civils, adopter une approche politique globale, sanctuariser l’accès humanitaire et lutter contre l’impunité. Telles sont les urgences qui s’imposent face à la crise, selon la nouvelle « Coalition citoyenne pour le Sahel ».

Des habitantes du nord du Mali, qui ont fuit l’insécurité et se sont réfugiées à Kati, près de Bamako, en novembre 2015. © Creative Commons / Flickr / MINUSMA/Harandane Dicko

Des habitantes du nord du Mali, qui ont fuit l’insécurité et se sont réfugiées à Kati, près de Bamako, en novembre 2015. © Creative Commons / Flickr / MINUSMA/Harandane Dicko

Bagayoko

Publié le 25 juillet 2020 Lecture : 4 minutes.

La crise qui affecte depuis le début de la décennie l’espace sahélien est multidimensionnelle. En effet, aux terribles exactions perpétrées par des unités terroristes s’ajoutent les abus émanant de groupes d’autodéfense, de milices communautarisées, de bandes criminelles organisées, d’hommes armés non identifiés ainsi que de certains éléments des forces de défense et de sécurité. Les populations civiles sont les premières victimes de ces violences.

La montée en puissance de la Force conjointe du G5 Sahel, dont la coordination avec les partenaires internationaux (opération militaire française Barkhane, missions de formations de l’Union européenne notamment), est appelée à s’accroître grâce à la mise en place de la Coalition internationale pour le Sahel, témoigne de louables efforts.

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Pourtant, force est de constater que la réponse à la crise n’a pas encore eu pour résultat de mieux protéger les populations, alors même qu’un tel objectif devrait être placé au cœur de toutes les interventions.

Dans cette perspective, il est tout d’abord nécessaire que les actions engagées au Sahel soient fondées sur des analyses qui reflètent la complexité du contexte politique, social et sécuritaire de la zone, ainsi que les perceptions des acteurs nationaux et locaux. Or, il existe déjà de nombreux travaux qui développent des perspectives riches, documentées et originales sur la situation actuelle.

S’attaquer aux causes profondes

Il est important que ces sources d’expertise puissent être mobilisées non seulement pour guider les différentes interventions mais aussi – et peut-être surtout – pour aider à définir une vision politique des moyens de résoudre la crise.

Il est en effet essentiel de s’attaquer à ses causes profondes, notamment en matière de gouvernance, qui sous-tendent la dynamique insurrectionnelle embrasant la région à travers des mobilisations armées ou des mouvements massifs de protestation populaire.

Des soldats maliens dans le nord du pays, en février 2017 (archives / Illustration). © Pascal Guyot/AP/SIPA

Des soldats maliens dans le nord du pays, en février 2017 (archives / Illustration). © Pascal Guyot/AP/SIPA

Il est urgent de punir et de prévenir les dérives de certaines unités

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Le renforcement des capacités militaires des États sahéliens est nécessaire pour contribuer à améliorer durablement le sort des populations civiles. La dimension opérationnelle de ce renforcement capacitaire, est bien sûr indispensable. Cependant, le respect des droits de l’homme par les forces armées est tout aussi important que leurs performances au combat.

Il est urgent de punir et de prévenir les dérives de certaines unités, à tous les échelons de responsabilités, avant qu’elles n’entachent, de manière indélébile, la réputation des institutions de sécurité.

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L’amélioration de la gouvernance des appareils de défense, en matière financière notamment, est tout aussi nécessaire, comme l’ont démontré les récents scandales relatifs à la gestion des budgets de la défense au Niger, au Mali et au Burkina Faso.

Elle va de pair avec l’amélioration de la condition sociale des personnels militaires et de leurs familles, encore récemment dénoncée par les veuves de soldats tombés au front.

S’impose aussi, par ailleurs, une judiciarisation accrue des théâtres d’opérations qui passe en particulier par le renforcement de la chaîne pénale. Fait également figure d’impératif, la professionnalisation des forces de maintien de l’ordre, dont il convient de clarifier strictement les missions et de réformer les cadres d’engagement ainsi que la formation, afin d’éviter que ne se reproduisent les graves manquements qui ont causé la mort de manifestants désarmés.

Il existe aujourd’hui de nombreuses initiatives mises en œuvre par des acteurs qui se situent au plus près des populations et des communautés.

Le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré et Mahamadou Issoufou, lors de la rencontre de la Cedeao, à Ouagadougou le samedi 14 septembre 2019. © DR / G5 Sahel

Le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré et Mahamadou Issoufou, lors de la rencontre de la Cedeao, à Ouagadougou le samedi 14 septembre 2019. © DR / G5 Sahel

Engager un dialogue constructif et exigeant avec les gouvernements

C’est précisément pour faire valoir ces ressources locales, encore insuffisamment mobilisées, que nous avons lancé, avec une trentaine d’organisations sahéliennes, ouest-africaines et internationales, une « Coalition citoyenne pour le Sahel ». Nous représentons des chercheurs, des défenseurs des droits humains, des militants pour la paix, des groupes de femmes, des associations communautaires ou confessionnelles.

Quatre piliers citoyens

Nous voulons mettre en commun nos expériences pour engager un dialogue constructif et exigeant avec les gouvernements de la région et leurs partenaires internationaux, afin de les convaincre que la priorité, aujourd’hui, au Sahel est d’œuvrer collectivement afin de permettre aux populations et à toutes les communautés de se sentir plus en sécurité, et non pas encore plus vulnérables.

Pour ce faire, nous avons défini quatre piliers « citoyens » (protection des civils ; approche politique globale ; accès humanitaire et lutte contre l’impunité) qui nous serviront de repères pour mesurer l’impact de la réponse actuelle à la crise du Sahel.

D’ici à octobre 2020, notre coalition présentera son évaluation des progrès accomplis dans chacun de ces quatre piliers, afin que le succès ne se mesure plus seulement en termes de « terroristes neutralisés », mais en nombre d’écoles réouvertes, de déplacés rentrés chez eux, d’auteurs d’exactions condamnés, de villages et de familles secourus.

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